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Sur les sentiers des miels de France - le Colza (2002)
P. Schweitzer

Le Colza
Comme chaque année, au début du printemps, les images satellitaires de la campagne française et d'une grande partie des pays européens ressemblent à un échiquier géant. Suivant le thermocline naturel, s'épanouissent successivement du sud au nord et d'ouest en est des centaines d'hectares de cette oléagineuse qu'est le colza(1). Issu du croisement d'un chou (Brassica oleracea L.) et d'une navette (Brassica campestris L.), le colza (Brassica napus L. var oleifera Metzg.) possède les chromosomes des deux parents (2n = 38). C'est la 5ème plante oléagineuse cultivée dans le monde. On la cultive dans une grande partie de l'Europe, mais également en Chine, en Inde et au Canada...

Sa fleur est celle d'une brassicacée typique avec quatre pétales jaunes, quatre sépales, six étamines dont deux plus petites et un ovaire à deux carpelles. Après fructification, la silique renfermera de deux à dix graines. Ses quatre nectaires secrètent 0,2 à 2 mg par jour d'un abondant nectar contenant de 40 à 60 % de sucres ce qui en fait grâce à l'étendue de sa culture et à la durée de sa floraison une des plantes nectarifères et pollenifères de première importance. C'est avec celui du tournesol le miel qui est le plus produit en France.

Le miel de colza
Si le caractère mellifère (2) du colza ne fait aucun doute, son miel ne fait pas l'unanimité. Tant chez les consommateurs que chez les apiculteurs, il a ses partisans et ses détracteurs. Une sorte de honte ou de suspicion plane en permanence sur cette production qui, il faut le dire, est un des rares miels monofloraux à ne pas vouloir dire son nom. L'appellation " miel de colza " est quasiment absente des étals. On lui préfère les termes de " Miel de printemps ", de " Miel crème " quand ils le sont voire de " Miel Toutes Fleurs " ... Un comble pour un miel souvent monofloral ! !

 La nature oléagineuse de la plante, son mode de culture avec des traitements phytosanitaires, la structure particulière de son miel, la suspicion liée à la consommation de son huile dans les années 70 ont concouru à le couvrir d'opprobre...
Il n'est pas question ici de savoir si on l'aime ou si on ne l'aime pas. Tous les goûts sont respectables et l'on peut aimer ou ne pas aimer ce miel comme tous les autres. Lors d'une réunion à laquelle j'assistais récemment, un aimable orateur a dit qu'il y avait presque autant de miels que de fromages... N'en déplaise aux producteurs de fromages, il y en a probablement beaucoup plus. 

Chaque plante nectarifère produit un miel différent. S'y ajoutent les miels de miellats et les combinaisons entre toutes ces sources sont infinies. Les apiculteurs sédentaires savent bien qu'ils ne récoltent jamais les mêmes miels d'année en année... C'est une des richesses de l'apiculture...

Mieux connaître un produit, c'est assurer sa promotion. Alors ensemble, apprenons à mieux connaître ce miel si particulier pour en tirer le meilleur parti.

La physico-chimie d'un miel de colza est celle d'un miel de nectar. Comme beaucoup de miels printaniers, il est de coloration claire, généralement moins de 35 mm PFUND et devient presque blanc en cristallisant. Sa conductivité électrique est celle d'un miel peu minéralisé, en principe inférieure à 200 µS/cm lorsqu'il est monofloral et qu'il ne contient pas de traces de miellat (d'érables par exemple). Elle ne devrait jamais dépasser 250 µS/cm. 

C'est un miel assez acide puisque le pH d'une solution à 10 % est en moyenne de 4. Son activité diastasique est en moyenne de 15. Sa teneur en eau dépend beaucoup des circonstances de sa production. Elle peut descendre à 16 - 16,5 % mais se situe très souvent aux alentours de 18 % voire plus, ce qui le rend alors sujet à la fermentation... Mais c'est surtout par sa composition en sucres que le miel de colza est un original. 

