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conseils hiver 1

Quelques conseils à propos des ruches et du rucher en hiver (2002)
Par F. Anchling

Présentement...
Janvier, année de l'euro mais aussi première page du calendrier 2002 que vous offre votre journal en encart central. A détacher soigneusement, en retirer les 4 pages du registre d'élevage à inclure dans le cahier complet paru en octobre 2001. Retirer également si vous le souhaitez, la couverture du calendrier dont l'intérieur est un calendrier d'élevage de reines. Pour faciliter cette opération, notre imprimeur a procédé à un double agrafage qui permet de détacher l'ensemble de l'encart sans endommager l'assemblage du reste du journal.

Fidèles à la tradition, les deux rédacteurs de cette rubrique, mon collègue Bruno Cartel et moi-même souhaitons à tous les apiculteurs et à leurs familles une santé radieuse et une bonne année apicole, une année de paix avec notre environnement, sans tempêtes dévastatrices ni pertes hivernales insoutenables, peu de varroas, pas d'intoxications et de merveilleuses et abondantes récoltes.

En ce début d'année il est permis de rêver un peu, l'apiculture n'est-elle pas la plus belle passion de ce monde ? Et après tout, on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve. Certains poseront peut-être la question : «cette page des jeunes, pourquoi recommencer tous les ans avec les mêmes conseils, les mêmes remarques ?» Naturellement, chaque année se répète un peu n'importe comment, un peu n'importe où. Néanmoins chaque apiculteur suit un parcours personnel et individuel avec ses abeilles et fréquemment lors des réunions, l'on entend dire : «c'est quand même bizarre, j'ai tout programmé comme l'année dernière et mes colonies réagissent différemment». Ce sont ces parcours, chaque année différents que la page des jeunes essaie de faire connaître aux commençants et aux jeunes apiculteurs.

De plus, les années se suivent et ne se ressemblent pas : le passage de 1999 à 2000 a été marqué par la formidable tempête dont les dégâts sont encore visibles en maints endroits (ruchers dévastés et non reconstruits ; stocks de grumes en attente de preneurs ; etc.). Le passage de 2000 à 2001 a vu la très forte mobilisation des apiculteurs contre le Gaucho ; le début de l'année 2001 a été catastrophique, obligeant les apiculteurs à nourrir leurs colonies en plein mois de mai, du jamais vu (c'est ce que l'on dit pour s'excuser de nos trous de mémoire). Que nous réserve 2002 ? Nous ne le savons pas, mais nos protégées doivent certainement en avoir une petite idée et ont tout prévu pour ne pas être prises au dépourvu.

Mais alors que se passe-t-il dans mes ruches ?
Alors que les mammifères et aussi les oiseaux ont la possibilité de conserver une température corporelle constante, les insectes dont l'abeille sont soumis sans aucun égard, aux variations de température de leur environnement, ce qui conditionne leur activité. Le corps de l'abeille ne comporte aucune isolation et transmet très rapidement sa chaleur à l'environnement.

L'abeille isolée, en fonction de sa constitution et surtout de sa contenance en fructose, perd plus ou moins rapidement ses capacités de vol lorsque la température ambiante stagne aux environs de 10° et en deçà de 7° elle est paralysée et se laisse mourir. Pourtant au printemps il n'est pas rare de voir des porteuses d'eau voler par basse température grâce à la chaleur produite par le mouvement de leurs muscles alliaires. Malheureusement beaucoup succombent à cet effort inconsidéré. Pour pallier la fragilité de l'abeille isolée, la nature a doté cette sous-espèce d'hyménoptère d'un esprit communautaire « l'unité abeille » qui a la possibilité de régler la température du groupe en fonction de ses besoins. Par une augmentation du métabolisme (consommation de graisses et glucides) de ses muscles alliaires sans battre des ailes, elle est capable d'augmenter en très peu de temps la température de sa poitrine de 10°. Le reste du corps restant à une température inférieure.

Dès que l'atmosphère se refroidit, l'unité abeille commence à se regrouper et à partir de 6° elle prend ses dispositions de survie en formant une grappe plus ou moins sphérique dont la partie supérieure reste en contact avec les réserves de miel. En fonction de la température extérieure la grappe se contracte ou se relâche surtout dans la partie haute. A ce stade la tête des abeilles est dirigée vers le haut. Dans les périodes de forte contraction, les têtes sont dirigées vers le centre de la grappe.

En l'absence de couvain la chaleur mesurée au centre de la grappe est de 20° et augmente à 34-35° dès que commence un élevage même très réduit. Nous savons que le cycle biologique d'une colonie est fortement influencé par les mouvements du soleil, qui dès le solstice d'hiver, reprend sa montée au-dessus de l'horizon.

La grappe est entourée d'une enveloppe composée de corps d'abeilles serrées les unes contre les autres qui créent une couche isolante, afin de réduire les déperditions de chaleur. Sous cette enveloppe les abeilles sont moins serrées. Elles produisent la chaleur nécessaire à la survie de la grappe. Cette chaleur est propulsée dans de petits couloirs jusqu'aux abeilles extérieures. De plus lorsque la température des abeilles de la couronne extérieure atteint 9°, celles-ci reviennent au centre pour se nourrir et se réchauffer.

