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cerana presente

L’espèce Nosema ceranae est présente en France dans les colonies d’abeilles… (2008)
Par Marie-Pierre Chauzat, Nicolas Cougoule et Jean-Paul Faucon
 AFSSA, Les Templiers, 105, route des Chappes BP 111
F-06 902 Sophia-Antipolis Cedex

La nosémose est une maladie grave des abeilles adultes dont l’agent causal est Nosema sp. L’espèce Nosema apis Zander, bien connue des apiculteurs et des pathologistes de l’abeille, a été l’un des premiers parasites de l’abeille jamais décrit. Plus récemment, un autre microsporidé, Nosema ceranae, a été mis en évidence en Europe (Higes et al. 2006). Les spores produites par les deux espèces de Nosema ont des formes très similaires et ne peuvent qu’être difficilement différenciées par la méthode de microscopie optique classique. Il est nécessaire d’utiliser des techniques de biologie moléculaire (communément appelées PCR) afin d’identifier les infections ou les co-infections par chacun de ces pathogènes (Fries et al. 1996).

En France, depuis les années 1990, des mortalités de colonies d’abeilles ont été décrites en hiver et au cours de la saison apicole. Afin d’étudier ces effondrements de colonies, une étude de terrain a été conduite de 2002 à 2005 par l’AFSSA Sophia Antipolis (Chauzat et al. 2006). à l’occasion de ce travail, des échantillons d’abeilles vivantes ont été prélevés régulièrement et stockés au froid. Nous avons soumis ce jeu de prélèvements au diagnostic différentiel des deux espèces de Nosema par PCR afin de savoir, dans les limites de notre protocole, si l’espèce Nosema ceranae était présente sur le territoire national et depuis quand (Chauzat et al. 2007).

Protocole de recueil des échantillons et analyses
Au cours de l’étude conduite de 2002 à 2005, 25 ruchers ont été suivis. Ils étaient situés dans 5 départements de France continentale : l’Eure, l’Indre, le Gard, le Gers et l’Yonne. Dans chaque rucher, 5 ruches tirées au sort ont été visitées 4 fois par an tout au long de l’étude. Tous les symptômes ou anomalies observés à l’intérieur ou autour des ruches ont été relevés. à chaque visite, des abeilles vivantes ont été systématiquement prélevées à l’intérieur des colonies. Les spores de Nosema sp. ont été cherchées et comptées sur chacun de ces prélèvements selon les protocoles de l’OIE (l’Office International des épizooties). Au total, sur les 3 ans, 1 485 recherches de spores ont été effectuées. 197 prélèvements contenaient des spores. Le diagnostic différentiel utilisant les techniques de biologie moléculaire a été conduit sur 61 sous-échantillons issus des 197 prélèvements positifs. Ces 61 sous-échantillons étaient issus de 9 ruchers et ont été collectés pendant les visites menées après l’hiver (mars et avril), avant l’été (mai et juin) et avant l’hiver (septembre et octobre). Les sous-échantillons, envoyés au Laboratoire Espagnol de Pathologie de l’Abeille ont été examinés dans un premier temps selon la méthode OIE, puis selon les techniques de biologie moléculaire. Des amorces spécifiques de la région 16S du gène ARNr des microsporidés utilisées produisaient des produits de PCR de longueur différente selon les espèces de Nosema ce qui permettait de discriminer les deux espèces (Webster et al. 2004), (Higes et al. 2006). Tous les produits de PCR ont été séquencés pour confirmer le diagnostic.

La présence de N. ceranae en France
Avant les analyses de biologie moléculaire, le comptage des spores a révélé des quantités qui variaient de 24 000 à 16 millions de spores par abeille. Dans 20 sous-échantillons (32,8 %) aucun produit de PCR n’a été obtenu. N. apis seul a été trouvé dans un sous-échantillon (1,6 %), N. ceranae seul dans 36 sous-échantillons (59,0 %), et N. apis et N. ceranae ensemble dans 4 échantillons (6,6 %) (figure 1).


Fig. 1

Au total des spores de N. ceranae ont été trouvés dans 65,6 % des échantillons d’abeilles.L’ensemble des 9 ruchers étudiés était porteur de spores de Nosema d’une des deux espèces au moins une fois pendant la période d’échantillonnage. à l’exception d’un cas, tous les ruchers étaient porteurs de N. ceranae seul ou avec N. apis. Les 3 ruchers dans lesquels N. apis a été identifié étaient situés dans le nord de la France (l’Eure et l’Yonne).

