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Le problème du colza O.G.M. (Organisme Génétiquement Modifié)
2001
Par F. Anchling
Depuis plusieurs années les plantes transgéniques sont l’objet d’un débat passionné et passionnel entre anti O.G.M et pro O.G.M.. Si pour certains il ne s’agit que d’une technique et c’est seulement le produit qui compte, arguant que les gènes d’une plante peuvent aussi se transmettre tout naturellement par voie sexuée ; pour d’autres, l’humanité n’a pas besoin des O.G.M. qui seraient nés de la volonté des grandes firmes agroalimentaires de confisquer le vivant à leur profit. Néanmoins, les cas récents de contamination chimique par des produits phytosanitaires pourraient être mis à profit par les pro- O.G.M. pour démontrer les illusions d’un avenir alimentaire sans O.G.M. La jardinerie transgénique est déjà bien fournie : à coté du soja (expérimenté en France, mais produit en Amérique, en Chine et en Argentine) et du maïs (seule plante transgénique qui bénéficie d’une A.M.M.), on trouve aussi le colza (cultivé au Canada), et de nombreuses autres plantes : banane, coton, courge, cacao, café, blé, betterave, chicorée, chou, laitue, manioc, riz, melon, oeillet, peuplier, papaye, pomme de terre, pommier, tabac, tournesol, tomate, vigne ...
Comment fabrique-t-on un organisme transgénique ? On désigne sous ce terme les plantes, les animaux ou même des micro-organismes (levures et bactéries) dont le génome a été modifié par l’introduction d’un morceau d’A.D.N. qui comporte le "gène d’intérêt " repéré et prélevé dans un autre organisme ; et capable de conférer des propriétés nouvelles à l’organisme récepteur. On obtient ainsi un OGM ou Organisme Génétiquement Modifié. Mais pour que ce gène puisse s’exprimer dans la cellule réceptrice et que la protéine correspondante soit fabriquée, on associe au gène d’intérêt un vecteur, ou séquence régulatrice d’ADN, d’origine virale ou bactérienne qui va favoriser cette expression.
Et pour clairement identifier les OGM qui ont effectivement assimilé le gène d’intérêt et qui l’exprime, on associe au gène d’intérêt un gène marqueur qui est souvent une résistance à un toxique (herbicide, pesticide, ou antibiotique). Cette construction va s’intégrer au hasard dans le génome de l’organisme hôte, avec le risque toujours possible de modifier ou d’annuler l’expression des gènes adjacents spécifiques de l’organisme hôte.
Enfin on sélectionne les cellules ainsi modifiées qui se développent ; on étudie leur activité et on sélectionne celles qui transmettent le mieux leurs nouvelles caractéristiques.
Le grand danger potentiel mais non négligeable de cette construction, c’est un échange de matériel génétique se produisant naturellement, transféré à des virus ou à des bactéries du sol ou du tube digestif des prédateurs. Dans cet accident notre abeille se trouvera ravalée au niveau des prédateurs.
Quel est le point de vue des différents acteurs de la filière agroalimentaire ?
Les grandes firmes agrochimiques (Novartis, Monsanto) ont investi énormément d’argent dans le développement des OGM ce qui avait pour but de consolider leur domination du marché des semences et des herbicides. Comme l’écrit Jean-Pierre Berlan, célèbre économiste dans son livre «la guerre au vivant, OGM et autres mystifications scientifiques» «il s’agit de séparer complètement la production des paysans de la reproduction, cette dernière devenant l’apanage des semenciers» ce qui est le plus effrayant, c’est la façon dont les risques inhérents aux OGM sont écartés par l’industrie qui n’a pas d’obligation de résultat, mais malheureusement aussi par les scientifiques. Les distributeurs très puissants en Europe tentent d’anticiper la défiance des consommateurs en mettant en place des filières non OGM.
Les agriculteurs d’abord séduits par les avantages des OGM se retrouvent pris entre des fournisseurs de plus en plus puissants et des consommateurs de plus en plus exigeants. Les consommateurs sont aujourd’hui plus de 60 % à refuser les produits qui risquent de contenir des OGM.
Le colza OGM est-il dangereux pour les abeilles ?
