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Préparatifs d’avant miellée (2006)
Par B. Cartel
AVRIL, mois de tous les espoirs ! Les fruitiers sont en fleurs et nos abeilles les visitent avec frénésie. Là, s'opère un échange fructueux : pollinisation contre nourriture. D'une part, nos fruits sont presque assurés et d'autre part, ces apports de nourriture fraîche, nectar et pollen dopent la colonie. Elle se développe rapidement et de ses grandes surfaces de couvain, vont naître des bataillons de butineuses et d'ouvrières. Faisons de la place, mettons la hausse sinon, plutôt qu'une belle récolte de miel, c'est la récolte d'un essaim qui nous attend.
Agrandissement des colonies égalisation
Lors de la visite de printemps, nous avons resserré avec une partition certaines colonies, trop petites pour occuper tout le corps de ruche. Si elles possèdent de bonnes reines, ces colonies vont rapidement se développer. Au fur et à mesure, nous déplacerons la partition et glisserons un cadre bâti ou à bâtir entre un dernier cadre de couvain et un de pollen. Nous pourrons également leur donner un cadre de couvain (qu'on placera à l'endroit précisé ci-dessus) prêt à naître provenant d'une colonie trop forte. La colonie receveuse est ainsi stimulée et nous limiterons l'extension de la colonie forte, qui aurait pu enclencher un processus d'essaimage. D'une pierre, nous avons fait 2 coups, sans créer de déséquilibre, en gardant à l'esprit l'objectif d'obtenir un maximum d'ouvrières butineuses au moment de la miellée principale.
Nourrissement stimulatifs
Pour les colonies faibles, on peut oser un nourrissement d'appoint dit "stimulatif" :
- en petites quantités (à titre indicatif, pour une ruche : 1/4 de litre de sirop tiède 50/50, c'est-à-dire moitié sucre moitié eau).
- renouvelé régulièrement (par exemple 2 fois par semaine).
Ce type de nourrissement doit être pratiqué avec prudence, surtout sur des colonies plus fortes.
Dans ce cas, on spécule sur leurs devenirs.
Dans la meilleure hypothèse, elles seront au plus haut niveau au moment de la miellée, et c'est gagné.
Ou alors, elles essaiment et c'est perdu. A vous de bien apprécier la nécessité, pour chaque ruche, de pratiquer ce nourrissement.
Puisqu'il est temps de poser les hausses, on peut se poser la question de l'utilité de cette grille à reine que l'on place au choix entre corps et hausse.
Elle est bien sûr destinée à interdire à la reine d'accéder et de pondre dans la hausse. Ses espaces libres sont théoriquement calibrés à 4,2 mm. Cet accessoire présente des avantages et des inconvénients que nous avons listés.
A partir de ces éléments, chacun pourra prendre la décision de l'utiliser ou non, notamment en fonction du type de ruches qu'il utilise. A titre d'exemple, les grosses ruches de 12 cadres présentent moins de risques d'engorgement et donc d'essaimage. Pour elles, la grille à reine présente plus d'avantages que d'inconvénients. C'est l'inverse pour les ruches de 10 cadres, d'autant plus lorsqu'elles possèdent des reines très fécondes. Le commerce apicole présente de nombreux modèles : grille rigide, souple, métallique, plastique, moulée, perforée, à fils, encadrée ou non.
Grille à propolis
Comme son nom l'indique, cette grille en matière plastique est destinée à récupérer de la propolis comme production annexe. Ses interstices de forme trapézoïdale calibrés à 1 mm ne permettent pas le passage des abeilles. On place cette grille sur le corps de ruche, en guise de couvre-cadres (hausse non posée) ou sur la hausse dès que celle-ci est posée.
Dès que la grille est remplie, ou en fin de saison, on la récupère et on la dépose dans le congélateur à plat pour quelques heures. Immédiatement après l'en avoir sortie, on pratique quelques enroulements/déroulements. La propolis se détache assez facilement. Pour les opérations sommaires de
nettoyage, stockage, etc. Voir ce que nous avions écrit dans l'Abeille de France n° 910, page 15.
Quand poser des hausses ?
C'est la question récurrente du mois d'avril. A cette interrogation somme toute légitime du débutant, nous sommes tentés de répondre par une autre question : " Vos colonies sont-elles prêtes à recevoir une hausse ? ". En effet, avant de poser les hausses, il importe d'être certains que les colonies sont suffisamment développées pour accepter sans dommage un agrandissement brutal de 50 % de leur logement.
Puisqu'elles peuvent présenter des différences notables de leur développement, nous proposons de les classer en 3 groupes avec, pour chacun d'entre eux, une réponse adaptée et développée plus loin.
- Groupe 1 : Colonie ne couvrant pas tous les cadres = Ne pas poser la hausse.