 Les abeilles porteuses des spores de N. ceranae ont été collectées lors des visites menées en mars et avril, en mai et juin, et en septembre et octobre, c’est-à-dire à chaque visite durant laquelle des prélèvements ont été effectués. Des spores de N. ceranae ont été trouvées dans des échantillons collectés en 2002, en 2003, en 2004 et en 2005. Aucun symptôme aigu de nosémose n’a été relevé à l’occasion de prélèvements d’abeilles.                                                                                                                              

Cette étude montre que N. ceranae est présent en France depuis au moins 2002. Le parasite est bien distribué dans tout le pays et a été diagnostiqué dans tous les ruchers étudiés à l’exception d’un cas. 20 sous-échantillons tirés d’échantillons positifs n’ont produit aucun résultat PCR. L’échantillonnage mené dans l’enquête multifactorielle prospective imposait le prélèvement d’abeilles vivantes à l’intérieur des colonies.

Cet échantillonnage n’est pas le meilleur pour l’étude de la présence de spores de Nosema dans une colonie. L’Arrivée a montré qu’il est préférable de prélever des abeilles ne présentant pas de symptômes sur le pas de vol (butineuses) pour diminuer la variabilité des résultats (L'Arrivée, 1963). Afin d’évaluer plus précisément la présence de N. ceranae et celle de N. apis, d’autres études sont donc nécessaires, impliquant des protocoles de prélèvement plus ciblés. Le laboratoire de l’AFSSA Sophia Antipolis, grâce aux projets financés par le programme FEOGA (Fonds Européens d’Orientation et de Garantie Agricole), poursuit des recherches sur ce sujet. Le diagnostic différentiel sera mis en place à Sophia Antipolis au cours de l’hiver 2007-2008 et une campagne d’échantillonnage en France est prévue pendant la saison apicole 2008.


Une spore de microsporidés dévaginant son
 filament polaire (extrait de Larson, 1986)


Infection des cellules endothéliales du ventricule de l’abeille par N. ceranae. Les microsporidés apparaissent 
sous forme de petites taches noires dues à la coloration (extrait de Higes et al. 2006)

D’autres études en Europe et dans le monde
La distribution de ces résultats montre que les ruchers porteurs de N. apis sont tous situés dans le nord de la France. Ce point pourrait donner des indications sur la stratégie de multiplication et de dissémination de N. ceranae. Plus d’études sont nécessaires pour apporter des connaissances sur la biologie et l’épidémiologie de N. apis d’une part et sur celle de N. ceranae d’autre part.

La récente détection de N. ceranae dans les abeilles européennes intrigue la communauté scientifique et apicole. Plusieurs études récemment parues apportent des éléments sur la possibilité d’un saut adaptatif du parasite de son hôte primaire (l’abeille asiatique, A. cerana) à un autre (l’abeille domestique, A. mellifera). Ce saut adaptatif n’est pas sans rappeler celui de Varroa jacobsoni qui était également « passé » de l’hôte asiatique à nos abeilles domestiques. Deux études ont porté sur la répartition de N. ceranae au niveau mondial au sein de colonies d’abeilles domestiques. Elles ont montré sa présence en Espagne (Higes et al. 2006), en France (Chauzat et al. 2007), au Danemark, en Finlande, en Allemagne, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Serbie (Klee et al. 2007), en Suisse (Martin-Hernandez et al. 2007), à Taiwan (Huang et al. 2007), au Brésil et aux Etats-Unis. N. ceranae est désormais présent sur quatre continents : l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Asie et l’Europe. Pour ce qui est de la France, il est intéressant de constater que les résultats récents publiés par l’équipe du Dr Higes sont cohérents avec les résultats présentés dans cet article : dans la majorité des échantillons porteurs de spores, N. ceranae a été identifié, et la co-infection des deux espèces de Nosema ne représentait que 16 % des échantillons (Martin-Hernandez et al. 2007).

Sur le plan de la pathogénicité, le laboratoire espagnol dirigé par le Dr Mariano Higes a montré que des spores de N. ceranae infectieuses étaient présentes dans les pelotes de pollen confectionnées par les abeilles (Higes et al. 2007b). Quand les abeilles fabriquent les pelotes, elles collent les grains de pollens en régurgitant un peu de liquide contenu dans leur jabot (miel ou nectar). Les spores seraient transmises aux pelotes par ce biais. Ces résultats mettent en évidence une nouvelle voie de dissémination du parasite.