Faut-il isoler les ruches ?
Compte tenu de tout ce que nous venons d'apprendre, ne serait-il pas bienvenu d'emballer les ruches pour éviter les déperditions de chaleur et aider nos peuples à passer un bon hiver ? Cette question est un sujet de discussions récurrent chez les apiculteurs.

Ce qui est appelé la grappe hivernale n'est pas un ensemble homogène en dépit de l'image que l'on peut s'en faire. En réalité il s'agit d'une structure composée d'individus, en gros une tranche d'abeilles de 10 mm d'épaisseur installées dans les ruelles entre les cadres, pour certaines plongées dans les alvéoles vides et des tranches de cadres de 25 mm d'épaisseur. Les limites des tranches d'abeilles définissent aussi les limites des tranches de cadres. Les tranches de cadres s'imprègnent de la chaleur des tranches d'abeilles. Et cet ensemble forme au sens physique du terme le diffuseur de chaleur. A l'extérieur de ce diffuseur se trouve un volume d'air qui est lui aussi découpé en tranches entre les cadres. Il a été maintes fois prouvé que l'air est le meilleur isolant.

De nombreuses expériences ont été conduites par les instituts de recherche, relatives à la consommation comparative mais surtout aux capacités de développement printanier. S'il est certain que la consommation d'une colonie exposée à tous les vents est supérieure à celle d'une colonie emballée dans des proportions allant de 10 à 15 %, son développement bien que plus tardif est beaucoup plus fulgurant car disposant de plus d'abeilles reposées. En effet une colonie trompée par une ambiance plus chaude se mettra à élever du couvain plus tôt obligeant les abeilles à sortir pour récolter de l'eau encore glacée, avec tous les risques en résultant. Ces études ont même conduit les chercheurs à recommander de ne pas fermer les planchers grillagés pendant l'hiver.

Cette recommandation présente un autre avantage : celui d'éviter la nosémose, maladie en recrudescence chez les nourrices qui doivent commencer trop tôt l'élevage du couvain. De même la moisissure des cadres de rive est évitée.

Mais alors que puis-je faire pour le bonheur de mes abeilles ?
Pendant les mois d'hiver le premier et plus grand commandement s'appelle « la paix S.V.P. ». Ce qui ne signifie nullement abandon. Des visites régulières s'imposent pour s'assurer que rien d'anormal ne se produit : toit emporté ; ruche renversée...

Il ne faut pas s'affoler des mortalités constatées et par période froide, de l'amoncellement de cadavres sur les fonds de ruches. En hiver la mort naturelle touche en moyenne une trentaine d'abeilles par jour soit 3 000 en trois mois. Si le froid est vif, personne ne sort ces cadavres qui s'entassent sur les planchers. Il est souhaitable mais non obligatoire si la froidure se prolonge, de les extraire avec un crochet mais sans bruit ni mouvement qui pourrait inquiéter la grappe.

Les chutes de neige ne sont pas à craindre même si elles obstruent le trou de vol. La neige est perméable à l'air. Elle devient un problème en cas de gel ou de dégel car la glace qui souvent en résulte est imperméable à l'air et nos protégées ont besoin d'air.

La neige est encore un problème quand elle est tombée sur un sol gelé et que le soleil réchauffe suffisamment l'atmosphère, incitant les butineuses à un vol de propreté. Les apiculteurs ont l'habitude de répandre devant les ruches de la paille ou des cendres, afin que les abeilles trouvent à se poser ailleurs que sur la neige glacée, piège mortel.

On peut d'ailleurs poser une tuile ou une planche pour masquer l'entrée de la ruche, de sorte que c'est seulement la chaleur de l'air et non la clarté d'un rayon de soleil qui les invite à s'aventurer au dehors. Cet obstacle est retiré au printemps quand l'activité a repris. Il ne faut pas se préoccuper non plus des abeilles qui sortent par le froid, si leur sortie n'est pas provoquée par un dérangement ou un accident. Ce sont généralement des malades qui partent pour mourir.

Lorsque le soleil et la chaleur invitent à un vol de propreté, alors vite au rucher pour vérifier que tout est en ordre.

Il existe un livre que l'on peut se procurer à la bibliothèque du Syndicat « Au trou de vol » qui donne et explique tous les cas de figures que l'on peut rencontrer pendant les mois d'hiver et permet de suivre sans bruit la vie de nos protégées pendant leur longue claustration L'observation des situations décrites par H. Storch et les explications détaillées qu'il en fournit, résultat d'une très longue expérience, permettent de vivre avec nos colonies sans voir la tête d'une seule abeille.

Que faire en attendant que le rucher s'active ?
Tout d'abord se former et s'informer. Les techniques apicoles évoluent, fruit de la recherche, des observations et des expériences conduites par des scientifiques mais aussi par de nombreux apiculteurs passionnés. Le jeune apiculteur peut en tirer le meilleur parti pour son exploitation sans pour autant renier ce qui se faisait hier encore.