- Groupe 2 : Colonie couvrant tout juste les cadres = On peut poser la hausse avec du papier journal.
- Groupe 3 : Colonie couvrant largement tous les cadres - Amorces de cire blanche = La hausse doit être posée.
A ce tableau, il convient d'apporter quelques précisions complémentaires :
- Groupe 1 : il est évident qu'une colonie insuffisamment développée ne doit pas être haussée. Le fait de poser une hausse sur ce type de colonie provoque un refroidissement préjudiciable qui, contre toute espérance, risque de réduire sa surface de couvain et par conséquent, à terme, de réduire le nombre d'ouvrières. C'est l'inverse du but recherché. Dans ce cas, non seulement la hausse ne doit pas être posée, mais nous préconisons plutôt un resserrement de la colonie avec une partition. Celle-ci sera progressivement déplacée d'un cran pour permettre l'introduction d'un cadre bâti ou à bâtir, au fur et à mesure du développement de la colonie, jusqu'au moment où celle-ci pourra être classée dans le 2e groupe.
- Groupe 2 : Les colonies de ce groupe méritent de recevoir une hausse si la miellée est présente ou imminente. Dans le doute, nous suggérons de placer entre corps et hausse une feuille de papier journal qui servira de couverture isolante provisoire. Dès que les conditions leur paraîtront favorables, les ouvrières grignoteront, élimineront le journal et investiront la hausse. Ce sont elles qui décideront du moment et elles le feront bien mieux que nous...
- Groupe 3 : Pour ces colonies, il n'y a pas à hésiter. On pose la hausse. Dans le cas contraire, les abeilles confinées dans un logement trop exigu, peuvent enclencher un processus d'essaimage que nous évoquions dans un chapitre précédent. Elles peuvent aussi "faire la barbe". Alors des milliers d'ouvrières inactives se concentrent sous la planche de vol, sur la face avant de la ruche. C'est le signal d'alarme qui indique une surpopulation.
Vite, vite, il faut agrandir le volume de la ruche avec la pose de la hausse. Après quelques heures, la grappe se résorbe et l'activité de la colonie reprend son cours. Comme nous l'avons écrit déjà, c'est plutôt l'état de la colonie qui détermine le moment pour poser la hausse. Certes, l'époque de la 1ère miellée est un indicateur important qu'il faut également prendre en compte. Sur ce point, le débutant est désarmé. C'est à lui de consulter un apiculteur dont l'expérience sûre des lieux lui sera bénéfique.
L'ennui, c'est que cette miellée n'arrive pas chaque année à date fixe. Elle est tributaire de plusieurs paramètres dont les effets convergent à une période donnée :
- une floraison abondante,
- de la chaleur,
- de l'humidité
- et une absence de vent d'est ou du nord.
Si ces conditions sont réunies, miellée il y aura. Si l'une d'elles vient à manquer, la miellée sera petite ou inexistante.
L'apiculteur n'est en mesure de jouer que sur le premier levier : il placera ses ruches près d'une zone largement fleurie. Pour le reste, il peut toujours prier Saint Ambroise, patron des apiculteurs...
Emergence des faux-bourdons
Depuis leur extermination, en août dernier, nous n'en rencontrons plus dans nos colonies. Ne pas conserver de bouches inutiles à nourrir pendant les mois de disette, alors qu'il n' y a plus de reines à féconder, fait partie de la "stratégie" de l'abeille ou plus sûrement de son instinct. Mais dès le rallongement des jours, lorsque la reprise de ponte est bien installée, toutes les colonies organisent des élevages de mâles, dans des proportions diverses.
On peut penser que celles possédant de jeunes reines en élèvent moins que celles dont la reine est plus âgée et qui risquent davantage d'essaimer. Dans cette dernière catégorie, certaines organiseront un élevage royal, qui, le plus souvent se concrétisera par la sortie d'un essaim.
Il y aura donc des reines à féconder, ce qui ne posera pas de problème puisque, nous l'avons écrit, des mâles sont en cours d'élevage. Pourquoi cet élevage de mâles est- il conséquent alors que les besoins sont faibles ? Il est probable qu'en multipliant les naissances, l'espèce Apis mellifera limite les risques de consanguinité : il est utile qu'une reine se fasse féconder par des mâles (7 à 10) issus de la même race ou sous-espèce, mais d'une lignée différente de la sienne.
Mais pour que la rencontre des 2 sexes soit fertile, lors du vol nuptial, il est impératif que ces mâles soient sexuellement mûrs. Cela paraît simple mais il faut savoir qu'entre la naissance et cette période de maturité sexuelle, il existe des différences importantes entre les 2 sexes, comme l'indique le schéma suivant.
