L’élevage des reines au Mexique
par Gilles Fert
Comme dans tous les grands pays producteurs et exportateurs de miel, l’élevage et la sélection des reines sont devenus une discipline apicole incontournable au pays des pyramides. Dépendant depuis longtemps des importations de reines du grand voisin les États-Unis, nos collègues Mexicains ont su depuis quelques années mettre en place une production de qualité répondant à la moitié de leurs besoins.
Situé au delà du Rio Bravo, au Sud des États-Unis, le Mexique est un grand pays de par sa taille ( 3,5 fois la France), mais aussi de par son dynamisme et son influence régionale.
Quelques chiffres :
Population : 103 millions
Densité 50 hab/km2
Superficie : 1 958 201 km2
Langues : espagnol + 92 langues indigènes
7ème réserve de pétrole
Indépendance en 1821
1er producteur d’argent
Membre de l’ALENA (Accord de Libre Echange Nors-Américain)
3ème exportateur mondial de miel.
On distingue cinq grandes régions géographiques aux particularités apicoles bien distinctes :
- La péninsule du Yacatan, première région apicole du pays, qui exporte pratiquement toute sa production vers l’Europe. Miel de qualité tropical principalement constitué du Tajonal (Viguiera dentata) et du Tzil Tzil Che (Gymnopodium antigonoides).
- Le Golf du Mexique au potentiel de production important et qui produit un miel ambré. Région qui fait appel également à de nombreuses ruches pour la pollinisation des cultures.
- La côte Pacifique avec un miel beaucoup plus clair composé principalement de la Campanilla (Ipoma triloba) à la cristallisation très fine. On y trouve également l’avocatier au miel foncé et au goût très fort.
- Les hauts plateaux du centre produisant un miel multifloral, ambré et parfumé.
- La région Nord avec l’arbre national, le Mezquite (Prosopis juliflora) produisant en abondance un miel ambré à la cristallisation fine. C’est également la région de production du célèbre miel d’oranger reconnu sur le marché international.
Photo 1 - Jobnil
Photo 2 - Aj Muzen Cab
Dieu protecteur des ruches Photo
Le Mexique n’a pas attendu l’arrivée des conquérants Espagnols et de leur abeille européenne pour produire du miel. Depuis toujours, les Mayas savent profiter de la richesse de la flore locale en récoltant les nids de melipones , l’abeille sans dard. Lorsque Hernan Cortés débarque avec son armada en 1519, il découvre des ruchers constitués de plusieurs centaines de troncs évidés disposés horizontalement sous des abris de palmes ( photo 3) Cette « meliponiculture » est symbolisé par la représentation des deux statues Maya vénérant la ruche et l’abeille ( photo 1-2).
Photo 3 - Rucher de melipones dans l’état de Campeche
L’abeille tueuse
On estime l’introduction de l’abeille noire européenne ( A.mellifera mellifera) par les Espagnols vers 1760. C’est en 1911 que les premières abeilles jaunes italiennes ( A.mellifera ligustica) sont introduites. Plus récemment, l’abeille africanisée venu du Brésil est apparue en 1986. Cette abeille issue du croisement indésirable de l’abeille noire dite « créole » ( A.mellifera mellifera) avec l’abeille africaine ( A.mellifera scutellata) a bouleversé les pratiques apicoles de par son agressivité. Le pays a perdu la moitié de son cheptel en quelques années, avant que les apiculteurs changent leurs méthodes de travail et reconstruisent petit à petit une économie autour de l’apiculture.
Aujourd’hui, 40 000 apiculteurs se partagent les 1,9 millions de ruches. Ils produisent 56 000 tonnes de miel pour une exportation de 26 000 tonnes essentiellement vers l’europe. Comme partout, le principal souci reste le varroa. Quant au petit coléoptère l’aetina tumida, il guette à la frontière des États-Unis.
L’apiculture moderne
C’est en 1930 à Jumiltepec dans l’état de Morelos, que les techniques modernes de production furent appliquées par les frères Sanchez. Cette exploitation donna naissance à une grande structure appelée Miel Carlota située dans la région de Cuernavaca. En 1980, Miel Carlota produisait déjà 80 000 reines pour sa propre consommation et un peu pour la vente.
Aujourd’hui, l’apiculture est jeune, dynamique et en plein développement. Elle n’est pas mécanisée vu le coût de la main-d’œuvre peu élevé. La pollinisation intervient de plus en plus dans le revenu des exploitations. Principalement appelés pour l’avocatier (12000 colonies à 30 €) , les apiculteurs déplacent également les colonies sur les pommiers (30000 colonies à 40 €), les orangers et toutes sortes de cucurbitacées pour un prix variant de 18 à 38 €
Photo 4 - cours d’élevage de reines dans l’état de Campeche
La production moyenne annuelle par ruche est de 30 à 45 Kg . Le miel se vend principalement en fût de 300 kg au prix international allant de 1 € à 2.5 € /kg suivant l’origine florale. Le modèle de ruche utilisé est Langstroth.
