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Mauvaises herbes et apiculture (2004)
Par Paul Schweitzer
La malherbologie est la science qui étudie les “ mauvaises herbes ” appelées également plantes adventices. Sont considérées comme telles, les espèces qui se développent dans nos cultures souvent à leur détriment. C’est d’ailleurs contre elles qu’on utilise, en agriculture intensive, toute une panoplie d’herbicides. Pourtant, à y regarder de plus près, cette notion de malherbologie est une notion très relative car beaucoup d’espèces classées comme “ mauvaises herbes ” sont des sources intéressantes de nectar et de pollen. Certaines sont même en voie de disparition et mériteraient d’être protégées. Mauvaises herbes pour les uns, richesses pour les autres, la destruction de toutes les adventices sans discernement doit-elle continuer ? Sans vouloir nécessairement réhabiliter toutes “ ces mauvaises graines ”, il peut, néanmoins, être intéressant d’examiner la situation par le petit bout de la lorgnette.
Ce type d’associations végétales est le plus souvent classé par commodité en groupements messicoles, c’est-à-dire liés aux cultures céréalières et en groupements de cultures sarclées. Il s’agit le plus souvent de plantes pionnières qui profitent d’un sol neuf qui leur est offert chaque année par le travail de la terre. La majorité de ces espèces sont donc des “ annuelles ”.
Les adventices messicoles
Les céréales cultivées étant des monocotylédones, les herbicides utilisés font disparaître les dicotylédones donc beaucoup de plantes nectarifères (1) et pollenifères. Paradoxalement ces traitements favorisent d’autres “ mauvaises herbes ” monocotylédones dont les “ chiendents ” (Elymus campestris) et les “ jouets du vent ” (Apera spica-venti) sont les plus connues. Parmi les dicotylédones, certaines ombellifères invasives “ se tirent d’affaire ” car elles sont devenus résistantes.
Les bleuets (Centaurea cyanus) et les coquelicots (Papaver rhœas) sont probablement les messicoles les plus connues de tous. Comme toutes les centaurées, le bleuet est extrêmement nectarifère. Sa floraison, entre juin et août, en faisait, il y a encore 50 ans une des composantes essentielles des miels “ toutes fleurs ” d’été. Aujourd’hui l’espèce est rare, trop rare. Dans le Bassin parisien, on la trouvera le plus souvent en marge des cultures, là où les traitements ont été moins efficaces, quelquefois dans des champs de colza ou çà et là au abord de villages sur des décombres car c’est une espèce nitrophile que l’on retrouvera également dans des cultures sarclées.
Les coquelicots, comme toutes les papavéracées ne sont pas nectarifères. Les abeilles, les visitent intensément pour y prélever du pollen. En fait sous cette appellation se cachent différentes espèces : le grand coquelicot (Papaver rhœas), le petit coquelicot (Papaver dubium) (lequel comprend lui-même 2 sous-espèces), le coquelicot hybride (Papaver hybridum) et le coquelicot argémone (Papaver argemone). Le grand coquelicot est l’espèce qui a probablement le mieux résisté. Bien qu’ayant disparu des moissons, on retrouve fréquemment sa floraison abondante lors des travaux routiers ou sur les espaces où la terre a été fraîchement retournée en attente de grands travaux…
Moins connues sans doute sont les Pieds d’alouette (Consolida regalis), une renonculacée aux fleurs bleues, roses ou blanches (présente surtout sur calcaire) ; l’odontitès rouge (Odontites vernus), plante parasite aux nombreuses fleurs rougeâtres de la famille des scrofulariacées mais dont le nectar de qualité attire abondamment les abeilles ; le cirse des champs (Cirsium arvense) apparaîtra en lisière ou lorsque les cultures sont négligées. Considéré comme très nuisible, l’arrachage de ce “ chardon ” est obligatoire. Le nectar peut y être très abondant, comme dans pratiquement toutes les chardons (cirsium spp. et carduus spp.) ; des lamiers comme le lamier pourpre (Lamnium purpureum) et le lamier amplexicaule (Lamnium amplexicaule), deux lamniacées à fleurs pourpres qui fleurissent très longtemps ; une autre lamniacée, la menthe des champs (Mentha arvensis) possède des fleurs rosées tout aussi nectarifères ; c’est également le cas des fleurs de la moutarde des champs (Sinapis arvensis), brassicacée à fleurs jaunes qui fleurit d’avril à novembre ; de la moutarde blanche (Sinapis alba) (sur calcaire) ; la linaire des champs (Linaria arvensis) est une scrofulariacée à fleurs jaunes ou plus ou moins bleues. Le trèfle des prés (Trifolium arvense) et la vesce velue (Vicia vilosa) (Fabacées), le réséda raiponce (Reseda phyteuma) (Résédacées), la guimauve hérissée (Althæa hirsuta) (Malvacées), la gesse tubéreuse (Lathyrus tuberosus) (Fabacées), le mélampyre des champs (Melampyrum arvense), plante parasite (Scrofulariacées), l’épiaire annuelle (Stachys annua) (Lamniacées) sont toutes nectarifères et se retrouvaient dans les moissons.