Nous voyons qu'il existe une différence d'environ 15 jours pour que mâles et reine soient sexuellement mûrs. Les éleveurs de reines doivent en tenir compte. Pas de soucis pour les autres : la nature a prévu cette particularité et c'est pourquoi la naissance des mâles précède celles des reines. Enfin, si au cours d'une visite, l'apiculteur ne voit que des mâles en élevage (grandes cellules), dans ce cas, l'avenir de cette colonie est sombre. Ou elle est orpheline, ou bien elle possède une reine âgée déficiente. On pourrait toujours remplacer cette dernière, si on la trouve mais encore faut-il posséder une jeune reine à cette époque de l'année.
Dans le 1er cas, l' orphelinage est probablement ancien et la colonie est perdue. Le plus simple consiste à récupérer ses vieilles abeilles en fin de vie, de les pulvériser d'eau sucrée et de les lâcher à une centaine de mètres du rucher. Elles seront accueillies pour le mieux, étant porteuses de nourriture. Les ouvrières pondeuses resteront sur place ou se perdront.
Préparatifs d'essaimage ?
Hormis les zones du Sud, l'essaimage, une des plaies de l'apiculteur et tant redouté par la majorité d'entre eux, se déroule dès début mai et peut se poursuivre jusqu'en juin, voire plus tard en montagne. Oui, c'est une plaie, car une colonie qui essaime ne produit généralement pas de miel.
De plus, son essaim, ou ses essaims n'attendent pas patiemment l'apiculteur et ils peuvent prendre le large... c'est alors une double perte ! C'est pourquoi, il convient de lutter pour limiter au maximum l'essaimage même si c'est pour la colonie le moyen de se reproduire par division afin de conquérir de nouveaux espaces. Voyons comment s'installe et se déroule un processus d'essaimage.
1. Les abeilles commencent par construire des ébauches de grandes cellules, destinées à un élevage royal.
2. A un certain stade de construction, elles réduisent l'ouverture des ébauches.
3. La reine pond alors 1 œuf fécondé dans chacune de ces ébauches à ouverture rétrécie.
4. Après la ponte, les ouvrières élargissent les ouvertures et allongent les cellules au fur et à mesure que les larves royales se développent. Ces larves sont nourries exclusivement avec de la gelée royale.
5. Parallèlement, le comportement de la colonie se modifie et se traduit par :
- une réduction de l'alimentation de la reine, ce qui la conduit à réduire sa ponte ;
- un arrêt progressif des constructions cirières (autres que les cellules royales) ;
- un ralentissement du butinage avec comme conséquence une réduction des rentrées de nectar et pollen.
La colonie se prépare à lâcher l'essaim, lors d'une belle journée.
C'est au cours d'une visite de ruche que nous pourrons constater la présence de cellules royales à divers degrés d'avancement : le processus d'essaimage est engagé et dès lors, il devient difficile de le contrecarrer.
On serait tenté de détruire ces cellules royales, en pensant ainsi réprimer cette "volonté" d'essaimer. Peine perdue ! Les abeilles en reconstruiront de nouvelles et pendant ces préparatifs, la colonie ne travaille quasiment plus. Que faire ?
Une première solution, la plus simple, consiste à laisser faire la nature. Dans ce cas, il faut immédiatement préparer une ruche en ruchette désinfectée, équipée de cadres construits ou non (ou les 2) et visiter régulièrement les abords du rucher pour chercher et enrucher l'essaim qui ne tardera pas à sortir. C'est la solution passive adoptée par la majorité des apiculteurs.
Mais si au lieu de subir la sortie de l'essaim, nous tentions un essaimage "artificiel d'urgence", après avoir constaté dans une ruche qu'un processus d'essaimage était en cours ?
Le principe consiste à diviser la colonie A (schéma 1) avant qu'elle n'essaime en 2 parties. La 1ère partie restera dans la ruche d'origine A sur le site tandis que la 2e sera logée dans une autre ruche B placée plus loin (schéma 2). Colonie A sur site dont le processus d’essaimage est en cours avec par exemple :
- 6 cadres de couvain
- 2 cadres miel + pollen
- 2 cadres de miel
A partir de cette colonie A posée sur site, nous procédons de la façon suivante :
- déposer une ruche B ou ruchette vide à plus de 2 mètres de la souche A.
- diviser la colonie A en 2 parties selon le schéma 2, ci-contre.
Dans la ruche A restée sur site, nous laissons la moitié de la colonie :
- moitié des cadres de couvain en ne gardant que la plus belle cellule royale,
- moitié des cadres de provisions,
- moitié des ouvrières.
