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Pouvez-vous me faire une analyse pour savoir si ce miel est un miel de qualité ? (2004)
Par Paul Schweitzer

Tel est le type de formulation assez fréquente figurant sur la lettre qui accompagne un échantillon de miel arrivant au laboratoire. Cette question, pourtant d’apparence banale, cache en réalité une foule de problèmes. On imagine assez facilement qu’un miel de qualité doit être un produit sain, extrait dans de bonnes conditions d’hygiène, conditionné correctement,qui a conservé toutes ses propriétés d’origine et qui les conservera le plus longtemps possible. Il ne doit pas être adultéré et doit contenir le moins possible (peut-on encore dire pas du tout) de polluants divers, antibiotiques, pesticides, métaux lourds ou autres produits de notre civilisation industrielle. Un laboratoire peut-il certifier qu’un miel est un miel de qualité ? Jusqu’où faut-il aller dans ce type d’analyses avec des conséquences évidentes sur le coût. La banale question peut alors s’accompagner d’une facture de plus en plus élevée (même avec l’aide ONIFLHOR) que l’apiculteur ne comprend pas toujours (entre 60 et 100 TTC par échantillon, ristourne ONIFLHOR déduite, selon ce que l’on recherche, voire encore beaucoup plus).

Pour répondre à la question qui était posée dans la lettre, il serait en principe nécessaire de contrôler tous les critères prévus dans le décret du 30 juin 2003 sur l’appellation « miel », plus une analyse pollinique, plus une recherche des principaux antibiotiques et de produits acaricides utilisés en apiculture. Pourra-t-on certifier la qualité de ce miel ? Non, car on n’aura pas recherché les métaux lourds, la radioactivité, etc… La liste peut être longue. Tout au plus pourra-t-on dire que les critères qui ont été contrôlés sont conformes à l’appellation miel. Ce qui ne répond pas à la question posée. Un miel qui contiendrait 20 % d’humidité, 40 mg/Kg d’HMF et aurait une activité diastasique de 8 est conforme.

Pourtant, personnellement, je n’aurai aucune envie d’acheter et de consommer ce genre de produit. D’un autre côté, j’aurai certainement envie d’acheter un miel qui contiendrait 16 % d’eau, 8 mg/Kg d’HMF et aurait une activité diastasique de 25. Je l’achète,le consomme en toute confiance et apprends plus tard, qu’il contenait 350 ppm de tétracyclines. On ne trouve que ce que l’on cherche. Ainsi de plus en plus de grossistes, de négociants font faire des recherches de tétracyclines dans les miels avec des résultats quelquefois inquiétants. D’une certaine façon, la qualité à donc plusieurs prix : prix des analyses, puis prix de vente du miel, plus ou moins facilement négociable en fonction des résultats. Mais, là également, survient une difficulté : ce sont les plus mauvais miels qui coûtent le plus cher en analyses et qui finalement se vendront au plus bas prix. Des problèmes similaires surviennent avec les appellations monoflorales. Prenons l’exemple du miel « d’acacia » :

  • L’année est excellente. Le miel reçu au laboratoire est clair comme de l’eau, limpide, discrètement mais agréablement parfumé, délicat, doux et agréable en bouche, sans amertume : une analyse pollinique, une mesure de l’humidité et de l’HMF peut suffire – coût : en principe moins de 15 TTC, ristourne ONIFLHOR déduite pour un miel qui pourra se vendre au prix fort ;
  • L’année est mauvaise. Le miel est assez liquide, amorce une cristallisation, légèrement foncé. Sensoriellement atypique, l’HMF est bon mais l’analyse pollinique laisse perplexe : le pollen du robinier est certes présent, mais un doute subsiste. Il faut pousser les investigations plus loin : sucres, acidimétrie, amylase, conductivité électrique voire glycérol car suspicion de fermentation : coût aux environs de 60 TTC, toujours avec la ristourne. Quatre fois plus cher pour un miel qui va finalement être déclassé en « Toutes fleurs ».

Je comprends la réaction de certains apiculteurs qui se disent : « J’aurai mieux fait de ne pas effectuer les analyses et j’aurai vendu mon miel comme d’habitude pour de l’acacia ». Je comprends cette remarque sous le coup de la déception qui suit le résultat… Mais je ne l’approuve pas. Car, il y a alors tromperie de l’acheteur mais également de soi même : c’est une sorte de méthode Couhé, on s’autopersuade que son miel est parfait, on met en doute les résultats du laboratoire, on refuse de la payer (çà arrive, heureusement rarement, mais çà arrive)… Ah, qu’il est difficile d’être vertueux et intègre. Et dans un cas comme dans l’autre, on n’a pas recherché ne serait-ce que les antibiotiques par exemple. L’apiculteur sait ce qu’il a fait dans ses ruches et avec son miel, pas le laboratoire, pas le consommateur, pas le grossiste ou le revendeur…

Il y a de tout dans le monde des apiculteurs. La majorité sont des gens biens, des passionnés, des amoureux de la nature qui aiment ce qu’ils font. Malheureusement, comme partout, il y a des tricheurs : sur les appellations (sans en avoir toujours conscience), sur la qualité : ajout de sucre – chaque mois au moins un miel ainsi falsifié arrive au laboratoire (c’est rarement l’apiculteur lui-même qui fait alors la demande d’analyse, quelquefois « un ami qui lui veut du bien », à tort ou à raison d’ailleurs), sur l’origine avec des cas particuliers : on est « en panne » de miel d’acacia. Pour ne pas perdre sa clientèle, on en achète à un collègue qui en a encore, on le vend comme le sien. Contrôle : « miel d’acacia » de Hongrie. Cela arrive plusieurs fois par an… À moins que cela ne soit l’apiculteur qui ne veuille pas avouer son propre achat de miel d’acacia de Hongrie. La même chose arrive avec les tétracyclines : contrôle inopiné d’un grossiste avec pour résultat une dose élevée de tétracyclines. L’apiculteur crie au scandale : « Je n’ai plus traité depuis des années. Ce n’est pas possible. » On fait douter le laboratoire. On refait les analyses à l’aveugle avec d’autres miels. Les résultats sont les mêmes. Il y a bien une dose massive de tétracyclines dans ce miel… La tétracycline est probablement arrivée dans son miel à « l’insu de son plein gré »...