En Mai 2000, deux informations successives ont semé la panique dans les rangs des apiculteurs européens. La société hollandaise "advanta Seeds" avait distribué en Allemagne, Angleterre, France et Suède des semences de colza contenant à hauteur de 0,03 % des semences OGM. Cette semence originaire du Canada provenait d’une culture sans OGM, mais polluée accidentellement par une pollinisation croisée avec une culture OGM pourtant fort éloignée. (Ou est donc le risque de non-contamination ?) D’après les calculs de Greenpeace Allemagne, ces 0,03 % correspondaient quand même à 100 000 plants OGM. En Allemagne, France et Suède ces cultures ont été détruites. D’après le ministère de l’agriculture suédois la semence contenait 2,9 % d’OGM. Les anglais n’ont pas détruit les cultures estimant qu’elles ne présentaient aucun danger !
Le coup de tonnerre a été la révélation publique faite par deux scientifiques allemands de l’Université de Jéna et de l’Institut de recherches et d’analyses des produits naturels Hans Knöll de Jéna : les docteurs Hans-Hinrich Kaatz et Stefan Wölfl, du transfert horizontal d’un gène de colza OGM vers d’autres microorganismes. Ces deux scientifiques, ont analysé dans des conditions de laboratoire, les effets de plantes OGM sur les abeilles. Première constatation : même en condition extrême, les pollens de colza ou de maïs OGM ne semblent pas nuisibles. Et très certainement on peut exclure des répercussions négatives pour l’homme.
Cependant, en recherchant l’évolution (son destin) du pollen de colza OGM dans les intestins de l’abeille ils ont trouvé des bactéries et des levures (toujours naturellement présents dans ses intestins) qui avaient absorbé le matériel génétique de la plante OGM. Si ce transfert se confirme à l’occasion d’autres analyses, ce serait la première preuve d’un transfert horizontal. Ce qui confirmerait ce dont les anti OGM ont les plus extrêmes craintes. En effet et nous l’avons vu ci avant, un gène marqueur (qui est un gène de résistance à un antibiotique ou autre) est toujours associé à un gène d’intérêt. C’est l’ensemble de ces gènes qui sont introduit dans la plante à modifier, qui devient de ce fait OGM. Dans la plante devenue OGM le gène marqueur est inoffensif ; mais si ce gène passe de la plante OGM vers une bactérie, cette dernière devient résistante aux antibiotiques avec toutes les conséquences prévisibles : les antibiotiques couramment utilisés en médecine animale ou humaine seront inefficaces.
C’est l’une des objections majeures des anti OGM qui se trouve ainsi confortée.
Néanmoins, il faut d’abord contrôler et confirmer que ce matériel génétique est bien en provenance de la plante OGM ; que l’information contenue dans ce gène étranger pourra effectivement , occasionnellement être activée ? et se prononcer sur sa durée de vie. A l’heure actuelle, les scientifiques n’ont encore aucune certitude. D’un point de vue purement scientifique, ces découvertes sont d’une extrême importance, mais dans l’état actuel de leurs connaissances, ils précisent qu’il n’y a aucun motif à se faire du souci pour la santé humaine ou animale.
Et le docteur Ralph Bùchler de l’Institut de Kirchhain précise que le scandale des semences de colza en provenance du Canada doit nous conduire à une extrême prudence.
Les risques des essais en plein champ
Les essais en plein champ présentent un risque très important de dispersion des pollens par le vent et les insectes, à de très grandes distances, avec des transferts involontaires sur des plantes de la même famille.
Les conditions minimales requises pour de tels croisements sont :
- de trouver des partenaires fécondables adéquats dans le proche environnement des cultures transgéniques.
- que les cultures transgéniques fleurissent en même temps que les partenaires au croisement.
- que le pollen trouve un stigmate du partenaire au croisement ouvert et prêt à le recevoir.
Le plus grand risque est le croisement entre un colza OGM et un colza conventionnel ; mais aussi avec les plantes de la famille des Brassicaceae, car le colza lui-même est un produit du croisement de Brassica rapa (betterave) avec Brassica oleracea (choux) : ce sont toutes les variétés de moutarde, de rave, de choux, et leurs dérivés.