Il ne faut pas oublier que jadis notre environnement ne connaissait pas encore la monoculture sur de grandes surfaces, ni les herbicides, insecticides et pesticides, non plus que le varroa. L'apiculture était florissante et très largement répandue dans les campagnes et même dans les villes. Personne ne craignait les abeilles. Elles faisaient partie du paysage et les allergies n'étaient connues que de la médecine. L'apiculteur conduisait son élevage selon des règles naturelles établies par l'usage et la tradition et faisait des récoltes abondantes, sur des milliards de fleurs aujourd'hui disparues, sans connaître les pertes hivernales parfois inexpliquées de ces dernières années.

Aujourd'hui l'abeille est devenue dépendante de l'homme (l'abeille sauvage n'existe pratiquement plus) et l'on peut affirmer que chaque rucher est devenu une œuvre d'intérêt public. Heureusement les connaissances scientifiques et techniques ont beaucoup évolué et ont permis d'éviter sa disparition. Aujourd'hui on ne peut plus s'improviser apiculteur en héritant le rucher d'un parent ou en mettant des ruches au fond de son jardin. On le devient par une formation adéquate.

Une littérature très abondante permet d'acquérir les connaissances de base : les techniques de conduite d'un rucher, la biologie de l'abeille, la pathologie etc....et les syndicats dispensent des formations pratiques qui sont très suivies.

Etablir un programme
Pour ne pas être pris au dépourvu lorsque le rucher s'animera, nous profiterons de la période hivernale pour établir un programme de développement basé sur les relevés de l'année précédente.

Quel objectif : augmentation du cheptel ou stabilité ?
Mais alors que faire des essaims éventuels. Si je les garde il faut organiser leur logement, ruchettes, cadres, ruches, plateaux grillagés. Si au contraire je veux les revendre, il me faut des ruchettes. Y aura-t-il des investissements, combien, chez qui etc...

La pratique d'une apiculture performante exige des colonies fortes entraînées par de jeunes reines. Les relevés de l'année précédente indiquent l'âge des reines et l'expérience prouve qu'il est prudent d'en changer tous les deux ans. Il faut décider si l'on pratique soi-même un élevage ou si l'on fait appel à un revendeur, éventuellement au rucher-école de son syndicat.

De même le renouvellement des cires à effectuer tous les trois ans oblige à programmer la fonte des vieux rayons, le nettoyage des cadres, la pose de nouveaux fils, l'achat de cires gaufrées pour ne pas être démuni au moment voulu.

C'est aussi la période propice à la remise en état du matériel : peinture, réparations, éventuellement renouvellement. Cet entretien se fait par roulement et oblige à avoir un surplus de matériel, acheté entièrement monté ou en kit selon le temps dont on dispose. Tout apiculteur est aussi un bricoleur. La période hivernale est favorable pour construire ces petits plus qui facilitent le travail à l'atelier.

Ce programme d'intervention sera complété par l'enregistrement des observations faites au cours de l'année sur le registre d'élevage et les fiches de suivi des colonies. N'oubliez pas de détacher au centre du journal les feuillets 2002.

Le suivi des colonies et la prise de notes au rucher ont pour but : premièrement d'enregistrer les opérations effectuées sur chaque colonie et de confirmer ou modifier le planning initial des travaux au rucher, deuxièmement d'évaluer leurs performances.

Réorganiser l'implantation du rucher
Une colonie privée de sortie pendant trois semaines (par suite de froidure ou neige) a perdu la mémoire de son emplacement et doit effectuer des vols de reconnaissance. Il faut profiter de ce phénomène pour réorganiser si nécessaire la disposition ou l'emplacement des ruches dans le rucher.

L'emplacement des ruches a une grande importance. Elles doivent être abritées aussi bien du soleil de l'été que des vents froids de l'hiver. Un bois d'acacia est l'idéal. Le soleil de printemps pénétrera jusqu'aux ruches et après floraison, le feuillage protègera des rayons trop ardents du soleil. Les abeilles craignent davantage l'humidité que le froid, il faudrait fuir les bas-fonds.

Il faut aussi éviter les grands alignements de ruches qui flattent l'œil, mais présentent de nombreux inconvénients :

  • ces alignements n'existent nulle part dans la nature et l'abeille est désorientée
  • une butineuse revient le plus souvent exténuée et s'abat sur la première entrée à sa portée et comme elle arrive chargée de butin elle est acceptée sans problème : c'est la dérive. 
  • on constate que les ruches des extrémités sont gonflées de butineuses, au détriment de celles du centre ce qui accentue le risque d'essaimage
  • les maladies sont plus facilement disséminées
  • les jeunes reines vierges trouvent difficilement leur ruche surtout s'il y a du vent
  • par conséquent, impossibilité de déterminer la valeur exacte d'une colonie.

Alors appliquons ce vieux proverbe « un beau désordre est un effet de l'art »

Bon courage et bon travail.
F. Anchling