Nous y secouerons en plus la valeur de 2 cadres d'abeilles. On ne s'occupe pas des butineuses qui reviennent naturellement en A. On peut coiffer le tout d'une hausse en cas de miellée présente ou à venir rapidement, vu le nombre important d'ouvrières qu’il faut "occuper".
Dans la ruche B, nous plaçons l'autre moitié des cadres ainsi que la reine. Nous les cloisonnerons comme dans la ruche A avec une partition. Après cette saignée drastique, la colonie B ne sera plus tentée d'essaimer et la ponte reprendra. Pour elle, et après 2 ou 3 jours, nous aurons encore le choix entre 2 solutions :
- ou bien supprimer les cellules royales et laisser la reine,
- ou supprimer la reine en ne laissant qu'une ou deux belles cellules royales.
La colonie A ne devrait pas essaimer non plus, car elle ne dispose que d'une cellule royale pour sa survie. Naturellement, nous ne garantissons pas que tout se déroulera comme prévu sur le papier. Nous travaillons sur de la matière vivante et parfois nos abeilles n'en font qu'à leur tête. Qui ne tente rien n'obtient rien et pratiquer un essai contrôlé nous fait progresser en apiculture. Enfin, si l'essai ne se déroule pas comme prévu, il reste une solution ultime : réunir les 2 colonies.
Des ailes pour quoi faire ?
Des ailes pour voler : c’est une lapalissade. On se doute moins qu’elles servent aussi à ventiler et à communiquer par l'envoi de messages chimiques. Donc notre abeille possède 2 paires d'ailes dont les frontales sont plus longues que les postérieures. Repliées au repos, elles s'attachent pendant le vol au moyen de crochets appelés « hamili » qui se fixent dans la gouttière de l'aile frontale, permettant une grande portance et un battement synchronisé. Innervées, elles sont également traversées par des veines qui les renforcent et qui conduisent le sang aux extrémités.
La vitesse du vol est de l'ordre de 25 km/h pour un battement d'ailes de 200 coups/minute. Cette vitesse ainsi que la distance de vol dépendent de la puissance des muscles thoraciques, dont l'énergie provient du métabolisme du nectar ou du miel.
Outre la fonction de voler, l'abeille femelle utilise ses ailes pour ventiler. Les mâles ne prennent pas part à cette activité. C'est surtout en fin d'une journée chaude, que l'apiculteur peut observer avec satisfaction des ouvrières fortement agrippées à la planche de vol battant des ailes comme si elles voulaient s'envoler. Elles produisent un courant d'air dirigé vers l'arrière et orienté sur le trou de vol. La ventilation est une affaire collective puisque la colonie organise, au besoin, des chaînes de ventileuses, à l'abdomen recourbé vers le bas.
Pourquoi ventilent-elles à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur ? Divers stimuli provoquent la ventilation :
- un taux d'humidité élevé dans la ruche : dans ce cas, les ventileuses éliminent l’excès d' eau du nectar en cours de transformation. Elles le ramènent ainsi de 70 ou 80 % à moins de 20 %.
- une température élevée dans la ruche : ce sont également les ventileuses qui participent à la régulation thermique de la colonie. Elles rafraîchissent la ruche en cas de surchauffe (due soit à une surpopulation, soit à une élévation de la température extérieure) en créant un courant d'air depuis la planche de vol.
- Tout comme dans le cas précédent, les ventileuses entrent en action dès qu'elles perçoivent un déséquilibre gazeux : augmentation du taux de gaz carbonique (C02) ou une baisse de celui de l'oxygène ( 02 ) .
Enfin, l'abeille communique dans certains cas, grâce à des messages chimiques. Qui n'a pas remarqué des ouvrières battant le rappel bien campées sur leurs pattes, l'abdomen relevé, laissant apparaître une bande brun clair, en travers du dernier segment thoracique ? C'est la glande de Nasanoff qui libère, lorsqu'elle est ouverte un cocktail de 7 phérormones connues. Elles sont balayées, diffusées par le courant d'air provoqué par le battement ailaire de ces ouvrières, à l'occasion notamment du 1er vol d'orientation de jeunes ouvrières, mais aussi pour rassembler l'essaim lorsqu'il investit un nouveau gîte.
A fin avril, la plupart de nos colonies doivent être prêtes à recevoir une hausse. Nous avons œuvré pour cela. Nous allons maintenant entrer dans une période de turbulence, celle de l'essaimage. Malgré tous nos efforts pour les mener à bon terme, certaines de nos colonies laisseront échapper l'essaim.
Puisque cette possibilité de multiplication existe, faisons en sorte de la limiter. Il est préférable de posséder 5 ruches produisant du miel, que 10 produisant des essaims. Alors du miel ou des essaims ? C'est à vous de décider, même si rien n'est gagné d'avance.
Bonne récolte à tous.
B. Cartel