Les adventices des cultures sarclées
Il s’agit le plus souvent de plantes annuelles, pionnières et nitrophiles. On pourra retrouver ici certaines plantes messicoles déjà citées, mais de ne nouvelles espèces caractérisent ces groupements. La plupart des cultures sarclées étant des dicotylédones, l’usage des herbicides est ici plus délicat. Parmi les espèces nectarifères les plus constantes, on trouvera le chardon penché (Carduus nutans) (Asteracées) ; la renouée des oiseaux, (Polygonum aviculare) (Polygonacées) mais également d’autres espèces : la barbarée vulgaire (Barbarea vulgaris) (Brassicacées), la bourrache (Borago officinalis) (Borraginacées), le muflier rubicond (Misopates orontium) (Scrofulariacées) – les abeilles ne prélèvent le nectar de cette fleur que lorsqu’elle été percée par les bourdons.
Dans les vignes et les vergers apparaît une flore spécifique avec beaucoup de liliacées. Celle-ci persiste quelquefois quelques temps après abandon de ces cultures. On rencontrera l’ail des vignes (Allium vineale) et l’ail des champs (A. oleraceum) (Liliacées), les muscaris (Muscari atlanticum et M. comosum) (Liliacées), le sédum rougeâtre (Sedum rubens) et le sédum blanc (S. album) (Crassulacées), l’ornithogale en ombelles (Ornithogalum umbellatum) Liliacées)…
L’abandon des cultures voit apparaître des groupements de végétation constitués de friches nitrophiles qui regroupe un grand nombre d’espèces nectarifères qui ne sont plus des annuelles. L’abandon définitif conduit, en principe, à des groupements forestiers…
Mauvaises herbes pour les uns, sources de miels et de pollen pour les autres, tel M. Jekyll et M. Hyde, beaucoup d’adventices sont bonnes ou mauvaises selon le côté du miroir avec lesquelles on les regarde. Leur disparition – certaines mériteraient d’être protégées – est une menace pour la biodiversité végétale certes, mais également animale car de nombreuses espèces animales leur sont inféodées en dépendant étroitement d’elles pour leur alimentation. Le problème des dépopulations d’abeilles est extrêmement complexe car polyfactoriel. On ne le résoudra pas sans prendre en compte tous les effets environnementaux y compris la raréfaction et le déséquilibre des ressources. L’environnement agricole de certaines régions n’est plus capable de fournir aux abeilles une alimentation équilibrée. Leur mortalité n’est probablement que la partie visible de la disparition de nombreux insectes utiles qui, faute d’avoir la notoriété de l’abeille, disparaissent dans l’indifférence la plus totale. Il n’est peut être pas encore trop tard pour réagir. Il faut revoir la politique du “ tout herbicides ” et du “ tout pesticides ” pour une agriculture plus raisonnée. Il ne s’agit pas de revenir au Moyen-Âge, mais de tenir compte de l’ensemble des connaissances scientifiques, agronomiques et écologiques d’aujourd’hui pour intégrer l’agriculture dans une gestion raisonnée et équilibrée des milieux…
Paul Schweitzer
Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole
© CETAM-Lorraine 2004
(1) Le terme mellifère qui est le plus souvent utilisé est impropre car les plantes ne “ porte ” pas du miel mais du nectar. Le terme pollenifère n’est non plus pas très adéquate car toutes les plantes à fleurs sont pollenifères, même celles dont le pollen n’est pas récolté par les abeilles.