Les abeilles du Cap choisissent leur avenir (2007)
Françoise Dupuy Maury

Les larves d'Apis mellifera capensis sont de parfaits parasites sociaux d'autres abeilles. Leurs invasions leur permettent de devenir des pseudos reines. Un choix délibéré dès leur plus jeune âge.

Dès le berceau, les abeilles du Cap seraient capables de manipuler leurs nourrices. Cette découverte faite par des entomologistes néerlandais remet en cause le principe selon lequel les larves ne sont pas maître de leur devenir social au sein de la ruche. L’étude de ces Apis mellifera capensis montrent que non seulement elles sont capables de coloniser les redoutables "tueuses" africaines que sont les Apis mellifera scutellata mais qu’en plus elles développent ces capacités dès le stade larvaire.

abeilles du cap 2
Les abeilles du Cap (noires)
"cohabitent" avec les scutellata (jaunes)

En général, la caste sociale des abeilles est déterminée par une nourriture sélective des larves femelles. Celles qui sont destinées à être reines reçoivent de la gelée royale et une nourriture abondante contrairement à celles qui deviendront ouvrières. Ces nuances dans l’alimentation entraînent des différences morphologiques. Dans la nature, les larves d’Apis mellifera capensis qui ont colonisé les scutellata deviennent des pseudos-reines, c’est-à-dire des ouvrières avec les caractéristiques morphologiques royales. Pour étudier ce phénomène, Madeleine Beekman et ses collègues de l’université d’agriculture de Wageningen ont mis en contact des abeilles sud-africaines avec des colonies européennes, moins dangereuses à manipuler que les fameuses "tueuses".

Les couvées capensis élevées par les européennes reçoivent plus de nourriture que lorsqu’elles sont nourries par leur "famille" d’origine. Ce n’est pas parce que les abeilles du vieux continent sont naturellement plus généreuses. Pour leurs propres larves, ces dernières ne sont pas aussi prolixes. De plus, la composition de la nourriture qu’elles proposent à leurs hôtes capensis est presque similaire à la gelée royale. Ce traitement privilégié entraîne, en parallèle, une diminution des attributs fonctionnels ouvriers et une augmentation des caractéristiques propres aux reines. En fait le traitement royal des couvées capensis par les ouvrières européennes a le même effet qu’une hormone juvénile. Ces futures pseudos-reines se sont donc comportées dès le stade larvaire comme des parasites sociaux capables d’influer sur leur avenir.

abeilles du cap 1
Les rayons contiennent un grand  nombre d'oeufs
pondus par les ouvrières capensis

Il semblerait que ce soit ce phénomène qui est à l’origine de l’affaiblissement des redoutables "tueuses" lorsqu’elles sont colonisées par les capensis. Alors qu’il y a à peine vingt ans, on craignait de voir les abeilles du Cap dévorées toutes crues par les scutellata, aujourd’hui, le gouvernement sud-africain dépense des millions de dollars pour protéger ces dernières et éliminer leurs parasites. Il s’agit de sauver l’apiculture et ses dérivés industriels et plus largement l’agriculture et l’horticulture basées sur la pollinisation. Si les Sud-Africains réussissent à évincer les Apis mellifera capensis, ces dernières n’auront plus qu’à immigrer aux Etats-Unis. Elles seront sans doute accueillies en héroïnes car, entre 1990 et 1999, les scutellata y ont fait cinq victimes et ont tué un grand nombre d’animaux domestiques.
Françoise Dupuy Maury