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Congrès Apimondia de Pékin 1993
Par Gilles Ratia
Un peuple adroit et travailleur représentant le cinquième de la population mondiale, une abeille italienne industrieuse et étonnamment douce en remplacement de la petite Apis cerana, une bio-diversité à la mesure de la variété des microclimats, des coûts de production faibles, une bonne discipline organisationnelle, une technicité soucieuse des rendements, il n'en faut pas plus pour faire de la République Populaire Chinoise "le" pays de l'apiculture. Reine du tonnage et des exportations (près de 30 % du miel récolté part à l'étranger), cette contrée extrême-orientale se retrouve, à six ans du troisième millénaire, en pleine surchauffe économique sous le boisseau de ses deux économies parallèles : l'étatique et la libérale. Si cette dernière domine maintenant dans les villes du sud, comme Shanghai ou Canton (Hongkong va bientôt faire figure de petite ville de province), il n'en est pas de même en ce concerne le secteur rural. Il faudra que cela "passe ou casse". Dans le meilleur des cas, l'épouvantail du miel chinois sur le marché mondial risque enfin de disparaître et ceci pour deux raisons majeures. D'une part le pouvoir d'achat des chinois augmentant, la consommation intérieure fera de même, d'autre part les prix de base à l'export seront sans doute moins attractifs pour les négociants-conditionneurs européens. Et dans le pire des cas ... l'avenir nous le dira.
Dans un tel contexte, la chine, et plus particulièrement Pékin, sa capitale, ex-candidate aux jeux olympiques de l'an 2000, se devait être le siège d'un congrès Apimondia. Chose faite en ce beau début d'automne 93 avec la XXXIIIème édition de cette grande messe, la participation de prés d'un millier d'acteurs apicoles étrangers et le fourmillement d'un nombre incalculable de chinois venus de toutes les provinces. Si une trentaine de pays étaient représentés dans les tribunes officielles ainsi que lors des communications scientifiques, il n'en fût pas de même au niveau de l'api-exposition internationale où sur une centaine d'exposants, seulement six stands étrangers étaient présents : Sandoz avec l'Apistan, Bayer avec le Bayvarol, l'Israël avec une cage à reine en plastique, l'Italie avec une machine à désoperculer à brosse et un extracteur à hausse (seulement en photos) et enfin la France avec Swarm et son B401 et les habituels Etablissements Thomas avec leurs lignes d'extraction et de conditionnement.
Côté chinois, l'ambiance nous a rejeté huit ans en arrière, lors du congrès Apimondia de Nagoya au Japon : 99 % des stands étaient dédiés aux produits finis. Bières au miel, miel additionné de calcium, potions aux extraits de faux-bourdons, vinaigre de riz et de miel, extraits liquides de pollen, boissons à la propolis, concentrés de larves, eaux minérales avec bouchon-dosette au miel, vin fortifiant au miel, miel en granulés, breuvage au miel et au chocolat pour sportifs, capsules au ginseng et à la gelée royale lyophilisée, thés au pollen, comprimés d'embryons de reines, tablettes au pollen-lecithine, chewing-gum à la ..., ampoules de jus de ..., l'immensité de leurs gammes est à la hauteur de la qualité de leurs emballages, de leur imagination et de leur appétit quelque peu "différent" (accrochez-vous, il existe même du miel d'acacia enrichi à la bile de serpent). En plus de tout cela et aussi de tous les médicaments à base de venin, nous avons recensé plus d'une centaine de produits mixtes : produits apicoles + ingrédients divers de la médecine traditionnelle ou bien produits apicoles + remèdes allopathiques, et même parfois les trois à la fois (n'oublions pas qu'il y a 1.500.000 médecins dans ce pays soit un praticien pour 780 individus) !
Le 1% restant des stands était consacré au matériel apicole. Le bilan est léger et il ne fallait pas investir dans un tel voyage uniquement pour admirer les nouveautés techniques : deux petits extracteurs manuels en plastique, un drôle d'appareil à déshydrater le miel après extraction (avec un gros doute sur son efficacité), une étonnante machine à nettoyer, par barrettes entières, les cupules à gelée royale et cela est pratiquement tout.
