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L'heure de vérité (2002)
Par  B. Cartel

Voici le moment attendu tant pour l'apiculteur débutant que pour l'éleveur d'abeilles plus confirmé. Enfin, il va pouvoir récolter, extraire, maturer, empoter et déguster ce miel " primeur ". Il en a fallu des heures de travail, d'observation, d'attente et voici la récompense.Selon l'importance et l'emplacement du rucher, elle sera modeste ou importante, monoflorale ou polyflorale. Ce miel nouveau, qu'il soit consommé en famille ou mis sur le marché, doit être d'une qualité irréprochable et pour cela nous observerons quelques règles élémentaires. Ne pas les respecter, c'est prendre le risque d'obtenir un produit qui pourra avoir un mauvais goût, un aspect peu engageant, une présentation " à revoir ", une conservation aléatoire.

Du  nectar au miel
Dans les corolles des fleurs, l'abeille récolte du nectar, liquide sucré produit par les glandes que sont les nectaires. Il est composé de sucres, généralement du glucose, et d'eau selon des proportions qui varient en fonction des fleurs et de l'humidité ambiante. Si l'abeille laborieuse en a le choix, elle privilégiera la fleur qui offre, outre un accès facile, le meilleur rendement en sucre. Ensuite et par défaut, elle s'orientera vers des fleurs de moins en moins rentables. Le nectar est aspiré par la trompe et emmagasiné dans le jabot de la butineuse et déjà là, il subit une transformation due à l'action d'enzymes produites par l'abeille. De retour à la ruche, elle transmet sa charge en cours de transformation à une autre abeille qui continue ce travail et ainsi de suite. 

C'est ainsi que d'abeille à abeille ou plutôt de jabot à jabot, le sucre originel du nectar se décompose en plusieurs sucres dont les principaux sont le fructose et le glucose.

Dans le même temps, des ouvrières s'occupent d'éliminer le surplus d'eau. D'une part, elles étalent sur les alvéoles le produit qui n'est plus du nectar mais pas encore du miel, de façon à en favoriser l'évaporation et d'autre part par l'action conjointement menée des ventileuses qui provoquent un grand brassage d'air. C'est par cette double action, chimique et mécanique que le nectar devient miel. Dès que son taux d'humidité devient acceptable, moins de 19 %, les abeilles le déposent définitivement dans les alvéoles qui seront operculées. Sa conservation dans la ruche sera alors assurée pour une longue période. C'est maintenant que l'apiculteur peut prélever sa juste part, celle engrangée dans la hausse.

Quand récolter ?
Que l'on récolte une hausse complète ou seulement quelques cadres, ceux-ci doivent être operculés au moins sur 80 % de leur surface. Dans le cas contraire, la transformation du nectar en miel n'étant pas achevée, le produit contiendra encore un pourcentage d'eau trop élevé et risquera de fermenter à terme. L'apiculteur performant possède le moyen d'extraire ce surplus d'eau, comme par exemple un déshumidificateur, mais cet achat n'est pas prioritaire. Puisque les abeilles font fort bien ce travail, laissons-les faire et n'envisageons de récolter qu'après les quelques jours supplémentaires, nécessaires à une bonne operculation.

Lorsque ces conditions seront remplies, nous choisirons une belle journée sans vent, pour récolter dans des conditions optimales de sécurité, tant pour l'apiculteur que pour l'environnement humain ou animal.

Comment récolter ?
Il existe plusieurs techniques pour récolter : par brossage, par soufflage, par l'emploi du chasse-abeilles ou celui d'un répulsif. Ce dernier présente toutefois quelques risques de polluer le miel. 

Le brossage 
Après avoir enfumé modérément, on enlève le couvre-cadres de la hausse. Chaque cadre prélevé est débarrassé des abeilles à l'aide d'une balayette. Il est souhaitable que celle-ci soit pourvue de poils souples afin de ne pas blesser les abeilles. On range ensuite les cadres dans une hausse vide ou dans une caisse de récolte posée précédemment sur le toit d'une ruche voisine. 

Si la miellée se poursuit, et en juin tous les espoirs sont permis, ils seront remplacés nombre pour nombre, par des cadres prêts à l'emploi. Si nécessaire, les cadres non operculés à souhait seront ramenés au centre de la hausse pour une meilleure prise en charge par les abeilles.

Il se peut que la reine ait pondu dans la hausse. Bien évidemment, on regroupera en priorité au centre de la hausse, à l'endroit le plus chaud, les cadres contenant du couvain.

