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Quand le soleil vous invite à sortir (2004)
Par F. Anchling
Quand le soleil vous invite à sortir, il n'y a pas que les abeilles qui soient atteintes par la fièvre du printemps. Celle-ci saisit toute la nature et nous aussi. L'hiver s'en est allé ou presque, car début mars on a encore fréquemment de fortes variations de températures et des sautes d'humeur : tempêtes, pluies, neige, soleil et gel nocturne.
Pour moi mars est un mois calme et favorable à la contemplation. Le travail au rucher n'est pas encore très prenant et souvent je prends le temps de m'attarder un bon moment sans rien faire pour admirer l'activité de mes colonies tout en me laissant réchauffer par le soleil.
Quand par une belle et chaude journée de mars l'activité est intense et que le trou de vol est encombré par des butineuses chargées de pollen qui se bousculent, alors je sais que le printemps est arrivé ; la colonie se développe, les surfaces de couvain s'agrandissent plus ou moins selon l'âge de la reine. Mais attention, la consommation des réserves est importante et la question se pose presque toujours : sont-elles suffisantes ? En cas de refroidissement de l'atmosphère, une forte colonie peut être mise en grandes difficultés si ses provisions sont insuffisantes.
Que peut-on faire pour aider nos peuples ?
Très peu de choses tant que la température est inférieure à 17° à l'ombre, sauf observer régulièrement et attentivement le trou de vol.
C'est lui qui nous transmettra avec exactitude les souhaits et besoins de la colonie.
D'ailleurs toute l'année, à chaque arrivée au rucher, je commence par une visite générale des trous de vol pour me faire une idée de l'activité globale. Ces premières constatations orientent et guident mes observations suivantes. Les colonies orphelines ou bourdonneuses sont fréquemment pillées surtout en période de disette et il faut au plus vite remédier à cette agressivité qui peut gagner tout le rucher.
I - Que peut-on déduire de nos observations?
Á Lorsque l'activité est soutenue et que de nombreuses butineuses sortent et rentrent activement en rapportant du pollen, tout est en ordre et la planche d'envol est propre. Le regard est attiré par des vols d'abeilles regardant la ruche, qui s'éloignent en traçant des cercles de plus en plus grands (ce sont de jeunes abeilles qui repèrent leur habitacle) et l'on peut voir en même temps certaines de leurs consœurs plaquées sur la planche d'envol, l'abdomen relevé vers le ciel (elles battent le rappel en émettant une phéromone pour permettre aux nouvelles de reconnaître et retrouver leur maison).
- Lorsque la colonie vole irrégulièrement, ne rentre pas ou très peu de pollen, nous avons affaire à une colonie faible, à visiter le plus tôt possible pour en trouver la cause et y palier. Elle a peut être simplement mal hiverné mais risque également d'être orpheline ou bourdonneuse
- Lorsque les abeilles traînent sur la planche d'envol d'une façon désordonnée, que des abeilles mortes l'encombrent, que certaines ont des ailes atrophiées, il faut craindre que varroa ait pris le dessus ; réaliser de suite un traitement anti-varroa pour éviter une contamination du rucher (soit avec de l'acide formique en traitement de choc, soit avec deux lanières d'Apivar.
- Les périodes froides avec des nuits glaciales sont préjudiciables au couvain que les abeilles en nombre insuffisant ne peuvent pas couvrir. On retrouve sur la planche d'envol des larves ou des nymphes noires ou grises de consistance molle. Ce n'est pas une maladie, il n'y a donc rien à faire. On ne peut que se poser la question de savoir pourquoi ces larves n'ont pas pu être réchauffées suffisamment.
- Les planches d'envol peuvent aussi, malheureusement, porter les indices de maladies : des déjections sur la planche d'envol ou le devant de la ruche (présomption de nosémose) ; des nymphes blanches ou noires dures comme du plâtre (présomption de couvain plâtré); abeilles accrochées aux brins d'herbe, les ailes en croix (présomption d'acariose).
Tout phénomène inquiétant ou incompréhensible doit être signalé aux spécialistes apicoles qui vous viendront en aide.
II - Une bonne colonie a besoin de pollen, de réserves de nourriture et d'eau.
Début mars les colonies perdent de plus en plus leurs vieilles abeilles, d'une part de mort naturelle, mais aussi parce que les butineuses et les porteuses d'eau prennent beaucoup de risques pour satisfaire les besoins de la jeune génération qui n'est pas encore en mesure de prendre la relève.