La palme de la nouveauté et de la curiosité, pour nous, revenait à un surprenant système en plastique, utilisé pour la production intensive de gelée royale et servant à éviter l'usage du picking (pourtant manié ici avec tant de dextérité et de célérité) : un genre de "Cupularve" amélioré. Ce ne sont plus des cellules royales artificielles qui sont placées au dos une par une mais des barrettes entières, l'appareil ne fait plus 10 dm2 mais a la taille d'un cadre Langstroth, en outre les deux faces sont opérationnelles. Le plus surprenant réside dans le procédé. Le dispositif se place dans une cage fabriquée av%c une grille à reine, la cage est insérée dans une forte colonie orpheline. Et qu'introduit-on dans cette cage ? Quatre reines fécondes aux mandibules mutilées ! Les professeurs Darchen (France) et Lensky (Israël), pour permettre la coexistence des reines dans les ruches multi-colonies, avaient pratiqué l'ablation de leurs dards; mais avaient-ils pensé à cette méthode ?
Nous ne nous attarderons pas sur les communications scientifiques de ce congrès (500 rapports et posters) : elles sont condensés dans un autre article de l'E.D.A.P.I. . En ce qui concerne les visites techniques, nous nous sommes encore retrouvés dans l'ambiance du congrès du Japon : pas de visite de miellerie (qui sont presque toujours réduites à une toile de tente et un extracteur manuel) et puis les ruchers visités étaient hélas montés de toute pièce la veille (au Japon, c'était sur un terrain de golf, ici, ce fut dans un jardin botanique). A cela plusieurs raisons : d'une part la saison se terminait, d'autre part faire visiter un rucher "normal" à une quinzaine de cars de soixante personnes chacun relève de la gageure quant aux possibilités tous-terrains des dits engins et à celles d'accueil d'un rucher modeste, enfin le goût des échanges culturels et techniques chez nos amis chinois est quelque peu unidirectionnel.
Loin de vouloir passer pour xénophobe, il faut quand même avouer que le nombre d'affiches "Do not take pictures" apposées dans les ateliers de conditionnement visités est proportionnel au nombre de pellicules prises par les délégations chinoises quand elles viennent visiter nos installations occidentales. Mais les choses évoluent tout de même, ouverture économique ne peut rimer qu'avec celle des mentalités.
En fait, les maigres informations sur les technologies employées furent surtout glanées lors de nos contacts personnels post-congrès et dans la littérature chinoise, dure à déchiffrer et parfois suspecte par son aspect propagande. Malgré ceci, essayons-nous et tout d'abord campons le décor avec quelques chiffres-clé.
Superficie : 9.596.960 km2 dont prés de la moitié (à l'ouest) avec une altitude supérieure à 1.500 mètres Climat : tous les cas de figure Population : 1.170.000.000 soit 121 au km2 Doublement de la population tous les 44 ans, 79 % rurale, 21 % urbanisée Agriculture : 41 % du P.N.B. lequel a un taux de croissance de 12 % ! Apiculteurs : 250.000 Ruches : 7.800.000 soit 0,8 ruche/km2 et 31,2 ruches/apiculteur (modèle type Langstroth non standardisé pour les ruchers modernes) Abeilles : 60 % Apis mellifica ligustica, 39 % Apis cerana, 1 % Apis mellifica carnica + Apis mellifica caucasica. Ne pas oublier dans le sud-ouest un grand nombre d'Apis dorsata et d'Apis florea inscrites dans un contexte "d'api-cueillette" plutôt que dans celui "d'api-culture". Rendement moyen en miel à la ruche : 40 Kg /an (avec Apis mellifica ligustica) Rendement moyen en gelée royale à la ruche : 1 à 4 Kg /an (encore avec Apis mellifica ligustica), un véritable record mondial !! Production miel : 200.000 tonnes/an soit 20 % de la production mondiale Production gelée royale : 900 tonnes/an soit 80 % production mondiale Production pollen : 1.000 tonnes Production venin : quelques dizaines de kilogrammes (une ruche ne produit pas plus de 10 grammes par an) Principales sources nectarifères : l'acacia (Robinia pseudo-acacia), les tilleuls (Tilia sp.), le letchi (litchi chinensis), l'oranger (Citrus aurantium), l'astragale (Astragalus sinicus), le jujubier (Ziziphus jujuba), le sésame (Sesamum indicum), le colza (Brassica napus), le tournesol (Helianthus annuus), les eucalyptus (Eucalyptus sp.), le melilot (Melilotus sp.), le vitex (Vitex negundo), etc ...
Si les écoles techniques à orientation apicole ne manquent pas dans le pays, il en est de même au niveau des instituts de recherche. Le principal se situe à Xiang Shan (banlieue ouest de Pékin), 130 personnes y travaillent. Dans les provinces, il y a une dizaine d'instituts régionaux qui travaillent sur les mêmes thèmes que ceux des autres pays : génétique et élevage, technologie apicole, prévention et contrôle des maladies et parasitoses, produits de la ruche et botanique.