Il est évident que se pose la question de la comparaison de la pathogénicité de N. ceranae par rapport à N. apis. La même équipe espagnole a montré lors d’expérimentations en cagette un grand taux de mortalité d’abeilles adultes quand elles sont infectées par N. ceranae par rapport à un contrôle non infesté (Higes et al. 2007c). Sur le terrain, cette pathogénicité s’exprimerait en association avec le virus de la cellule noire de reine (Higes et al. 2007a).

Toutes ces publications s’accordent à dire qu’il est nécessaire de conduire d’autres études afin de recueillir des données ciblées sur la biologie et l’épidémiologie des deux agents pathogènes d’une part et sur la pathogénicité de ces agents au regard de l’abeille domestique d’autre part. Le laboratoire de l’AFSSA Sophia Antipolis prévoit d’aborder ces points dans un futur très proche.

Remerciements à nos collaborateurs
Ce travail a été réalisé en collaboration avec l’équipe du Dr Mariano Higes du Laboratoire Espagnol de Pathologie de l’Abeille (Centro Apicola Regional, Marchamalo) qui a effectué les analyses PCR.

Références :

  • Chauzat, M. P., J. P. Faucon, A. C. Martel, J. Lachaize, N. Cougoule, and M. Aubert. 2006. A survey on pesticide residues in pollen loads collected by honey-bees (Apis mellifera) in France. Journal of Economic Entomology 99 : 253-262.
  • Chauzat, M. P., M. Higes, R. Martin-Hernandez, A. Meana, N. Cougoule, and J. P. Faucon. 2007. Presence of Nosema ceranae in French honey bee colonies. Journal of Apicultural Research 46 : 127-128.
  • Fries, I., F. Feng, A. Da Silva, S. B. Slemenda, and N. J. Pieniazek. 1996. Nosema ceranae (Microspora, Nosematidae). Morphological and molecular characterization of a microsporidian parasite of the asian honey bee Apis cerana (Hymenoptera, Apidae). European Journal of Protistology 32 : 356-365.
  • Higes, M., F. Esperon, and M. Sanchez-Vizcaino. 2007a. Short communication. First report of black queen-cell virus detection in honey bees (Apis mellifera) in Spain. Spanish Journal of Agriculture Research 5 : 232-325.
  • Higes, M., R. Martin, and A. Meana. 2006. Nosema ceranae, a new microsporidian parasite in honeybees in Europe. Journal of Invertebrate Pathology 92 : 93-95.
  • Higes, M., R. Martin-Hernandez, E. Garrido-Bailon, P. Garcia-Palencia, and A. Meana. 2007b. Detection of infective Nosema ceranae (Microsporidia) spores in corbicular pollen of forager honeybees. J. Invertebr. Pathol.
  • Higes, M., G. P. Pilar, M. H. Raquel, and M. Aranzazu. 2007c. Experimental infection of Apis mellifera honeybees with Nosema ceranae (Microsporidia). J. Invertebr. Pathol. 94 : 211-217.
  • Huang, W. F., J. H. Jiang, Y.-W. Chen, and C. H. Wang. 2007. A Nosema ceranae isolate from the honeybee Apis mellifera. Apidologie 38 : 30-37.
  • Klee, J., A. M. Besana, E. Genersch, S. Gisder, A. Nanetti, D. Q. Tam, T. X. Chinh, F. Puerta, J. M. Ruz, P. Kryger, D. Message, F. Hatjina, S. Korpela, I. Fries, and R. J. Paxton. 2007. Widespread dispersal of the microsporidian Nosema ceranae, an emergent pathogen of the western honey bee, Apis mellifera. J. Invertebr. Pathol.
  • L’Arrivée, J. C. M. 1963. The effect of sampling sites on Nosema determination. Journal of Insect Pathology 5 : 349-355.
  • Martin-Hernandez, R., A. Meana, L. Prieto, A. M. Salvador, E. Garrido-Bailon, and M. Higes. 2007. The outcome of the colonization of Apis mellifera by Nosema ceranae. Applied and Environmental Microbiology.
  • Webster, T. C., K. W. Pomper, G. Hunt, E. M. Thacker, and S. C. Jones. 2004. Nosema apis infection in worker and queen Apis mellifera. Apidologie 35 : 49-54.