Le besoin de pollen : pour satisfaire ce besoin, le rucher doit être installé à un bon emplacement. Il peut être nécessaire de déplacer les ruches pour bénéficier des largesses de la nature bien souvent réduites par l'extension des activités humaines. En mars nos ruches sont en manque de butineuses et il faut essayer de réduire la distance qu'elles auront à parcourir pour ramener le précieux pollen dont les nourrices auront besoin.
Le bon emplacement : ce ne sont pas toujours les débutants qui doivent chercher un bon emplacement pour leurs abeilles. Par suite des viabilisations ou de l'extension des zones constructibles, de nombreux apiculteurs ont dû s'expatrier et chercher des emplacements à l'extérieur des communes. Les possibilités ne sont pas très répandues et l'apiculteur est heureux de trouver un emplacement qui convient à l'installation de ses colonies. Les avantages d'un emplacement extérieur aux communes sont indéniables : plus de problèmes avec les vols de propreté ; plus de problèmes avec l'inquiétude des voisins lorsqu'une abeille s'approche de leur piscine. Par contre les inconvénients ne sont pas minces : risque de vol ou de vandalisme.
L'emplacement doit être chaud, sec, à l'abri des vents, ne pas être situé dans un bas-fond, à l'abri des brouillards ; l'idéal est une pente pleine sud.
Une chose est sure, le plaisir de pratiquer l'apiculture est aussi en rapport avec la situation du rucher.
Contrôle des provisions : il n'est naturellement pas question d'ouvrir les ruches, sauf nécessité. Néanmoins il faut bien savoir que le manque de provisions inhibe les capacités de ponte de la reine et freine les possibilités de développement de la grappe ; lors de la floraison des colzas, les bataillons de butineuses nécessaires pour la première récolte seront absents. On va devoir s'assurer que la colonie dispose de réserves suffisantes pour ne pas être obligée de jeûner. Pendant les mois d'hiver, la consommation moyenne varie suivant l'importance de la grappe de 1 à 1,5 kilos par mois ; mais dès février la ruche consomme facilement de 1,5 à 2 kilos de provisions, en mars de 3 à 4 kilos et en avril de 4 à 5 kilos. La première précaution à prendre est donc de soupeser les ruches afin de détecter les plus légères et de pouvoir leur venir en aide si nécessaire.
La méthode la plus juste serait naturellement le pesage de chaque ruche avec un peson, ce qui n'est pas évident. Mais l'on peut intervenir par comparaison en soupesant d'abord une ruche vide et ensuite en comparant avec chacune des autres.
Attention donc, ce sont les colonies les plus fortes, les plus dynamiques qui seront les premières victimes, parce que se sont celles qui en démarrant très vite ont le plus puisé dans les stocks. Les très bonnes reines se trouvant à la tête de grandes familles commencent leur ponte très tôt et comme les ressources extérieures sont inexistantes, les nourrices doivent puiser abondamment dans les provisions pour nourrir toutes ces larves au berceau. D'autre part, plus la température extérieure est basse, plus les nourrices consomment pour produire la chaleur nécessaire au maintien des 35° de la pouponnière. C'est sans risque si les alvéoles sont bien remplies.
Je recommande tous les ans de couvrir les ruches par une vitre (verre ou plastique) ce qui permet de visualiser sans déperdition de chaleur pour la colonie son siège et son extension.
Lorsqu'en mars une colonie n'a plus que trois cadres de nourriture, c'est trop juste et il faut lui venir en aide. Le moyen le plus approprié est un cadre de nourriture récupéré à l'automne sur une colonie qui a été supprimée et que l'on tenait en réserve, car celui-ci contient un sucre prédigéré. Autres méthodes : mettre un sachet de nourriture solide au-dessus de la grappe ou du sirop dans un cadre nourrisseur - cadre placé contre la grappe ou même un cadre bien étiré que l'on peut remplir de sirop et placer contre la grappe. Aussi longtemps qu'il est maintenu verticalement, le sirop reste dans les alvéoles.
Les besoins en eau
L'eau joue un rôle essentiel dans le métabolisme de l'abeille. Au printemps, de très grandes quantités d'eau sont nécessaires au développement des premiers couvains. L'eau est indispensable pour liquéfier le miel nécessaire à l'alimentation des larves et à la digestion des réserves de pollen afin de produire la bouillie larvaire. Si l'eau vient à manquer, le pollen consommé sera mal digéré et peut provoquer des constipations qui conduisent à de graves perturbations des nourrices, que l'on retrouvera sur la planche de vol, incapables de voler, marchant en crabe avec une ampoule rectale dilatée et douloureuse.
