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Je l’ai déjà écrit plusieurs fois. La ruche peut être considérée à elle toute seule comme un écosystème (1). Le biotope est ici l’intérieur de la ruche avec son « climat », température, humidité, teneur en CO2, ses habitants ou biocénose, les abeilles mais également toute une flore et une faune saprophyte voire parasite. Comme tous les biotopes, il échange de l’énergie et de la matière avec les biotopes extérieurs, l’ensemble étant intégré dans une super-écosystème, l’écosystème « Terre ».
La ruche n’est pas peuplée que d’abeilles, les conditions de température, d’humidité alliées à la présence de substances organiques et minérales riches et variées attirent de nombreux hôtes plus ou moins occasionnels, plus ou moins permanents. Si l’absence de lumière empêche totalement le développement de végétaux chlorophylliens, les mycètes ou champignons y trouvent, eux, des conditions très favorables. Toujours présents dans les miels sous forme de levures, la forte pression osmotique liée à la forte concentration en sucres des miels inhibe leur développement, mais ne les tue pas. On trouve leur spores dans le pollen, sur les bâtisses et dans tous les recoins de la ruche. Le nettoyage incessant des ouvrières lié à l’action antifongique de substances contenues dans la propolis empêche normalement leur développement. Mais le champignon que l’on rencontre le plus souvent dans les ruches est Ascophæra apis, agent de l’ascophærose plus communément appelé « couvain plâtré » et qui s’attaque aux larves d’abeilles, les fait périr, celles-ci prenant alors un aspect « plâtreux ». Dans certains ruchers, ce parasite est à l’origine d’importants affaiblissements des colonies. La lutte ne doit jamais passer par l’utilisation de substances antifongiques. La modification du « climat » de l’écosystème ruche par une bonne aération, l’installation des colonies dans des endroits à basse hygrométrie associée à la sélection d’abeilles nettoyeuses suffit à le faire disparaître ou au moins à le réduire fortement. L’autre champignon, heureusement très rare car très dangereux, est un Aspergillus. Il est à l’origine de l’aspergillose de l’abeille ou couvain pétrifié. Les larves et les abeilles adultes peuvent être atteintes. D’autres Aspergillus s’attaquent, eux, aux réserves de pollen, mais les saprophytes du pollen peuvent appartenir à d’autres genres (Mucor et Penicillium par exemple)… L’agent de la nosémose, Nosema apis Zander serait également proche des mycètes… Sa présence dans la ruche est fréquente voire permanente dans certaines régions sans que ne se déclare de nosémose – maladie. La présence chez Apis mellifera d’un de « ses cousins », parasite de Apis cerana, Nosema ceranæ est aujourd’hui évoquée pour expliquer certaines dépopulations d’abeilles.
Le microcosme animal est également très présent dans la colonie d’abeilles, la palme étant sans doute tenue par des acariens. Bien sûr, tout le monde connaît maintenant, Varroa destructor ex Varroa jacobsonii Oudemans ainsi que Acarapis woodi Rennie, agent de l’acariose de l’abeille mais il y a beaucoup d’autres. L’examen au stéréomicroscope de « la poussière » et des résidus d’un plancher de ruche montre une importante faune insoupçonnée.
La majorité de ces commensaux vivent des détritus de la colonie, mais d’autres peuvent se retrouver dans le vieux pollen (Tyroglyphus farinæ). Il est d’ailleurs relativement fréquent de retrouver l’un de ces individus lors des examens effectuées dans le cadre des analyses polliniques des miels(2). Certains, comme Acarapis dorsalis, sont des parasites externes de l’abeille. Celui-ci est d’ailleurs très semblable à Acarapis woodi et il est fort probable qu’ils soient phylogénétiquement très proches, Acarapis woodi ayant probablement changé de niche écologique pour devenir un parasite intratrachéal. Les plus jeunes apiculteurs ne le connaissent pas, mais avant l’arrivée de Varroa, il y a maintenant près de 25 ans, toutes les colonies étaient plus ou moins parasitées par un diptère aptère, le Braula cœca, plus connu sous le nom de « pou des abeilles ». Considéré comme inoffensif, il pouvait quelquefois fortement importuner (pour ne par dire plus) les reines d’abeilles dont le thorax en était quelquefois recouvert. Le marquage des reines permettait de protéger partiellement les reines de cette prédation. Les traitements contre le varroa n’ont pas vaincu celui-ci, mais semble avoir fait disparaître le « Braula » que je n’ai plus rencontré dans une de mes ruches depuis que je traite contre le varroa. Faut-il fonder une association pour la réintroduction du « Braula » dans les ruches au nom de la sauvegarde de la biodiversité ? Plaisanterie mise à part, je serais quand même curieux de savoir si des apiculteurs l’observent encore quelque part en France ? Parmi les parasites internes de l’abeille, on ne peut passer sous silence l’agent de l’amibiase, Malpighamœba mellificæ, parasite des tubes de Malpighi, l’équi-valent de nos reins chez les insectes. Son association avec la nosémose est le plus souvent fatale pour les colonies. Ainsi, que Æthina tumida et Tropilaelaps claræ, encore théoriquement absents du sol de France mais qui viennent d’être classés comme agent de maladies légalement contagieuses. Beaucoup d’autres espèces animales ne séjournent pas dans les ruches de façon permanente mais de façon occasionnelle soit comme prédateurs de l’abeille ou de ses produits soit comme opportunistes, le hasard de la vie les ayant fait échouer dans la colonie…
Les parasites vrais et stricts sont très nombreux chez les abeilles. C’est également vrai chez toutes les espèces animales y compris chez l’homme, même si, aujourd’hui,cela peut nous apparaître moins vrai. Chez l’homme, c’est l’invention du feu et de la cuisson des aliments puis l’apparition des règles d’hygiène qui nous ont permis de nous débarrasser de nos principaux parasites. Ces problèmes restent toutefois à l’origine d’une très grande morbidité dans les zones équatoriales et tropicales… Si le parasitisme est si développé c’est qu’il y a des avantages évolutifs à devenir parasite. Pourtant d’un autre point de vue, le fait d’être absolument inféodé à un hôte, voire à plusieurs successivement pour certains, semble être une impasse évolutive. Comment expliquer cette contradiction apparente ?