Il est naturellement difficile de comparer l’activité des abeilles sur des parcelles d’essai ou sous tunnel ; avec leur comportement sur de grandes étendues.
Essais en plein champ
Sur une surface de 8 000 m2 quatre sortes de colza d’été ont été semées : 2 variétés conventionnelles et deux variétés OGM résistantes aux herbicides. Une première constatation : aucune différence n’a été relevée entre les 4 variétés ; ni au niveau de la quantité de fleurs, de la production de pollen ou de nectar ; ni au niveau de la concentration des butineuses. Toute la surface avait la même attractivité. Parallèlement, une culture de colza conventionnel a été conduite sous serre, pour avoir une référence.
Afin de définir qualitativement le butinage des abeilles, on a collecté et congelé un même nombre d‘abeilles en plein champ comme aussi sous serre. En laboratoire le contenu des jabots a été préparé, les pollens définis et comptés, la concentration des sucres mesuré au réfractomètre et leur spectre par la méthode HPLC. Pendant 5 jours, des trappes à pollen ont été posées à l’entrée des 4 colonies installées au bord du champ. Ces trappes ont été récupérées toutes les deux heures. Les prélèvements ont été pesés , dégraissés et analysés au microscope électronique aussi bien qualitativement que quantitativement. Corrélativement on a capturé 30 abeilles sauvages et leur récolte de pollen analysée dans les mêmes conditions. De même 57 Méligèthes ont été capturés en bordure du champ et le pollen accroché à leur corps récupéré aux mêmes fins. Pour analyser le miel récolté, on a extrait les cadres de chaque peuple séparément, on l’a dilué et centrifugé par 2 fois à 3 500 tours/minute pendant 10 minutes. Les précipités ont passés au microscope électronique. Dans chaque préparation on a compté et marqué 1 000 grains de pollen.
Conclusions sur le contenu des jabots : Aucune différence n’a été relevé entre les 4 variétés de colza, que ce soit au niveau de la concentration des sucres, du spectre de ces sucres, que du nombre de grains de pollen.
Par contre la composition des nectars recueillis par les abeilles en plein champ diffère des nectars recueillis sous serres :
Les nectars récoltés en plein champ contenaient de plus des sucres composés tels que Maltose, Erlose, Isomaltose etc. totalement absents sous serres.
L’analyse des pollens présents dans les jabots des abeilles libres a révélé dans 40,2 % des cas, la présence d’autres pollens que ceux de colza (voir le tableau).
Conclusions concernant les analyses de pollens Les abeilles ont récolté le matin entre 8 h et 12 h 55 % du pollen et entre 12 h et18 h 28,2 %.
A coté du pollen de colza on trouve aussi de nombreux autres pollens (voir tableau).
Parmi les 30 analyses de pollen récolté par les abeilles sauvages 18 contenaient des pollens d’autres origines ce qui contredit la fidélité à une seule fleur.
Le pollen collecté sur les Méligèthes provenait à 89,06 % du colza. Dans les trappes, c’est le même constat, le matin la quantité de pollen de colza est plus importante que l’après-midi et l’on retrouve d’autres pollens.
Conclusions concernant les pollens contenus dans le miel Dans les miels récoltés sur colza d’été on trouve de 12 à 77 % de pollens de colza -- moyenne 44,7 % Dans les miels récoltés sur colza d’hiver (culture faite en 1998 ) on trouve 94,3 % de pollens de colza.
Conclusions
Ces différents essais étalés sur trois années successives avec du colza d’hiver comme avec du colza d’été permettent de conclure :
- Le butinage de l’abeille bien que spécialisé à une fleur n’est pas si constant que la littérature le décrit.
- Si certaines abeilles butinent spécifiquement du colza, dans la ruche elles sont en contact avec des consoeurs qui butinent des partenaires du pollen de colza.
- Pendant la floraison du colza d’hiver il y a moins de risques de dissémination de pollen OGM car il n’y pas de partenaires fécondables.
- Le risque de dissémination des pollens du colza d’été est évident et présente un grand danger car de nombreux partenaires compatibles fleurissent en même temps.
Bibliographie
- Imkerfreund 2 et 4/2000 - 5/1999
- Deutches Bienen Journal 2, 4 et 7/2000
F. Anchling