De même, pour tenir le couvain au chaud, il faut développer de l'énergie et pour cela il faut consommer des provisions liquéfiées avec de l'eau.
Au printemps l'eau est encore froide et très souvent les pourvoyeuses, paralysées, meurent en route et sont perdues pour une population déjà très réduite.
Des observations scientifiques ont étudié les problèmes de la consommation d'eau et ont noté qu'une porteuse d'eau fait en moyenne 50 sorties par jour, qu'elle transporte à chaque sortie 25 mg d'eau. Cela signifie un apport journalier d'environ 1,25 grammes par abeille. Une colonie forte a besoin d'environ 500 ml d'eau par jour ce qui mobilise 450 porteuses.
Le travail des porteuses d'eau est beaucoup plus risqué que celui des butineuses de pollen ou de nectar. Les observations conduites par Woyciechowski sur différents ruchers en divers emplacements ont clairement démontré que la vie des pourvoyeuses d'eau est beaucoup plus courte que celle des butineuses. Lors d'une première expérience, des butineuses et des pourvoyeuses marquées qui s'alimentaient à des sources respectives de sirop et d'eau ont été capturées et relâchées à 300 mètres de leurs ruches ; 20 secondes plus tard 91 % des butineuses sont revenues à la ruche mais seulement 7 % des pourvoyeuses d'eau. Une deuxième expérience qui avait pour but de contrôler la quantité de nourriture, c'est-à-dire le carburant emporté par les ouvrières à leur départ de la ruche ont donné les résultats suivants : le jabot des butineuses contenait en moyenne 0,134 mg de matière combustible et celui des pourvoyeuses 0,634 mg. Cela prouve nettement la pénibilité du travail.
C'est pourquoi il est recommandé d'installer des abreuvoirs à proximité du rucher. Ces abreuvoirs seront couverts afin d'éviter une pollution de l'eau par les déjections des abeilles, protégés des vents dominants et ouverts au soleil. Au printemps, compte tenu de la fraîcheur de l'atmosphère, l'eau sera contenue dans des bouteilles renversées dont le couvercle twist off sera percé de petits trous pour l'écoulement du liquide sucé par les abeilles.
Il est certain que nos abeilles préféreront de l'eau de source ou celle d'un étang à l'eau des abreuvoirs. Il nous suffit d'observer comme les butineuses sucent la rosée sur les brins d'herbe au matin, ainsi que dans les feuilles de salade au jardin. Néanmoins compte-tenu de la pollution des eaux environnantes, l'abreuvoir devra être toujours approvisionné en eau fréquemment renouvelée.
Pour les habituer à fréquenter l'abreuvoir, on les attire les deux, trois premiers jours avec un sirop d'eau miellée à la concentration de 1:1, puis en diminuant légèrement la concentration, pour arriver à leur donner de l'eau légèrement salée, à raison d'une cuillère à café pour dix litres d'eau. Il est aussi possible d'approvisionner l'abreuvoir avec l'eau d'un étang ou d'un marais légèrement diluée.
Cette eau contient des minéraux et des ferments qui sont naturellement privilégiés par une porteuse d'eau. Il est également possible de leur donner de l'eau dans la ruche même, en utilisant les mêmes procédés que pour le nourrissement d'urgence.
III - Nettoyage des plateaux.
Par temps calme, pas trop froid, nous pouvons relever les grilles à arcades et remplacer les plateaux de nos ruches, qu'ils soient pleins ou grillagés. C'est une opération qui se déroule très rapidement, sans heurts et qui ne perturbe pas les abeilles. Il est intéressant au départ d'avoir un ou plusieurs plateaux nettoyés, désinfectés et propres. Il faudra aussi se munir d'un pied de biche, d'une spatule d'une lampe à souder, d'un seau d'eau fortement javellisée (un berlingot pour 5 litres d'eau allongée avec un peu de liquide vaisselle pour servir de mouillant).