Le soufflage
Cette méthode implique l'achat ou le prêt d'un souffleur à abeilles fonctionnant avec moteur à essence ou électrique 220 V. Dans ce dernier cas, un convertisseur 220/12 volts permet son utilisation avec une batterie de voiture. La méthode de travail est la suivante : après avoir découvert la ruche, on chasse un maximum d'abeilles et éventuellement la reine à l'aide de l'enfumoir. La hausse est ensuite décollée et posée sur le chant. On peut maintenant souffler entre les cadres et chasser les récalcitrantes. Il ne reste qu'à récolter tout ou partie des cadres ou à emmener directement la hausse, après avoir vérifié qu'elle ne contient aucun couvain et que l'operculation est correcte. 

  

Le chasse-abeilles
Quelle que soit sa forme, ronde, ovale, en cône, cet appareil permet le passage des abeilles dans un sens et leur interdit le retour. Il s'inscrit dans un couvre-cadres d'une seule pièce et peut être doublé ou triplé pour multiplier le débit du retour des abeilles de la hausse vers le corps de ruche. On place le couvre-cadres ainsi équipé, de préférence le soir, entre corps et hausse, en vérifiant le sens de passage ….

Le lendemain, la hausse est vide d'abeilles et la récolte est possible sans même utiliser la fumée. S'il reste encore un bon nombre d'abeilles, c'est le signe de la présence du couvain ou du mauvais emploi du chasse-abeilles (posé à l'envers). Ce système est très pratique mais impose une manœuvre supplémentaire, celle de glisser le couvre-cadres équipé du chasse-abeilles. Il permet de récolter sans agression, en toute sécurité pour l'apiculteur et son entourage.

Les répulsifs
Les puristes vont crier au scandale : encore des produits chimiques ? Certes, mais puisque la méthode existe, il faut en parler. 

Deux répulsifs peuvent être utilisés : l'essence de mirbane et le benzaldehyde.

La méthode consiste à imprégner de quelques gouttes de répulsif un couvre-cadres fabriqué en une matière absorbante (Isorel mou, feutre …). Le couvre-cadres originel est enlevé et remplacé par celui qui vient d'être préparé, face imprégnée côté cadres. Chassées par l'odeur, les abeilles fuient la hausse et rejoignent le corps de ruche. Au bout de quelques minutes, la hausse est vide de ses occupantes et on peut déplacer le couvre-cadres avec répulsif sur la ruche suivante. La récolte se pratique tout de suite, sans attendre la remontée des abeilles. 

Un conseil : quel que soit le produit choisi, il faut l'utiliser avec prudence et parcimonie. Un couvre-cadres trop imprégné est tellement efficace que les abeilles peuvent sortir et former une barbe devant la ruche. Par ailleurs, l'odeur peut se transmettre au miel, notamment en cas d'operculation incomplète … D'après la littérature apicole, il semble que ce soit le benzaldéhyde qui soit le moins nocif. Redisons encore prudence à celui qui serait tenté par son utilisation.

A la miellerie
Chaque apiculteur n'est pas forcément équipé d'une miellerie mais doit disposer d'un endroit ou stocker les hausses et les extraire. Ce local doit être parfaitement propre, sec, aéré et isolé des abeilles pillardes. Un sol carrelé convient bien, d'autant qu'il sera facilement lavable. Pour une meilleure protection, on peut le revêtir provisoirement d'un film plastique ou d'un linoléum : nous éviterons ainsi les traces de cire, de propolis qui adhèrent au sol et ne disparaissent qu'après un grattage fastidieux. Pour la paix des ménages, il convient de limiter les quelques salissures inévitables. Dans ces mielleries de fortune, les hausses seront empilées de préférence au-dessus d'une caisse à hausses, pour limiter également quelques coulures de miel.

Préparation à l'extraction
Les matériels nécessaires doivent être en bon état et d'une propreté irréprochable. Ils seront mis en place juste avant l'extraction. Pour le tout jeune débutant, nous conseillons vivement l'achat de matériel neuf ou d'occasion en matériau alimentaire, plastique ou métal inox.

  • un extracteur, tangentiel ou radiaire (pouvant se transformer en tangentiel), manuel ou électrique, avec ou sans variateur de vitesse, réversible ou non ; la gamme est large et puisque l'investissement est un peu conséquent, il faut penser à acheter un appareil qui sera d'une capacité adaptée à l'exploitation envisagée à moyen terme ;
  • un maturateur équipé d'un filtre à mailles fines ;
  • un couteau à désoperculer électrique de préférence avec thermostat de réglage de température ;
  • un ou deux seaux et un filtre amovible à plus grosses mailles.

Le bac à désoperculer n'est pas indispensable pour démarrer en apiculture. Il peut être remplacé par un récipient toujours en matière alimentaire et aménagé pour l'occasion. A mes débuts, j'avais transformé une cuve inox de lave-linge. Je m'en suis servi sans problème pendant des années avant qu'un ami attentionné ne m'en construise un …

  

L'extraction
Dans la mesure du possible, l'extraction doit suivre le prélèvement : les cadres sont encore chauds, le miel est fluide, il s'extrait et se filtre facilement. Mais ce n'est pas toujours le cas. Si les hausses sont stockées plusieurs jours avant l'extraction, l'atmosphère du local doit rester sèche et tempérée.

