Quelques réflexions sur les plantes transgéniques (1998)
Par Nicole Pons
Au congrès de la FNOSAD à Colmar, en mai 1998, Madame Pham-Délègue de l'INRA, a fait un exposé extrêmement intéressant sur la relation plantes transgéniques - abeille et plus particulièrement sur le colza résistant à un insecte parasite. Le colza modifié fabrique une protéine qui perturbe le fonctionnement digestif du prédateur.
Son travail consiste à mettre au point des outils, tels que l'étude du comportement de l'abeille ou/et la qualité du miel récolté, qui permettraient de mesurer rapidement l'influence d'une transgénie sur l'environnement, notamment dans des conditions extrêmes sans rapport avec les réalités biologiques ou agronomiques.
Son exposé est repris en détail dans un autre article. Nous vous proposons de réfléchir quelques instants sur les Organismes génétiquement modifiés que nous appellerons les OGM.
Définition d'un OGM
Une plante transgénique (ou génétiquement modifiée) est une plante à laquelle on fait exprimer artificiellement de façon réfléchie, précise et rapide, par la technique dite du génie génétique, une ou plusieurs nouvelles protéines en incluant dans son génome des gènes pris ailleurs dans la nature. Parmi ces protéines nouvelles figurent des gènes de résistance à un insecte ou à un parasite et des gènes destinés à mieux maîtriser la culture et la conservation. Il est parfois introduit en plus un gène marqueur qui est un gène de résistance aux antibiotiques.
Historique
Depuis longtemps les hommes ont remarqué que certains caractères sont héréditaires et ils ont eu l'idée, pour améliorer les espèces animales ou végétales, d'effectuer des croisements entre les différents spécimens afin de les rendre conformes à leurs souhaits. C'est la sélection génétique classique, qui, au fil des générations, confère tel caractère ou tel autre à une espèce. Les résultats sont très lents puisqu'il faut effectuer des croisements sur plusieurs générations avant d'obtenir le résultat escompté.
Au début 1970, les biologistes moléculaires réussissent à mettre au point les outils capables de sélectionner les gènes afin de les réintroduire dans une autre espèce, ce qui lui confère une caractéristique nouvelle. Les premiers organismes génétiquement modifiés (OGM) étaient nés en donnant le coup d'envoi de la transgénèse et le franchissement de la barrière des espèces.
Ces pratiques existent depuis qu'on a transféré des gènes de l'homme aux bactéries pour leur faire produire :
- soit de l'insuline au plus grand profit des diabétiques ;
- soit une hormone de croissance qui, au lieu d'être extraite d'organes humains contaminés, est remplacée par un produit recombinant qui allie efficacité et sécurité.
En ce qui concerne les plantes, il faut évoquer plusieurs situations :
- la fabrication de médicaments, en laboratoire ;
- les essais en espaces confinés ;
- les essais en plein champ ;
- la mise en culture industrielle.
Pour le premier point, la transgénie du gène de l'albumine humaine a permis la fabrication de la principale protéine du plasma sanguin et la transgénie du gène de la lipase gastrique du chien fabrique un médicament pour soigner la mucoviscidose.
En Europe, en matière de plantes agricoles, les plantes transgéniques existent depuis une quinzaine d'années en plein champ en tant que création de laboratoire. On dispose d'environ 800 résultats d'essais dont 400 pour la France qui sont sous le contrôle des Ministères de l'Agriculture et de l'Environnement.
Aux États-Unis, au Canada et en Argentine, les cultures de maïs et de soja transgéniques s'étendent sur plusieurs millions d'hectares. Le colza transgénique représente 30 % de la production de colza aux États-Unis. Du coton et des courgettes transgéniques sont également cultivées en Amérique du Sud et en Chine.
En France, en novembre 1997, le maïs transgénique Bt 176 de Novartis a eu une autorisation de mise en culture pour trois ans. Il contient comme marqueur antibiotique de l'ampicilline. Deux milles hectares de maïs Novartis ont été exploités. Par ailleurs, un arrêté publié au Journal Officiel du 8 février 1998, inscrit au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées les semences de maïs César, Furio et Occitan, génétiquement modifiées pour être plus résistantes à la pyrale. Rappelons que la modification n'intéresse que quelques gènes sur les 100 000 du maïs.