En ce qui concerne la production de miel, il n'y a pas de grands mystères quant aux technologies employées et si la Chine est le plus gros producteur mondial cela est essentiellement dû à l'effet du nombre, aux essences mellifères, à une rationalisation des transhumances grandes distances (dans les régions de plaines et de vallons), et aux incidences des réformes économiques rurales (essentiellement la possibilité de l'enrichissement personnel).
Et les résultats seront encore plus forts quand cerana aura définitivement cédée la place à mellifica. Hors autoconsommation familiale, le conditionnement et la distribution du miel est assurée par un multitude de grosses firmes para-étatiques généralement mieux équipées que les coopératives européennes. Le nouveau "Bee Products Business Group", composé des établissements apicoles des seize premières villes chinoises représente maintenant le pool apicole mondial numéro un, en termes de volumes traités.
Quant à la production de gelée royale, si en Europe une ruche très bien menée ne dépasse jamais les 400 à 500 grammes par an, celle d'une ruche chinoise est dix fois plus importante. Quels en sont les secrets ? -- main d'oeuvre assidue, adroite (taux d'acceptation au greffage supérieur à 95 %), hyper rapide (plus de mille cellules à l'heure) et ... bon marché (80 $/mois) -- utilisation d'Apis mellifica ligustica -- sélection rigoureuse des lignées bonnes productrices de gelée royale -- allongement de la saison de production -- ruches pourvoyeuses de cadres de couvain mûr pour "gonfler" les éleveuses -- nourrisseurs style "pipe-line" (plusieurs ruches branchées sur un même réservoir) auto-régulés -- sirops additionnés de vitamine E -- il n'est pas rare de voir 4 barrettes de 30 cellules royales artificielles chacune dans un même cadre -- utilisation exclusive de cellules artificielles en plastique -- ruches placée à l'ombre -- abreuvoirs à eau collectifs disponibles en permanence -- certaines stations vont même jusqu'à utiliser des ruches éleveuses sans grilles à reine (les mandibules de la reine subissent une petite taille)
Les personnes désireuses d'en savoir plus ont tout intérêt à se procurer le livre en anglais de 180 pages "Honeybee Royal Jelly Environment" (15 $) édité par l'Apiculture Research Institute, Chinese Academy of Agricultural Sciences, Xiang Shan, Beijing, 100093, Chine (téléphone : 2591543 ou 2591588, télécopie : 2591620).
Les efforts faits dans la maîtrise de cette production, induits par une demande mondiale énorme, dont leur plus proche voisin, le Japon, gros consommateur de tonifiants, ont été payant ces trente dernières années. Jugez-en plutôt par le petit tableau suivant, chiffres avancés par l'administration chinoise à prendre sans doute avec des pincettes (et quand est-il au niveau de la qualité ?) :
Gelée royale en Kg/ruche/an
Malgré cela, et en connaissant un peu mieux le niveau de vie d'un chinois moyen, il est encore toujours très difficile d'expliquer pourquoi il est possible d'obtenir en Europe le kilogramme de gelée royale importée à 26 $ (franco par 100 Kg). Un petit "truc" pour la conservation optimum de la gelée royale : les chercheurs chinois s'accordent sur le fait qu'une température d'entreposage de 0 à 5° C est valable pour une période inférieure à un mois, au-delà préférer la congélation à - 18° C.
De coutume, l'assemblée générale d'Apimondia se tient le dernier jour du congrès et opte pour les traditionnelles, pour ne pas dire "ringardes", résolutions. Fait marquant cette année, de nouvelles motions sont apparues, parmi celles-ci : mise en place d'une banque de données informatisée sur les récoltes de miel, les volumes et les prix des transactions, création d'un répertoire mondial des miels mono-floraux, harmonisation des méthodes d'analyses de laboratoires, et enfin rapprochement avec la puissante Société Américaine d'Apithérapie. Un congrès Apimondia favorise les échanges et permet de nouer des relations durables avec des collègues des quatre coins de la planète mais n'autorise pas, de par sa brièveté, une immersion profonde dans l'apiculture du pays hôte. Quand celui-ci a la taille de la Chine, il faut alors un bon trimestre pour appréhender les différentes facettes de son "art apicole". Dans deux ans, une autre socioculture accueillera cette grande manifestation : la Suisse. Et puis, chers amis belges, deux ans après, cela sera votre tour. On en profitera alors pour fêter le centenaire d'Apimondia.
Gilles Ratia