Comment procéder ? Un petit jet de fumée dans l'entrée met les abeilles en bruissement, puis on décolle le plancher ; la ruche enlevée est posée à l'écart, le plateau est déposé, remplacé par le plateau propre et la ruche remise en place. On s'éloigne un peu du rucher, on examine soigneusement le plateau enlevé car il porte l'empreinte du vécu de la colonie pendant sa période hivernale. Pour les plateaux pleins, c'est une source de renseignements étonnants et très fiables qui complètent les observations relevées sur la planche d'envol. Il est fortement conseillé de prendre note des constatations faites et même si vous voulez, de faire une photo qui vous permettra d'étudier tout à loisir ce que les déchets vous révèlent.
Ce plateau est gratté, désinfecté, passé à la flamme en insistant dans les coins et va resservir pour la ruche suivante. Les plateaux plastiques seront lavés, fortement brossés en insistant beaucoup dans les coins. On laisse égoutter et on peut les réutiliser immédiatement pour passer à la ruche suivante. Toutes mes ruches sont installées sur des plateaux grillagés et tout au long de l'hiver, par période de quinze jours, le dimanche après-midi, j'ai pu contrôler la survie de chaque colonie endormie en relevant les indices de ses mouvements sur le lange glissé sous le plateau.
IV - Que faire des ruches à problèmes ?
Sauf dans le midi de la France, dans les autres régions il sera cette année certainement impossible de procéder à la visite de printemps au courant du mois de mars et elle devra être reportée au mois d'avril. Cependant, les ruches à problèmes, problèmes que nous avons relevés en observant la planche d'envol, problèmes confirmés par l'étude des plateaux, ne peuvent être laissées en l'état, au risque de perdre des butineuses qui permettraient de renforcer d'autres colonies.
Les problèmes rencontrés sont de trois sortes : ruches affaiblies par une maladie à éliminer du rucher ; ruches orphelines, ruches bourdonneuses.
Par une journée calme dont la température est > 15° nous ouvrons la ruche et examinons rapidement les cadres de couvain.
Les cellules sont bombées, disposées irrégulièrement, c'est le cas typique d'une ruche dont les oeufs non fécondés ne donnent pas d'ouvrières mais uniquement des faux-bourdons. Ceux- ci prenant plus de place que les ouvrières, les abeilles allongent la cellule qui prend alors un aspect boursouflé. Ce n'est pas une maladie mais cette colonie va rapidement mourir faute de relève. L'origine de ce phénomène est diverse.
Quand la reine est vieillie, usée, elle n'a plus de semence. De ce fait elle ne pond plus que des oeufs infertiles. Soit c'est une reine de la fin d'année qui n'a pas reçu suffisamment de semences par manque de partenaires ou bien parce que le mauvais temps ne lui a pas permis d'accomplir un vol nuptial suffisamment prolongé. Il faut alors ausculter les cadres avec beaucoup d'attention.
La colonie est orpheline quand elle a perdu sa reine : mort prématurée, accident ou infertilité et que les ouvrières ne peuvent plus la remplacer, parce qu'il n'y a plus de jeunes larves pour ce faire et que la jeune remplaçante attendue n'est pas sortie ou encore qu'elle n'est pas rentrée de son vol nuptial. Si les oeufs sont disposés régulièrement au fond des alvéoles, la mère est encore présente. Il faut la rechercher, l'éliminer et les abeilles peuvent être réunies pour renforcer une autre colonie.
Lorsque la phéromone royale est absente, certaines ouvrières développent leurs ovaires et pondent alors des oeufs infertiles car non fécondés. Rien ne permet de les distinguer des autres ouvrières si on ne les prend pas en train de pondre. Et pendant ce temps, l'ensemble de la colonie a vieilli. Il faut alors ausculter avec beaucoup de soin les cadres. Si les oeufs sont disséminés et qu'on en trouve quelquefois plusieurs dans la même alvéole on dit que la colonie est bourdonneuse.
Une colonie bourdonneuse doit être éliminée car on ne peut rien en faire. On l'emporte à au moins 100 mètres du rucher et l'on vide les abeilles parterre. Celles qui peuvent voler retourneront vers le rucher et mendieront leur acceptation dans les autres ruches. L'éloignement du rucher est important car les abeilles pondeuses ne peuvent plus voler et ne risquent pas d'apporter le désordre dans les autres colonies.
Si la reine avait été marquée aux couleurs de l'année, on aurait pu la retrouver très rapidement.
V - Le marquage des reines aux couleurs de l'année
Il y a beaucoup de raisons de marquer les reines.
D'une part, cela permet de les retrouver plus rapidement dans la cohue qui les entoure et d'autre part leur âge est trahi par la couleur de l'année.