Le colza résistant à un herbicide et incluant un gène de résistance à un antibiotique est actuellement autorisé sur le plan communautaire, mais n'a pas reçu d'autorisation en France.
Les avantages
Les grands industriels de la culture et de l'agroalimentaire ont été séduits par certaines performances des OGM :
- la résistance à un insecte ou à un parasite, ce qui conduit à moins d'utilisation des produits phytosanitaires pour plus de rendement ;
- la résistance aux herbicides : le glyphosate tue tout sauf le colza transgénique résistant ;
- la meilleure qualité alimentaire : on sait fabriquer des tomates qui mûrissent plus rapidement ou plus lentement suivant l'utilisation qu'on veut en faire.
La liste des ambitions peut s'allonger tout en sachant qu'un succès est lié à un bon gène et au meilleur porte gène, ce qui dans la pratique pose certaines difficultés parfois longues à résoudre.
Les risques à maîtriser
Plusieurs questions se posent pour ces plantes transgéniques, en particulier : comment prémunir les générations futures des désordres qui pourraient nuire à leur épanouissement et à leur sécurité ?
Impact sur la santé humaine ou animale
- Ces protéines ne doivent pas être toxiques pour l'homme et les animaux.
- Elles ne doivent pas entraîner des allergies.
- Elles ne doivent pas modifier le métabolisme de la plante et donc induire un risque secondaire inconnu.
- Les protéines de résistance aux antibiotiques ne doivent pas être transmises à l'homme et aux animaux.
Impact sur l'environnement
Les OGM ne doivent pas :
- Être à l'origine de l'apparition de plantes résistantes aux herbicides.
- Induire le développement d'insectes résistants aux insecticides.
- S'hybrider avec des populations sauvages naturelles et transformer l'environnement par le flux de gènes. Pour le maïs, il y a un flux de gènes entre champs d'une même culture mais aucun flux avec la flore sauvage. Pour le colza, il y a un risque de flux de gène avec les crucifères sauvages.
- Polluer l'eau et le sol.
Les contrôles
Conscients que toute recherche, toute mise au point de nouveaux produits entraînent des risques qu'il faut au mieux contrôler, les législateurs et les scientifiques ont mis au point une réglementation précise mais complexe.
Il est impossible de tout contrôler. Le risque ne sera donc jamais nul.
De nombreuses analyses existent mais il faut normaliser les techniques et définir les seuils de tolérance. D'autres techniques analytiques sont encore en cours de développement. Il faut comprendre que ces analyses ont un coût et demandent du temps, parfois plusieurs années pour apprécier les conséquences de la transgénie.
C'est pourquoi les contrôles s'intéressent :
- d'une part à la mise en place d'un OGM, depuis sa conception jusqu'à son élimination en tant que matière fertilisante ou support de culture ;
- et d'autre part à l'équivalence de substances entre l'OGM et la plante d'origine.
Au stade des premières études en milieu confiné
En France, la loi du 13 juillet 1992 réglemente l'utilisation confinée d'OGM et elle stipule que toute utilisation à des fins de recherche ou d'enseignement d'organismes génétiquement modifiés est soumise à agrément.
La Commission de Génie Génétique (CGG) :
- regarde les procédés de génie génétique utilisés,
- évalue les divers risques que présentent les modification de génome ;
- propose les mesures de confinement.
Le Conseil Supérieur d'Hygiène Public de France se prononce sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle (problèmes toxicologiques et allergiques) des OGM susceptibles d'être consommés.
Les Ministères de la Recherche et de l'Environnement donnent le feu vert à la mise en étude en milieu confiné.
Avant la mise en essais grandeur nature
La société qui demande une autorisation de mettre en essais dans la nature une plante transgénique doit apporter la preuve scientifique à la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB) que les OGM ne sont pas susceptibles de faire courir des risques aux animaux et aux végétaux, notamment dans des conditions extrêmes sans rapport avec les réalités biologiques ou agronomiques.
Les services de la Protection des Végétaux ¦uvrent au niveau du contrôle des essais.