Le cas des concours de miels
La pratique des concours de miels se répand. On ne peut que l’encourager. C’est une des meilleures publicités que l’on puisse faire pour les miels. Elle a les doubles avantages de valoriser le produit et le travail bien fait. C’est une tribune pour faire parler d’apiculture et de miels auprès des médias. N’oubliez surtout pas, qu’à certains moments, quand il n’y a pas d’élections, de tremblements de terre, d’inondations ou d’autres catastrophes… L’apiculture est un sujet qui devient intéressant. Quand on est à la recherche de sujets, on pense quelquefois aux abeilles et au miel. Il m’arrive même qu’on me téléphone : « Alors, quoi de neuf du côté des abeilles ? » Je ne suis pas dupe, mais il vaut mieux avoir quelques colonnes pendant les vacances que pas de colonnes du tout ! !

Les concours engagent au moins partiellement la responsabilité des organisateurs. Bien sûr, ils ne peuvent être tenus pour responsable de tout. Mais les miels primés vont mieux se vendre, souvent avec une étiquette spécifique mentionnant une médaille d’or, d’argent, de bronze… Une garantie syndicale en quelque sorte. Le consommateur achète alors un miel en toute confiance et, heureusement, dans la majorité des cas, il a raison. Mais ma longue expérience à la fois comme responsable apicole(1) et du laboratoire du CETAM me montre que quelquefois, malheureusement, il a tort : un miel présenté à un concours est un vieux miel, un autre un acacia de Hongrie, celui-ci est adultéré par du sucre et cet autre contient une teneur anormalement élevée en tétracyclines… Tout cela n’est pas inventé, mais est arrivé dans des départements divers au cours des 5 dernières années… Encore une fois, on ne trouve que ce que l’on cherche et si ces malversations ont été décelées, c’est parce que certains organisateurs sont conscients des problèmes et effectuent des contrôles. Mais tout le monde ne le fait pas. Au niveau de l’organisation des concours, différentes philosophies existent :

  • Seule une analyse sensorielle est effectuée : c’est une grave erreur et ce n’est pas sérieux. Le sensoriel est bien sûr un élément clé du concours. Mais, d’une part, cette seule analyse est à l’origine de fausses appellations surtout pour les miels à goût fort : un miel avec amertume et odeur de châtaignier peut être mélangé à de la ronce et ne pas avoir droit à l’appellation « châtaignier », même chose pour le menthol du tilleul mais également pour des miels doux comme l’acacia qui peuvent être mélangés à du colza, de la vesce ou de l’aubépine… D’autre part, le sensoriel n’est pas assez précis pour détecter des adultérations (et ne pourra jamais les confirmer). Il ne décèlera jamais la présence éventuelle d’antibiotiques.
  • Analyse sensorielle accompagnée de la mesure du taux d’humidité, de l’HMF et d’une analyse pollinique : C’est un premier pas vers un minimum de garantie. L’humidité et l’HMF sont deux paramètres de qualités prévus dans le décret sur l’appellation « miel ». C’est un minimum que de vérifier cette conformité. L’analyse pollinique permet d’apprécier la validité de l’appellation monoflorale éventuelle (sans pouvoir toujours à elle seule la confirmer). Elle permettra également de vérifier s’il s’agit bien d’un miel produit dans la région du concours (C’est le moins que l’on puisse demander).
  • Analyse sensorielle + humidité, HMF, pollinique qualitative, couleur, pH et conductivité électrique : C’est un peu mieux que les contrôles précédents, surtout pour les appellations monoflorales ou quand les miels risquent de contenir des miellats.

Les autres contrôles possibles ne sont que très rarement demandés essentiellement en raison du prix des analyses qui se répercute dans les mêmes proportions sur les frais de participation aux concours. En effet, les analyses complémentaires qui sont les plus utiles sont les sucres (contrôle de certaines appellations, surtout acacia, quelquefois sapin… et recherche d’adultération. Dans ce dernier cas, cela ne suffit pas toujours, mais il est indispensable de commencer par là) et la recherche d’antibiotiques par exemple. Ces analyses étant chères et s’agissant de dépister des malversations ou des pollutions, il n’est pas indispensable d’effectuer ces contrôles sur tous les miels. Comme dans les milieux sportifs, pour le dopage, le contrôle peut, par exemple, ne s’effectuer que sur les miels primés voire sur une partie d’entre eux par tirage au sort. C’est la voie suivie par certains syndicats. On compte alors naturellement autant sur les résultats que sur l’effet dissuasif de ces contrôles et cela à l’avantage, pour un coût beaucoup plus modéré, de dégager la responsabilité des organisateurs…
Paul Schweitzer
L
aboratoire d’analyses et d’écologie apicole
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