Depuis que nous subissons l'infestation de varroa, il y a obligation de les remplacer et c'est devenu une nécessité tous les deux ans.
De plus, cela permet de contrôler si en cours d'année il n'y a pas eu un remplacement passé inaperçu qui nous donne une reine dont on ne connaît pas grand-chose.
Pour marquer les reines, nous utilisons de petites plaquettes colorées ou un crayon de couleur ou un petit pinceau et de la laque.
La suite des couleurs de marquage est blanc, jaune, rouge vert et bleu. Cette année est rouge.
Mais au fait quelle est l'origine du marquage des reines ?
Dès le milieu du XIXe siècle avec la découverte des ruches à cadres mobiles, il est devenu possible d'ausculter l'intérieur des colonies et aussi de voir la reine au travail. Ce qui a donné l'idée de lui couper une aile pour en surveiller l'essaimage et aussi son remplacement. Vers la fin du XIXe siècle, quelques auteurs écrivaient déjà qu'ils marquaient leurs reines.
C'est en 1887 que J. G. Betzler entreprit de faire adopter trois couleurs pour le marquage des reines : le jaune, le rouge, le blanc. Puis en 1922 Guido Sklenar (professeur et éleveur) recommanda de prendre quatre couleurs: le bleu, le jaune, le rouge et le blanc.
C'est seulement en 1965 que Edmond Hérold expliqua le casse-tête que représentait l'utilisation de quatre couleurs et il convainquit l'apiculture d'adopter les cinq couleurs que nous connaissons actuellement et de les utiliser en allant du clair au foncé.
VI - Comment l'abeille maîtrise-t-elle la climatisation du nid à couvain ?*
La climatisation du nid à couvain fait partie des plus formidables obligations de l'abeille mellifère. La singularité et les moyens de cette opération commencent seulement à être compris et découverts. Le but de la climatisation consiste à maintenir le nid à couvain à une température qui oscille entre 33 et 36 degrés.
Pourquoi ? On a étudié les répercussions de différentes températures sur du couvain. Et l'on a constaté que plus la température chute au-dessous de la température optimale, plus le nombre de malformations augmente. Par contre si la température s'élève au-dessus de la température optimale, la durée du développement des larves diminue. On a aussi découvert que les larves qui baignent dans une température constante de 35 degrés sont plus intelligentes que celles qui n'ont bénéficié que de 33 degrés.
Au cours de très nombreuses observations, les chercheurs ont pu observer avec étonnement des abeilles assises sur le couvain, d'autres affalées de toute leur longueur, d'autres encore qui disparaissaient entièrement dans des cellules vides entre les alvéoles contenant du couvain.
Une abeille chaufferette plaque son thorax sur le couvercle
bombé d’une cellule. Son thorax développe 41°
En position normale, l’abeille ne repose pas son
abdomen sur la surface sous elle
Pourquoi de tels comportements ?
C'est ce qu'une équipe de chercheurs conduite par le professeur Jürgen Tautz du Centre de Biologie de l'Université de Würzburg a voulu savoir. Il a exposé les toutes nouvelles connaissances concernant la thermo-régulation du nid à couvain par l'abeille.
L'obligation de créer un microclimat très encadré dans une zone de nidification déterminée exige de l'abeille des comportements différenciés, imposés par la température environnementale existante. Si cette température est trop fraîche il faudra chauffer, au contraire si elle est trop chaude il faudra rafraîchir.
Les abeilles produisent de la chaleur en activant la musculature de leurs ailes par des tremblements à peine perceptibles. La chaleur ainsi produite se transmet aux alentours. La source d'énergie est le miel stocké dans la ruche qui sert de combustible. Les abeilles tropicales qui habitent en plein air ignorent les grandes réserves de miel dont elles n'ont nul besoin : elles doivent plus souvent rafraîchir que chauffer. C'est peut-être l'explication de leur comportement.
Pour abaisser la température, nos abeilles provoquent des courants d'air rafraîchissants en battant des ailes. Elles mettent aussi en pratique le pouvoir réfrigérant de l'eau pulvérisée dans la ruche (la gare Saint Charles à Marseille n'a rien inventé, elle a copié ce que les abeilles connaissent depuis 12 millions d'années).
En posant la main sur le dessus d'une ruche, sous les couvertures, chacun a pu déterminer l'époque à laquelle la reine a repris sa ponte. En 1793 déjà, Hubert contrôlait la température du nid à couvain avec un thermomètre à mercure et ses recherches ont été poursuivies par de nombreux chercheurs. Mais aujourd'hui les sondes miniaturisées, la thermographie par vidéo et les calculs par ordinateur permettent de décortiquer la complexité du chauffage du couvain et de jeter les bases d'une socio-physiologie de la colonie.
