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Intoxications, le point pour bien réagir
Par Lefebvre & Bruneau (CARI)
Eviter un «printemps silencieux
Le risque potentiel chez l’homme est énorme
Il faut retirer ces produits du marché immédiatement. Ce mal mystérieux qui tue les abeilles La polémique s’amplifie autour des ruchers
Les abeilles décimées, les apiculteurs accusent
Les avis des scientifiques sont partagés sur la dangerosité des deux molécules : fipronil et imidaclopride
Des effets possibles sur la santé à court et à long terme
Où se cache le tueur des ruches ?
Ces titres que vous avez pu lire dans les médias belges et français ces dernières semaines montrent clairement l’importance de ce qui se passe actuellement dans nos ruchers. Notre abeille se meurt et ne supporte plus l’évolution récente de notre environnement. Les nouveaux insecticides systémiques utilisés pour le traitement des semences sont principalement incriminés. Ceux-ci sont libérés dans la plante au fur et à mesure de sa croissance jusqu’à la floraison. Le phénomène est bien répandu en Wallonie et dans d’autres pays européens. La France est le premier pays à avoir souffert de ces produits. Chez nous, les problèmes sont apparus plus tardivement. Le problème s’aggrave d’année en année. Après la perte de toutes leurs colonies, des apiculteurs abandonnent. D’autres déplacent leur rucher pour retrouver des conditions plus favorables pour leurs abeilles.
Ce qui suit, remarquable travail d’observations et de synthèse, réalisé par Mme LEFEBVRE et M. BRUNEAU du CARI que nous remercions vivement, a pour objectif d’analyser ce problème vital pour notre apiculture européenne.
Intoxication lente et indirecte
L’état des connaissances évolue rapidement. Les hypothèses d’hier se vérifient aujourd’hui. Les données scientifiques nous apprennent que les insecticides systémiques à base d’imidaclopride et de fipronil sont très toxiques pour les abeilles à des concentrations extrêmement faibles. Une dose de 1,2 à 67 pg (picogramme = un millionième de millionième de gramme) perturbe déjà leur système nerveux. Pour un homme de 100 kg, cela équivaut à une dose de 1,2 à 67 p9 (microgramme = un millionième de gramme). C’est essentiellement la consommation répétée de très petites doses qui provoque une série de troubles chez l’abeille.
En butinant les plantes traitées aux insecticides systémiques, les abeilles vont ramener à la ruche de petites quantités de produit toxique dans leurs pelotes de pollen ou dans le nectar. Les butineuses seront affectées lors de la récolte du nectar et non du pollen. En effet, après 4 jours de butinage du champ traité, les butineuses auront consommé de 3 à 13 fois trop de toxique. Ceci va induire des comportements aberrants : comportement de nettoyage exacerbé, perte d’orientation, butinage anormal sur les fleurs, encombrement de la planche de vol... et non retour à la ruche. Suite à cela, on observera un effondrement de la population des butineuses de 4 à 8 jours après le début du butinage.
Quant au pollen contaminé et rapporté à la ruche, il sera consommé plus tard par les jeunes nourrices. Celles-ci s’intoxiquent lors de la fabrication de la gelée royale et de la bouillie larvaire (doses de 2 à 9 fois trop importantes). Les effets sur leur comportement peuvent être multiples : perturbation dans la construction des rayons, incapacité à prendre leur envol, ce qui peut expliquer la présence de petits groupes d’abeilles traînant sur le sol devant les ruches. De même, les reines alimentées avec une gelée royale toxique peuvent développer une nécrose des organes reproducteurs. Leurs jours sont alors comptés car les abeilles les remplaceront même si elles n’ont pas une année de ponte. C’est un des facteurs pouvant expliquer le renouvellement rapide des jeunes reines.
On ne connaît pas encore l’effet de la gelée royale toxique sur le développement des larves et la durée de vie des abeilles qui en ont consommé mais on peut imaginer qu’il provoque des troubles importants.
Ces insecticides systémiques se dégradent très lentement dans le sol. En fonction du type de sol, on peut retrouver 40 % de la dose initiale lors de la culture suivante. L’effet toxique de ces insecticides pour les abeilles peut donc perdurer sur les cultures mellifères suivantes.
Les signes visibles
Sur le terrain, les effets des intoxications peuvent s’observer à plusieurs périodes de l’année. Dès la fin de saison, une série d’apiculteurs constatent que des colonies fortes lors du nourrissement ne comptent plus qu’une poignée d’abeilles lors du traitement hivernal. On retrouve des couronnes de couvain abandonné et mort ainsi que des réserves en suffisance. A la sortie de l’hiver, ces colonies seront mortes sans la présence d’un paquet d’abeilles sur le plancher. Ce phénomène peut également s’observer lors des premières visites de printemps où l’on retrouve au cœur de la ruche une petite grappe d’abeilles de la taille d’une balle de tennis entourant la reine. On peut supposer que ces problèmes sont liés à la perte massive de butineuses en fin de saison ou lors des premiers vols de propreté. Plus tard dans la saison, des colonies qui avaient bien démarré s’effondrent rapidement, parfois jusqu’à la mort. Si elles se reprennent, elles mettent près de deux mois pour retrouver une activité normale. La récolte de printemps est alors perdue. Il faut également signaler la présence de jeunes abeilles rampant sur le sol à proximité des ruches, principalement en avril-mai. De très nombreux apiculteurs observent également des renouvellements prématurés de jeunes reines de moins d’un an en dehors de la période d’essaimage.