Les Ministères de la Recherche et de l'Environnement donnent le feu vert à la mise en essais.
Aux stades de la production et de la consommation
La mise en culture est autorisée, puis la plante transgénique est inscrite au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées.
Le comité de biovigilance étudie les dossiers et rend des avis aux deux ministères qui ont le pouvoir de décider un retrait.
Le réseau de biovigilance place sur l'ensemble de la France des experts compétents pour s'assurer que l'hybridation éventuelle ne se produit pas.
Au stade de l'utilisation des sous-produits
Un décret en date du 28 avril 1998 relatif au contrôle des matières fertilisantes et des supports de culture composé en tout ou partie d'OGM prévoit :
- des autorisations de mise sur le marché ;
- des autorisations de dissémination volontaire à toute autre fin que la mise sur le marché.
C'est le ministre chargé de l'agriculture qui donne ces autorisations après accord du ministre chargé de l'environnement et après avis :
- de la commission du génie biomoléculaire ;
- de la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture ;
- du comité d'homologation des matières fertilisantes et des supports de culture.
Premières conclusions
La presse s'est fait l'écho des différentes consultations (dont la conférence des citoyens) qui durent depuis plus de huit mois. Le député Jean-Yves le Déaul a fait 35 recommandations et il pense que les pouvoirs publics vont suivre les principes suivants :
- Le phénomène de la transgénie existant, il ne faut pas accentuer le retard de compétence de la France et de l'Europe par rapport aux États-Unis. Pour information, il faut savoir que le 7 juin 1998, les Suisses, dans une proportion de 2 contre 1, ont rejeté l'interdiction des biotechnologies qui leur étaient proposées par des défenseurs de la médecine et des éléments naturels. Le scrutin appelait les électeurs à accepter ou à rejeter le texte pour la protection de la vie et de l'environnement contre les manipulations génétiques, le clonage d'animaux sur le modèle de la brebis Dolly n'était pas concerné.
- Le génie génétique doit être sans danger pour l'homme et l'environnement.
- Le génie génétique ne doit pas rendre les agriculteurs dépendants des grandes firmes agro-chimiques ; il faut être vigilant pour que les agriculteurs ne soient pas obligés d'acheter la semence, les produits phytosanitaires et les engrais dans un pack qui contient également le mode d'emploi et pourquoi pas le contrat d'achat de la récolte !
- Les gènes de résistance aux antibiotiques, marqueurs génétiques qui devaient permettre de suivre la pollution de la nature par les plantes transgéniques, sont condamnés par beaucoup de personnes compétentes qui s'accordent pour dire que le danger est grand de voir la résistance déborder l'objectif fixé et entraîner des résistances lors des traitements. Il est vraisemblable que cette pratique va être condamnée par le législateur.
- Il ne faut pas empiler les gènes nouveaux.
- Le colza transgénique ne sera pas mis en culture en France au moins avant l'an 2000, en attente des résultats des expérimentations. En effet, le moratoire relatif au colza transgénique accorde un délai de réflexion de deux ans aux deux ministères qui doivent donner l'autorisation de mise sur le marché.
- La transparence des décisions et la traçabilité des produits devraient être assurées afin de permettre de remonter aux sources en cas d'apparition de problèmes.
- Une mesure qui semble de pure évidence comme l'étiquetage des produits avec la mention OGM ou sans OGM est relativement simple pour les produits purs ; elle pose déjà plus de questions pour les produits transformés bien que le métabolisme casse la majorité des chaînes protéiques synthétisées par les OGM.
Définitions
Commission de génie génétique : Instance scientifique consultative placée auprès des ministères en charge de l'agriculture et de l'environnement.
Conseil supérieur d'hygiène public de France : Instance consultative scientifique placée auprès du ministère en charge de la santé.
Commission du génie biomoléculaire : Instance consultative scientifique placée auprès des ministères en charge de l'agriculture et de l'environnement.
Comité de biovigilance Instance consultative composée :
- des administrations compétentes,
- de scientifiques de renom,
- de représentants de la société civile (agriculteurs, consommateurs, associations de protection de la nature),
- de professionnels.
Nicole Pons, Directrice du Laboratoire Départemental Vétérinaire du Doubs