  • Tempérée pour éviter un épaississement du miel qui contrarierait l'extraction et le filtrage.
  • Sèche pour limiter le risque d'augmentation du taux d'humidité du miel . Celui-ci est hygroscopique, c'est-à-dire qu'il a la faculté d'absorber l'humidité de l'air. 

C'est la raison pour laquelle les cadres prélevés doivent être bien operculés et stockés en atmosphère sèche. Dans le cas contraire, un miel qui contiendrait par exemple 18 % d'eau, ce qui est acceptable, peut, à la suite d'un stockage défectueux, " pomper " 1 % d'eau. Ce nouveau taux de 19 % le pénalise et ne lui garantit plus une bonne conservation. Il risque également, pour ce seul critère d'être refusé à un concours des miels dont la norme est généralement plus basse.

L'extraction proprement dite consiste, à l'aide d'un couteau, à découper les opercules.

La température de la lame doit être ajustée de façon à éviter une caramélisation de surface qui, elle aussi, détériore le miel. Cette dégradation ou ce vieillissement s'accompagne de la formation d'hydroxyméthyle furfural (H.M.F.) exprimé en mg/kg. Elle se poursuit inexorablement avec le temps. Aussi l'apiculteur se doit d'être vigilant et ne pas rajouter quelques points de HMF à la suite d'une mauvaise désoperculation.

Désoperculés, on répartit les cadres dans l'extracteur de façon à éviter tout déséquilibre pendant la rotation. C'est la force centrifuge qui extrait le miel des alvéoles. Il se peut que l'extraction soit difficile à la suite d'un début de cristallisation du miel dans les alvéoles. C'est parfois le cas du miel de colza ou de certains miellats riches en mélézitose.

Si ce processus est bien engagé, il y a risque de voir les rayons se briser si l'on insiste ou si l'on augmente la vitesse de rotation. Ces cadres seront récupérés et proposés aux abeilles comme nourrissement d'automne (cas du colza) ou au printemps (cas des miellats, plus indigestes, sur lesquels il est déconseillé de faire hiverner les colonies). 

   

La maturation
Après son extraction et un préfiltrage dans le seau de transport, on vide le miel dans le maturateur. Cet appareil, constitué d'une cuve coiffée de son filtre dispose d'un robinet en son fond. Dans le maturateur, le miel va décanter, les mini-fractions de cire, les microbulles d'air et autres microimpuretés remontent lentement à la surface pour former une couche de mousse.

Faut-il l'écumer ou pas ? Oui, dans le cas de miellerie parfaitement sèche. Non en cas d'atmosphère humide, cette couche de mousse pouvant servir d'isolant. Il est également probable que des mouvements s'effectuent dans la masse pendant la maturation et que le miel plus dense se concentre au fond tandis que le miel moins dense monte en surface.

Nous tiendrons éventuellement compte de cette " séparation " lors de l'empotage. Les premiers pots soutirés auront une bonne probabilité de mieux se conserver que les derniers soutirés, qui devront être eux, consommés en priorité.

L'empotage
Après les 10 ou 15 jours de maturation, l'empotage est possible. Pour l'apiculteur qui commercialise, quelques règles doivent être respectées. Les pots doivent contenir des masses nettes exprimées en grammes de 75, 125, 250, 500, 750 grammes, 1 kg et multiples de 500 grammes. Cette réglementation est en cours de changement au niveau européen, nous en reparlerons quand ce sera officiel.

Sur les pots doivent figurer également :

  • le nom, l'adresse du producteur,
  • la mention " Miel " qui peut être suivie d'une mention florale, ex. " Miel d'acacia ".
  • la mention " A consommer de préférence avant le … ", cette indication s'exprimant en jour, mois et année. 

Généralement, la période prise en considération est de 2 ans. A titre d'exemple, pour un miel emballé le 15/06/02, la date portée sera 15/06/04.

Le stockage
Pour les mêmes raisons exprimées plus haut, on stockera les pots à l'abri de l'humidité et de la chaleur. Une température moyenne de 14-16° est recommandée, mais c'est aussi la température idéale pour une cristallisation rapide …

La cristallisation
Hormis quelques rares variétés de miel, (acacia, sapin…), tous les miels cristallisent à plus ou moins long terme. Cette cristallisation peut être fine ou grossière, le phénomène est naturel. Sans être exhaustive, les photos ci-dessous des miels monofloraux donne une indication de leur devenir physique :

  

Exemples de cristallisation de quelques miels monofloraux