Intoxication ou varroase ?
Les intoxications n’expliquent pas toutes les mortalités observées. La varroase peut également anéantir de nombreuses colonies. Heureusement, cette situation bien connue des apiculteurs reste marginale. Un excès de varroas dans une ruche (plus de 3.000 et même dans certains cas plus de 12.000) va affaiblir les jeunes abeilles et surtout permettre une multiplication importante de virus. Ces virus sont très souvent présents même dans les colonies saines. Ils ne sont pathogènes que si on leur permet de se multiplier en grand nombre. Dans les ruches non traitées ou mal traitées, on observe l’apparition d’abeilles avec des ailes déformées (virus des ailes déformées) et plus rarement un couvain avec des opercules affaissés et des abeilles présentant des troubles nerveux tels que apathie générale, comportement de nettoyage excessif ou incapacité de voler. Ce dernier virus (virus de la paralysie aiguë) s’attaque au système nerveux de l’abeille et peut donc faire penser à des symptômes d’intoxication.
Le simple fait de retrouver un petit groupe d’abeilles mortes autour de la reine ne permet pas de faire la différence entre une intoxication et un développement viral induit par la varroase. Dans les deux cas, le nombre d’abeilles diminue fortement. On peut cependant noter de nombreuses différences. Pour vous aider à mieux cerner l’origine de l’affaiblissement de vos colonies, nous avons fait l’analyse des paramètres suivants.
1. La période critique
VIRUS : le rapport nombre de varroas / couvain est le plus élevé quand la reine réduit sa ponte (mi-août à fin octobre). À ce moment, les varroas sont très nombreux et les problèmes viraux vont donc se manifester. Une ruche sensible sera déjà morte en décembre.
INTOX : le pollen contaminé sera consommé en fin de saison ou au printemps lors de la reprise de la ruche. La colonie va s’affaiblir en automne, mais peut malgré tout passer l’hiver, puis s’effondrer rapidement en février-mars.
2. Le couvain
VIRUS : quand les virus s’attaquent au couvain, les larves mortes sont éliminées par les abeilles. Lorsque la température devient trop basse dans la ruche, les abeilles se mettent en grappe et ce nettoyage ne peut plus se faire. Il va donc rester un fin anneau de cellules operculées (± 20/face de cadre) avec des larves déformées et mortes en bordure de l’ellipse formant la zone à couvain. Les opercules sont tous troués. Il n’y a plus aucun couvain ouvert.
INTOX : la population d’abeilles adultes diminue assez vite. En conséquence, le nombre d’abeilles adultes ne permet plus d’entretenir le couvain en périphérie qui est abandonné et meurt de froid. Comme le processus est continu, la grappe diminue sans cesse et chaque jour du couvain est abandonné, laissant des cellules éparses de larves mortes de froid. Les opercules ne sont pas troués, sauf ceux en cours de nettoyage. On retrouve beaucoup plus de cellules mortes que dans le cas précédent. L’aspect du couvain est lacunaire. Il reste du couvain ouvert.
3. Le plancher
VIRUS : la grappe s’affaiblit progressivement jusqu’à ce que, devenue trop faible, elle n’effectue plus de nettoyage. On retrouve alors plusieurs milliers d’abeilles mortes dans le fond de la ruche ou devant la ruche, dont de nombreuses abeilles mal formées.
INTOX : une partie des abeilles quittent la ruche et meurent à l’extérieur. On ne retrouve donc que très peu d’abeilles mortes sur le plateau ou devant les ruches.
4. Le pollen
VIRUS : le couvain meurt rapidement dès août-septembre. Les quantités de pollen qui restent dans la ruche sont très importantes faute de larves pour le consommer. Il en est de même pour le miel : les réserves sont quasiment intactes.
INTOX : le couvain va également mourir, mais suite à la consommation de pollen. Les réserves de pollen restantes seront donc nettement plus faibles que dans le cas précédent.
5. Force lignée
VIRUS : Une ruche très forte en septembre peut dépérir complètement en trois mois suite à une attaque virale. La force de la colonie ne la protège en rien. Il y a cependant des différences énormes entre les lignées d’abeilles. Certaines ruches qui ont perdu plus de 12.000 varroas entre le 01/08 et le 31/10 ne souffrent d’aucune attaque virale alors que d’autres vont s’effondrer pour des infestations cinq fois plus faibles. Des lignées de reines d’origines fort différentes dans un rucher vont avoir des réactions très hétérogènes. Ce critère est cependant difficile à évaluer.
