rucher
Sous les palmiers les ruches à gelée

Made in Taiwan (1998)
La production de la gelée royale
Par Gilles FERT
(visitez son
site : reines et livres)

Formosa la belle
Grande comme la Hollande, et située à 200 km des côtes de la Chine Populaire, l’île de Taiwan anciennement Formose est un peu à l’écart des routes du Sud-Est Asiatique.

Son isolement politique ne favorise pas les échanges. Boudée par les touristes, et peu vantée par les agences de voyage, il faut vraiment avoir un but apicole pour se rendre dans cette merveilleuse île tropicale véritable paradis pour producteur de gelée royale.

La bibliographie apicole ne fait état d’aucun article ou reportage en Français comme en Anglais sur l’apiculture dans ce pays. La découverte en est donc totale.

Deuxième ressource agricole du pays
Ils sont environ un millier d’apiculteurs professionnels pour une population de 21 millions d’habitants à vivre de l’abeille.

Si l’excellent miel de longane (Euphoria longana) justifie une transhumance dans le sud de l’île, c’est avant tout de la production de gelée royale que nos collègues Taiwanais dégagent leur revenu. Cela fait de l’apiculture la deuxième production agricole du pays à l’exportation après le thé et devant la sériciculture et les agrumes.

La relation homme-abeille existe depuis toujours. En effet, l’abeille locale native (Apis cerana) abonde dans l’île où l’apiculture de cueillette faisait partie des traditions. Cette abeille locale qui par ailleurs est porteuse du varroa mais dont elle sait limiter l’infestation par épouillage, produit un miel très recherché et vendu 10 fois plus cher que celui produit par l’abeille Européenne. La production à la ruche est deux fois plus faible, environ 10 kg. On observe actuellement un intérêt de la part des amateurs pour cette petite abeille particulièrement attachante et peu agressive. Elle s’adapte très bien dans nos ruches à cadres, mais peut subitement déserter si on l’enfume trop. Il n’est pas rare de rencontrer ces petites abeilles dans les nombreuses cavités des temples bouddhistes, leur offrant ainsi un refuge de choix. Afin d’augmenter les récoltes, c’est vers 1930 que l’abeille Européenne (Apis mellifera) fut importée d’Italie.

La chaleur tropicale plus les 2550 mm /an de précipitation font de l’île une tache de végétation luxuriante au milieu de la mer de Chine. Parmi les principales plantes mellifères on observe : longane (Euphoria longana), litchi (Litchi chinensis), agrumes (Citrus sinensis), sarrasin (Fagopyrum esculentum), l’arbre à papier (Melaleuca leucadendra). Pour ce qui est des pollinifères: le thé (Camellia sinensis), rhus (Rhus senialata), colza (Brassica campestris).

La pollinisation dirigée se pratique régulièrement sous serre comme en plein champ sur les cultures maraîchères comme les fraisiers, concombres etc.....

1700 larves à l’heure
Le coût de la main d’œuvre assez élevé pour la région (comparable à celui de l’Europe), fait que les exploitations apicoles sont toutes de dimensions familiale. De plus, comme partout les jeunes sont de plus en plus attirés par la ville et son industrie florissante où l’on ne travaille que 6 jours /semaine.

Donc, notre exploitation type est composée de 200 à 250 ruches conduites par l’homme, la femme et parfois les enfants en période de congés scolaires. La moyenne sera de 600 kg de gelée par saison. Les plus performants rencontrés à l’Est de l’île, produisant 950 kg avec 210 colonies ! . Ils travaillent en moyenne 9 h/jour pendant 9 mois à la production de gelée royale. Le reste de l’année est d’un rythme moins soutenu, et consacré au miel. Tout cela leur procure un revenu au dessus de la moyenne du pays et permet de vivre loin de la pollution citadine. Ils semblent satisfais de leur sort malgré ces journées bien remplies.

Le cheptel est réparti en 3 ruchers distants seulement de quelques km du domicile. Un petit véhicule bâché fait fonction d’atelier dans lequel s’effectue toutes les opérations de récolte et de greffage à l’abris du pillage. Une lampe frontale branchée sur la batterie permet de bien voir les jeunes larves sur le cadre de couvain.

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Sous l’œil de Bouddha

Tous les jours durant ces 9 mois, 1/3 du cheptel est travaillé pour le greffage et la récolte de la gelée royale. 3 ou 4 barrettes de 34 cellules en plastique sont introduites dans chaque ruche. Le transfert des jeunes larves âgées de 2 jours s’effectue à l’aide d’une aiguille en bambou au "rythme Asiatique" de 1700 larves/h. par personne, soit le double des performances de nos meilleurs greffeurs européens.