Un collège agricole de Veracruz dispense une formation de qualité, basée sur l’apiculture pratiquée avec l’abeille africanisée, depuis peu, un module est d’ailleurs consacré à la meliponiculture.
L’élevage des reine
Les autorités sanitaires ont reconnu récemment qu’il sera impossible d’éradiquer complètement l’abeille africanisée. Tout récemment, les services sanitaires officiels sont allés jusqu’à éliminer 34 000 essaims de ces abeilles agressives.
Deux solutions s’offrent aux apiculteurs :
- élever et sélectionner une africanisée plus douce et productrice de miel
- continuer à importer des reines de races européennes, fécondées naturellement ou des souches inséminées afin de maintenir une pression génétique par les mâles qui véhiculent un comportement de douceur.
On observe depuis quelques années, que de plus en plus d’apiculteurs professionnels substituent les reines africanisées soit par des reines européennes produites localement ou achetées aux États-Unis, soit par des reines d’élevages issues de souches inséminées.
L’association nationale des éleveurs de reines est composée de 35 membres, dont 25 ont obtenu leur certificat de qualité génétique et sanitaire leur permettant de vendre leurs reines avec un label. Deux de ces membres produisent également des souches inséminées destinées à la reproduction des reines. L’ensemble des membres de cette association produit environ 250 000 reines chaque année.
En parallèle, 15 éleveurs de reines non affiliés à l’association produisent annuellement 100 000 reines. La quantité de reines produite par les producteurs de miel pour leur propre utilisation est estimée à 20 000.
Le gouvernement a mis en place des ruchers d’élevage destinés aux populations indigènes de la région du Yucatan et Campeche. Ils produisent et distribuent jusqu’à 30 000 reines chaque année.
50 000 reines provenant des États-Unis ont été importées cette année, principalement pour satisfaire les apiculteurs se consacrant à la pollinisation. L’association des éleveurs suppose que les importations vont s’arrêter d’elles mêmes en 2008 étant donné l’augmentation de 100% du prix des reines.
La méthod
Aujourd’hui, les méthodes d’élevage sont comparables d’un pays à l’autre. On observe seulement de petites variantes en fonction, de la race utilisée, des conditions environnementales et de la quantité de reines produites.
Le Mexique n’échappe pas à ces règles. La plupart des éleveurs Mexicains ont appris ou sont en contact étroit avec leurs collègues nord-américains. Par conséquent, les techniques d’élevage pratiquées sont identiques.
Les souches reproductrices viennent des meilleurs sélectionneurs états-uniens ou des centres de sélection. Ce sont principalement des souches italiennes ( A.m.ligustica) ou plus rarement des canioliennes ( A.m.carnica) ou caucasiennes ( A.m.caucasica).
La production des cellules royales se fait également avec des starters et finisseurs issus de ces souches, ce qui facilite énormément les taux d’acceptation et les manipulations. Certes, il est toujours possible d’élever des reines avec des africanisées, mais l’agressivité rend le travail particulièrement difficile.
Photo 5 - production des cellules royales à partir de finisseurs verticaux
Photo 6 - rucher de fécondation d’Apicola-Elite.
Les cupules greffées sont parfois introduites directement dans la partie orpheline du finisseur vertical, sans passer par l’étape starter. Les taux d’acceptation sont de 90% en moyenne, et les cellules sont bien développées. On suppose que la qualité est acceptable.
Pour les fécondations, l’utilisation des petits nucléi d’un volume d’1/4 de hausse sont les plus fréquemment utilisés. Un taux de récolte de 80% au minimum de reines en ponte démontre une bonne maîtrise de la technique d’élevage. Le seul point faible serait peut-être le peu d’élevage de mâles dans la zone de fécondation, effectué à partir des ruches sélectionnées.
Toutes ces reines sont écoulées sur le marché local à un prix moyen de 10 €.
Près de la plage
Lors du dernier symposium Apimondia sur l’insémination artificielle et l’élevage des reines à Sofia en Bulgarie, le Mexique s’est spontanément proposé pour accueillir et organiser la prochaine rencontre. C’est ainsi que du 15 au 19 octobre 2008, les éleveurs Mexicains attendent plus de 2000 éleveurs du monde entier dans l’un des endroits les plus remarquables du pays : Nuevo-Vallarta. Trois journées de conférences techniques et scientifiques seront consacrées aux reines et leur élevage. Les organisateurs s’en font un défi en fixant le droit d’entré à 100 € maximum. Ces journées d’échanges seront suivies d’une journée de visite de ruchers d’élevages et de découverte de la région tropicale.
Fresque du musée d’anthropologie de México.
Cherchez le meliponiculteur du Yucatan
Pour en savoir plus :
2004 revue Abeilles et Fleurs - Ces abeilles qui ne piquent pas - Gilles Fert