Contrairement à la majorité de tous les autres miels, il contient plus de glucose que de fructose. Son spectre des sucres est des plus simples avec deux sucres majoritairement présents, le glucose et le fructose et quelques pour cent de maltose et de saccharose (moins de 1% pour ce dernier)... Sa grande richesse en glucose avec un rapport Fructose/Glucose inférieur à 1 et un rapport Glucose/Eau supérieur à 2 sont à l'origine de sa cristallisation très rapide.

Cristaux de sucres dans un miel de colza
(microscope polarisant - objectif x 10)

L'analyse pollinique des miels de colza est également très simple. Le pollen de colza est toujours fortement dominant avec des taux pouvant dépasser les 90 %. Les autres grains de pollens sont ceux de la flore printanière : arbres fruitiers, saules, érables, aubépine, marronnier, pissenlit avec quelquefois déjà du trèfle blanc ou du robinier faux-acacia et quelques autres fabacées..

À l'examen sensoriel, il est souvent décrit comme ayant une odeur de chou. Personnellement je n'ai pas le même sentiment. Je ne le trouve pas spécialement agréable sans plus. Du point de vue gustatif, c'est un miel doux, sans amertume, sans acidité importante avec une assez forte perception sucrée... Il peut être utilisé pour faire de l'excellent hydromel.

Produire un miel de colza de bonne qualité

Beaucoup d'apiculteurs ont des " ennuis " avec le miel de colza :

  • Teneur en eau élevée
  • Difficulté de filtration et d'épuration avec nombreuses particules résiduelles
  • Fermentation même pour des miels ayant des teneurs en eau inférieures à 18 %.

Une bonne connaissance de sa physique et de son comportement permet de profiter de ses atouts pour en faire un produit agréable à consommer et se conservant bien. 

Son humidité élevée est en grande partie liée à sa période de production. À cette époque de l'année persistent bien souvent des instabilités météorologiques avec des alternances de périodes pluvieuses et d'autres plus ou moins ensoleillées. Pour de simples raisons physiques, l'hygrométrie et la température conditionnent la teneur en eau des miels. La première est encore souvent élevée et la seconde basse. Inévitablement ces miels contiennent alors beaucoup d'eau. La saturation en humidité du local d'extraction intervient également... J'ai déjà eu l'occasion de développer largement ces questions. Les remèdes sont préventifs : installation des ruches dans les endroits les plus secs et les plus aérés possibles, équipement du local d'extraction d'un déshumidificateur...

Les difficultés d'épuration du miel de colza, surtout chez les petits apiculteurs, viennent essentiellement de se cristallisation rapide. Rappelons que celle-ci dépend de nombreux facteurs dont les principaux sont :

  • Une forte teneur en glucose (ou éventuellement en certains autres sucres comme le saccharose ou le mélézitose mais ce n'est pas le cas ici
  • Une teneur en eau autour de 18 % (avec un rapport Glucose/Eau supérieur à 2). Les miels riches en eau cristallisent lentement car ils sont moins sursaturés en sucres et paradoxalement les miels très pauvres en eau aussi car la viscosité augmentant les molécules de sucres se déplacent mal
  • La présence de cristaux primaires. Ils disparaissent lors de la refonte totale des miels. S'ils sont sursaturés en sucres, ces derniers recristallisent quand même mais de façon anarchique (3)
  • Une température optimale de 14°C...