Une ancienne tradition soutenait que le couvain dégageait de la chaleur et que les abeilles qui se promenaient sur le couvain se réchauffaient. Les photos prises par la caméra à infrarouge nous permettent deux conclusions :
- De confirmer que le couvain n'est pas la source de chaleur, mais que ce sont bien les abeilles.
- Ce ne sont pas les larves dans les cellules ouvertes qui sont réchauffées mais celles dans les alvéoles operculées
On voit très distinctement le dessin du cadre et les abeilles dont le thorax dégage de la chaleur. Plus la température est élevée et plus la tache est claire.
Dans une colonie de 3000 individus, chaque nouvelle-née a été marquée à sa naissance pour déterminer dans quelle tranche d'âge les abeilles chargées de réchauffer le couvain (les chaufferettes) étaient recrutées. À l'exception des deux premiers jours suivant leur naissance, aucune spécialisation n'a été constatée.
Si l'on refroidit artificiellement du couvain, toutes les abeilles des alentours se rassemblent rapidement sur ce couvain qui doit être réchauffé plus activement.
C'est bien pourquoi, chaque intervention dans la ruche, produit un bouleversement préjudiciable à la poursuite du butinage, ce que l'on a écrit très souvent, sans en avoir une confirmation scientifique, mais uniquement de bon sens.
Comment la colonie est-elle capable de régler la température du couvain d'une manière aussi exacte? Pendant longtemps on a cru que les abeilles se rassemblaient dans le nid à couvain et qu'elles développaient une température qui leur était agréable. Les observations ont clairement démontré que les chaufferettes mesuraient la température existante et la modifiaient selon les besoins du couvain.
- En suivant certaines ouvrières dans le nid à couvain, nous avons pu faire de nombreuses découvertes. Les chaufferettes se distinguent par une immobilité totale pendant une trentaine de minutes. Elles occupent des positions différentes qui sont les deux stratégies pour chauffer le couvain :
- soit elles sont allongées en contact étroit avec le cadre et pressent leur thorax dont la température peut atteindre 41° contre le couvercle de l'alvéole, ce qui permet une bonne transmission de la chaleur de l'abeille vers la nymphe en dessous. Ceci est confirmé par les photos infrarouges si l'on pousse l'abeille de côté. Réchauffer ainsi le couvain est un comportement spécifique par lequel la chaleur du thorax est destinée avec exactitude à chauffer la cire et à être transmises par elle. Photo thermographique. Les températures basses sont en bleu et violet. Le rouge et le jaune trahissent des températures plus élevées. En 1, une abeille en transit, en 2 une abeille chaufferette. Lorsqu’on pousse une chaufferette de côté, on remarque l’impact de sa chaleur sur la cire (en jaune dans le cercle noir).
- En position normale, une abeille se tient toujours sur ses pattes pour se reposer ou même pour dormir, son corps n'est jamais en contact avec la surface sous son corps.
il a été beaucoup plus difficile d'observer une abeille qui reste immobile pendant très longtemps enfoncée dans une alvéole vide, entourée de cellules de couvain. Il a été possible de suivre sa période d'échauffement qui monte jusqu'à 42° avant de s'enfoncer dans l'alvéole, après on ne voyait plus que son arrière-train pointu.
Il a été constaté que les abeilles qui squattent les cellules vides, y rentrent avec une température corporelle de 42°, y restent une trentaine de minutes et n'en ressortent que lorsque leur réserve d'énergie est consommée. Il y a une différence entre les chaufferettes dont l'arrière-train trahit, par ses mouvements de pompe, une respiration forcée et les abeilles qui se reposent dans une cellule ; leur arrière-train ne pompe pas, il reste presque immobile. On a observé et mesuré que la chaleur dégagée par l'abeille dans l'alvéole se répartit autour d'elle et atteint 6 nymphes alors que l'abeille allongée ne réchauffe qu'une seule nymphe.
En conclusion, on peut se demander si les vides que l'on constate dans un cadre de couvain et qui souvent sont attribués à des défauts de la reine, ne sont pas au contraire stratégiquement réservés pour le chauffage du couvain.
F. Anchling
*Chapitre VI : Extraits de IMKERFREUND – décembre 2003