Contrairement aux relations prédateurs – proies qui peuvent être étudiées séparément, les relations parasites – hôtes ne peuvent être étudiées que dans le cadre d’une coévolution entre les deux espèces. Le parasite perd une certaine liberté, mais trouve dans l’hôte une stabilité du milieu. Cette stabilité du milieu est très favorable au parasite sur le plan énergétique. Utiliser l’énergie de l’autre est toujours avantageux. C’est un système analogue qui s’est établi lors de la coévolution plantes à fleurs – insectes pollinisateurs. Le transport du pollen par un vecteur animal est beaucoup plus efficace pour assurer la pollinisation que la voie anémophile. Et surtout son coût énergétique est beaucoup moindre pour le végétal. La fabrication d’énorme quantité de grains de pollen indispensable pour que la pollinisation anémophile soit efficace revient très chère à la plante.
L’hôte, lui, n’arrive pas à se débarrasser du parasite, mais peut, également, dans certains cas, finir par y trouver certains avantages. Les relations parasites – hôtes se terminent le plus souvent par la mort de l’hôte. Sans intervention extérieure, la sélection naturelle joue comme toujours dans les relations parasites – hôtes. L’exemple le plus classique est la simplification du génome des parasites qui apprennent à exploiter celui de l’hôte. En fait, on pourrait presque parler d’un « super génome » composé de celui de l’hôte et de celui du parasite. L’agressivité du parasite vis à vis de l’hôte tend à diminuer. Le parasite n’a pas intérêt à tuer l’hôte trop vite. Du point de vue évolutif ce n’est pas la survie du parasite lui-même qui a une importance (il meurt le plus souvent avec l’hôte) mais de sa survie jusqu’à ce qu’il ait pu assurer sa descendance. Après cette étape, l’existence du parasite-parent n’a plus aucune importance. La sélection naturelle tendra donc à sélectionner un varroa de moins en moins agressif à l’encontre de Apis mellifera et une abeille de plus en plus résistante à Varroa destructor. Mais au bout de combien de générations ? Il finirait par s’établir dans ce cas un équilibre parasite-hôte où chaque partenaire supporterait sans trop de conséquences la pression de l’autre. C’est le type même d’équilibre qui s’est établi entre Apis cerana et Varroa jacobsonii Oudemans. L’action de l’homme, indispensable pour conserver une apiculture productive, perturbe voire empêche l’établissement naturel d’un tel équilibre. Apis cerana lutte principalement contre varroa par un comportement d’épouillage dénommé « allogrooming ». Il est fort probable que la sélection naturelle finirait par induire un tel comportement chez Apis mellifera. Mais, il n’est pas impossible qu’un parasite puisse finir par développer des comportements « anti allogrooming ».
Un autre problème du parasitisme en général est la dispersion de son habitat. La descendance d’un parasite, souvent dispersée dans la nature, a un gros problème. Elle doit retrouver le chemin qui la conduira à un nouvel hôte. Les « inventions » de la vie sont, dans ce domaine, absolument extraordinaires. Mais dans le cas des varroas, les choses sont relativement simple. L’habitat est ici, non pas l’individu « abeille », mais l’ensemble de la colonie. Le vecteur qui transporte le parasite vers un autre habitat est l’abeille elle-même, mais l’homme par ses différentes pratiques apicoles, lui donne un sérieux coup de main.
Paul SCHWEITZER
Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole
© CETAM-Lorraine 2006
(1) Article « Microcosme » in « Abeille de France », Décembre 2002.
(2) Uniquement lorsqu’on effectue les analyses polliniques sur du pollen frais sans acétolyse.