C'est ce dernier point qui est important ici. Tant qu'il est dans la ruche, le miel de colza est à la température de la colonie soit à plus de 30°C donc assez loin de l'optimum thermique pour une cristallisation rapide. Sursaturé en glucose, le miel de colza finira par cristalliser dans les rayons, mais, malgré tout, le processus est assez long. Au moment de l'extraction, ce miel se retrouve à température ambiante qui à cette période de l'année n'est pas toujours très loin des 14°C. Même à 20°C, le choc est net. Toutes les conditions sont donc quasi optimales. En quelques jours tout est joué. Le miel est cristallisé. Les apiculteurs jouent donc contre la montre et mettent en pots presque immédiatement. La décantation n'a pas eu lieu. Au laboratoire, on reconnaît toujours ces miels qui contiennent un nombre élevé de particules de cire. 

Certes, la cire n'est pas dangereuse pour la santé, mais ces particules vont être à l'origine de bien des désagréments futurs avec en particuliers des effondrements de la structure cristalline et des fermentations même pour des teneurs en eau quelquefois proches de 17 %. À noter qu'à leur début, ces fermentations sont quelquefois ressenties comme normales par les apiculteurs ou les consommateurs qui dégustent ces miels et qui croient que les arômes et les saveurs qu'ils perçoivent sont celles du miel de colza ! ! 

En fait, les particules diverses présentent dans le miel cristallisé s'insèrent dans sa structure cristalline et perturbent l'agencement régulier entre les molécules d'eau et les molécules de sucres. La structure semble stable et solide car le miel de colza cristallise finement (en raison de la rapidité du phénomène) et durement mais tout finit par s'écrouler... ce qui n'est pas grave puisque le miel devient pâteux. Par contre, si fermentation il y a, le miel est perdu... sauf utilisations particulières dans certains cas (4) ...

Le remède est très simple. Le miel de colza doit être épuré comme n'importe quel autre miel. La solution : ralentir sa cristallisation. Comment ? Le seul paramètre sur lequel on peut jouer est la température. Jusqu'à 35°C, un miel est à la température de la ruche, il ne se dégrade donc pas plus que dans la ruche (à condition qu'il n'y ait pas de surchauffe locale). Il suffit donc de maintenir les maturateurs contenant du miel de colza dans une enceinte chauffée à 35°C. La vitesse de cristallisation est ralentie. La décantation a le temps de s'opérer... et votre miel de colza sera parfaitement épuré. L'idéal est ensuite de contrôler sa cristallisation pour en faire du miel crémeux. Pour cela, il suffit de la replacer dans des conditions proches de l'optimum thermique de 14°C. Un brassage régulier fera le reste. Et nous produirons un miel de colza agréable à consommer et de longue conservation (5) ...

Pour qu'il soit de qualité, il faudra également qu'il ne contienne pas d'antibiotiques, de produits phytosanitaires quels qu'ils soient (apicoles ou agricoles), qu'il soit conditionné dans des récipients compatibles avec des denrées alimentaires acides mais tout cela est une autre histoire qui s'applique à tous les miels. J'aurai l'occasion d'y revenir...

Glossaire

  1. Colza vient du flamand " koolsaed " = semence de chou (kool=chou ; saed = semence)
  2. Ce terme, toujours très utilisé, est en principe impropre car une plante ne produit directement pas du miel mais du nectar et/ou du pollen. On ne devrait donc parler que de plantes nectarifères ou pollenifères...
  3. Il est aberrant de vouloir rendre, comme on le voit parfois, des miels de colza liquides. Leur composition chimique s'oppose à cet état. La liquéfaction ne pourra être obtenu qu'au prix d'une dégradation importante du produit qui de toute façon sera instable et qui recristallisera de façon anarchique.
  4. Surtout ne jamais donner de miel fermenté pour le nourrissage des abeilles. D'une part, certains des sous produits de fermentation sont toxiques, mais faisant cela vous faites un ensemencement en levures dans votre colonie... De quoi assurer la fermentation de vos productions futures...
  5. Les miels de colza sont utilisés dans l'ensemencement de certains miels dont on veut contrôler la cristallisation. C'est presque toujours le cas pour les miels de trèfle blanc du Canada.

 P. Schweitzer - Laboratoire d'analyses et d'écologie apicole