INTOX : Il est peu probable qu’au sein d’un même rucher, les butineuses de chaque ruche se focalisent sur des sources de pollen et de nectar complètement différentes. Les symptômes seront donc beaucoup plus homogènes.
Il ne faut pas oublier que les deux causes sont présentes presque partout dans des proportions variables. Peu de ruchers sont situés dans des zones où aucune semence enrobée n’est semée. De même, la varroase et les virus associés sont présents dans tous les ruchers. La limite entre les deux cas de figure est hélas rarement aussi nette.
D’autres causes sont souvent annoncées pour justifier les mortalités d’abeilles : le climat, les traitements inappropriés ou le manque de compétence des apiculteurs. À ce jour, aucune de ces hypothèses n’a pu justifier les nombreuses mortalités constatées.
Virus ou varroase, que faire avec les ruches ?
Quand on détecte une attaque virale, en général à partir de couvain operculé troué :
- Changer la reine avant l’hiver. C’est un coup de poker mais sans cela, la ruche n’atteindra de toute façon pas le printemps.
- Si la ruche atteinte a survécu à l’hiver, réduire son volume le plus vite possible, pour éviter une mort par le froid. Il n’y a hélas pas grand-chose d’autre à faire.
- Remplacer les reines par d’autres d’origine différente.
- Dans le cas où la colonie est morte, le miel peut être récupéré mais pas le pollen.
En cas d’intoxication :
- A la première visite, enlevez tout le pollen. Réduisez aussi fortement le volume de la ruche. N’hésitez pas à éliminer un peu de couvain lors de l’enlèvement du pollen (cadres du bas des ruches divisibles) car il vaut mieux un peu de couvain en moins que beaucoup de pollen toxique.
- Plantez des saules marsaults, noisetiers et autres arbres à forte production de pollen en février et mars.
- Faites part aux agriculteurs voisins des conséquences de l’utilisation des graines enrobées.
Dans les deux cas :
- Fermer la ruche si la colonie est morte, ceci pour éviter le pillage.
- Faites refondre les vieux rayons. En aucun cas, ne rendez les cadres aux autres ruches, elles n’ont besoin ni de vieux pollen toxique, ni de virus.
Comment réagir face à une intoxication ?
Les problèmes rencontrés par les apiculteurs sur le terrain doivent absolument être pris en compte par nos autorités. Ceci ne sera possible qu’après avoir clairement identifié et déclaré officiellement les cas.
Dans cette logique, une première étape consiste en l’observation régulière de l’évolution des colonies. Ainsi, toute évolution aberrante et tout comportement anormal doivent être signalés. Prenez note (et des photos si nécessaire) de la date du constat, des cultures environnantes, des traitements effectués sur les colonies, du nombre de colonies présentant des anomalies ainsi que du type d’anomalies (par exemple : disparition d’abeilles, poignée d’abeilles mortes autour de la reine, jeunes abeilles rampant devant les ruches, évolution anormale de la population, renouvellement précoce de reines ou autres. La fiche ci-jointe vous aidera pour ce relevé. La deuxième étape consiste à demander le passage de votre assistant sanitaire départemental apicole qui est assermenté ou d’un responsable de votre syndicat ou association qui dispose d’une bonne expérience dans le domaine de la pathologie. Ces personnes pourront venir confirmer vos observations et faire un relevé de l’état sanitaire de vos ruches. Ces données sont importantes non seulement pour écarter d’autres causes aux dépérissements constatés mais aussi pour augmenter la crédibilité de vos observations auprès des autorités publiques. Dans l’étape suivante, nous vous encourageons à faire une déclaration à la police ou à la Gendarmerie. Pour cela, munissez-vous des témoignages et des informations que vous avez recueillis. Quand vous aurez accompli les trois premières étapes, faites-nous parvenir une copie de votre dossier.
Au niveau belge et français
La majorité des associations apicoles belges ont décidé de s’unir pour défendre la vie et la santé de l’abeille. Ils ont crée ALARME, une association sans but lucratif entrée en action ce 15 mars 2004. ALARME a pour objectif de mener toute action qui vise à assurer le bien-être, la défense et la santé des abeilles domestiques et sauvages ainsi que la protection et la promotion des milieux qui leur sont favorables.
En France, nous avons eu un moment la Coordination qui centralisait toutes ces démarches. Dans l’immédiat, nous vous demandons d’adresser à l’Abeille de France, un double de la fiche qui conclut ces lignes d’information. Nous avons déjà pour un certain nombre de départements, des renseignements globaux. Lorsque votre fiche concernera un syndicat globalement identifié, nous utiliserons alors celle-ci pour expliciter plus exactement les causes. Nous avons besoin qu’un maximum d’entre vous répondent à ce questionnaire, nous comptons sur votre diligence et votre efficacité.
Lefebvre & Bruneau (CARI)