Trois jours après, la gelée est récoltée à l’aide d’une petite cuillère en bambou, à une vitesse rivalisant avec nos pompes européennes. En fin de journée, environ 3 à 4 kg de gelée sont récoltés et entreposés dans le congélateur en attendant l’expédition vers le Japon ou l’Europe. Trois jours après, ce même rucher subira la même opération.

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Récolte en famille

Les ruches sont de type Langstroth 10 cadres, travaillées avec une grille à reine verticale flottante. Deux cadres de couvain dans la partie orpheline sont placés de chaque côté du cadre de barrettes de cupules. A chaque manipulation, un nourrissement systématique au sirop de sucre (fructose-glucose) est effectué (30 kg/ruche/an), et pendant la saison des pluies, un apport en pâte protéiné composé de 50% de pollen de thé ou de colza, 50 % de farine de soja le tout mélangé avec un peu de miel.

Toutes ces colonies sont peuplées d’abeilles italiennes (Apis mellifera ligustica) particulièrement douces, et sélectionnées avec succès pendant de nombreuses années pour leur rendement élevé en gelée royale (0.4 g par cellule). D’après nos collègues taiwanais, le caractère génétique propre à la récolte du miel serait incompatible avec celui de la production de gelée royale.

Concernant les maladies, la varroase est traitée avec des inserts Apistan. Le second soucis de nos collègues taiwanais est la loque américaine. Comme dans les autres pays, ils ont recours aux antibiotiques. Par contre l’île est indemne d’acariose et a très peu de nosémose ou de mycoses.

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L’affaire est dans le sac

Si le miel ne représente que 4000 T de production/an, la gelée royale est de plus de 350 T/an. Cela en fait le second producteur après la Chine populaire qui elle en produit 600 T/an avec les mêmes méthodes de travail. 50 % de cette production est exportée vers le Japon et l’Europe, le reste consommée localement.

La gelée taiwanaise réputée de meilleure qualité que celle produite en Chine ou Thaïlande sera vendue plus de deux fois plus cher sur le marché international soit environ 70 US $/Kg. Par ailleurs, il semble que les connaisseurs fassent une différence sur le plan gustatif en fonction du lieu de production. Le type de flore et de miellée pendant la récolte de gelée doit modifier le goût de celle-ci, et il faut reconnaître que celle produite dans la belle île est particulièrement douce et agréable au goût.

600 ruches en avion
Les techniques de production de la gelée royale furent principalement développées au Japon dans les années 40. N’oublions pas que ce pays reste aujourd’hui le premier importateur de gelée avec plus de 400 T/an . Puis, le coût de la main d’œuvre devenant de plus en plus élevé, les japonais sont allés former et installer des apiculteurs à Taiwan. Ironie du sort, aujourd’hui les taiwanais se retrouvent dans le même cas de figure que les japonais il y a 50 ans et s’en vont créer des unités de production en Chine et en Thaïlande pour les mêmes raisons. C’est ainsi que l’un des plus importants personnages du monde de la gelée royale en Asie, Mr Chen, a transporté par avion 600 ruches complètes de Taiwan jusqu’au Nord de la Thaïlande; une grande première. De cette embryon d’exploitation a été créée une unité de production de gelée de 2000 colonies appliquant aujourd’hui la même recette décrite précédemment.

Au département entomologie et biologie de l’Université de Taipei, les chercheurs travaillent également sur l’abeille. C’est ainsi qu’ils ont démontré que la gelée lyophilisée avait perdu la plupart de ces composants. En effet, des jeunes larves nourries avec cette gelée lyophilisée reconstituée ne pouvaient survivre. Les méthodes d’analyses se perfectionnent également, et aujourd’hui, on peut déterminer avec précision l’origine géographique des gelées.

Un plat de choix
La consommation locale de gelée fraîche reste importante avec plus de 150 T/an. La diététique et la médecine chinoise par ailleurs très liées, conseille une alimentation saine et équilibrée favorisant cette consommation. Alors qu’en Europe on préconise 1 g/jour, en Asie c’est pas moins de 10 à 20 g/jour que l’on prend le matin à jeun pour ceux qui en ont les moyens financiers.

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Plat royal aux larves de reines

Les jeunes larves royales récoltées avant pompage feront le bonheur des grands restaurants. Agées de 3 + 2 jours, les fins gourmets attachés aux traditions les mélangent tout simplement dans une omelette. On peu également en faire une préparation avec du vin.

En parcourant ces exploitations, on remarque tout de suite une organisation du travail irréprochable. D’autre part, l’une des choses les plus remarquables reste le travail de sélection de cette abeille très productive effectuée au cours de plusieurs décennies. Tout ceci, cumulé avec un climat et une flore dessinés sur mesure, fait de Taiwan l’endroit idéal pour la production de gelée royale.
Gilles Fert