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Fermentation des miels : intérêt du dosage du glycérol (glycérine)
Par Dr Becker & Paul Schweitzer
du CETAM de Lorraine
Bonbonnes d’hydromel en fermentation
(Cliché Beauzether 16)
Introduction
La fermentation des miels est un processus naturel exploité par l’homme pour s’enivrer depuis la plus haute Antiquité et dont les Dieux Grecs se régalaient sur le mont Olympe. La production d’hydromel reste un débouché intéressant pour les apiculteurs dont les miels ont débuté une fermentation. Attention, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Causes de Fermentation
a) Teneur en eau, levures
Cette fermentation doit son origine à une teneur trop élevée des miels en eau (plus de 18 %), à la présence de ferments sous forme de levures homophiles. Ces levures particulières sont capables de se multiplier dans des solutions de sucres très concentrées dès lors que leur enveloppe n’est plus soumise à une pression hydrostatique supérieure à celle de leur milieu intérieur. La fermentation est activée sous l’influence de la température et débute à basse température pour être maximale entre 30 et 40°C. La chaleur à plus de 70°C stérilise les levures.
La fermentation des miels réduits les sucres fermentescibles comme le glucose, le mannose, le fructose en alcools et CO2 (95 %), glycérol (3 à 5 %), acide succinique (0,5 %) et autres produits secondaires (Butane 2.3 -diol (0,5 %).
b) Origines
Miels matures
La teneur élevée en eau des miels peut être due à une récolte de miels matures, c’est-à-dire sur des cadres fortement operculés et dont l’extraction se fait en milieu humide (hygrométrie supérieure à 60 %) à température de plus de 25°C. Le caractère hygroscopique des miels entraîne l’absorption de l’eau atmosphérique et la teneur en eau augmente rapidement de plusieurs points. Un stockage déficient à température de plus de 20°C et les fermetures inadéquates des récipients font le reste. Ceci se produit en Europe et dans les régions tropicales comme les DOM-TOM qui n’utilisent pas de déshumidificateurs dans les mielleries.
Miellée de printemps (cliché Vandelannoitte 57)
Miels immature
En Chine, la récolte est principalement faite à partir de miels immatures, c’est-à-dire à partir de rayons non operculés avec des teneurs en eau supérieures à 25 %. A l’origine de ce comportement sont des raisons de rendements économiques planifiés inhérentes au système politique. La durée élevée du transport dû au médiocre développement des infrastructures routières aggrave le problème. L’usage de récipients divers non alimentaires comme moyens de stockage de la récolte du rucher sur place puis durant le trajet, enfin l’usage de fûts ferreux non alimentaires sur les lieux de rassemblement de la production à des températures élevées sont des facteurs aggravant la fermentation et l’altération des miels. Les miels sont naturellement des solutions acides attaquant les parois. La fermentation augmente l’acidité (PH plus bas). De ce fait, les miels se chargent de sels ferreux en quantités importantes comme l’ont démontré les analyses du CETAM sur les «miels» chinois. La fermentation d’un miel fait perdre à celui-ci les flaveurs originales et donne des caractères désagréables au goût, en faisant un produit peu intéressant pour le consommateur.
Techniques de Blocages d'une fermentation
Les conditionneurs chinois sont donc amenés à bloquer la fermentation en extrayant l’eau par évaporation en chambre à vide après une chauffe rapide en lit à couche mince pour pasteuriser le miel. Cette opération de surchauffe très brève n’augmente que très peu le taux d’HMF et n’altère pas énormément les enzymes, en particulier l’amylase, l’ensemble des constituants du miel reste dans les limites du Codex Alimentarius. Cette évaporation sous vide permet aussi l’extraction des alcools et des produits aromatiques secondaires à la fermentation. Reste les carcasses des cellules tuées des levures, caractéristiques, très reconnaissables dans un microscope. Leur extraction peut se faire par ultrafiltration haute pression, ce qui dissimule la fermentation. L’adultération quasi systématique des miels par des sirops de sucres très bon marché et valorisés ainsi à bon compte, en particulier du sirop de canne à sucre plus ou moins fermenté est un autre sport chinois, qui complique encore un peu plus les choses.
Techniques de détection
La recherche d’une méthode de détection efficace et rapide de la fermentation tient dans la technique enzymatique du dosage d’un métabolite de la fermentation alcoolique, le glycérol. Elle est simple à mettre en œuvre, peu onéreuse et surtout fiable.
Nota : le glycérol est naturellement faiblement présent dans les miels du fait de quelques levures (inf. 1000/g). La corrélation est parfaite entre le taux de glycérol dans le miel et l’importance de la fermentation subie par celui-ci. Si le taux mesuré dépasse 100 mg/kg, la fermentation est certaine mais imperceptible à la gustation, à 200 mg/kg des anomalies sensorielles et gustatives sont perceptibles et à plus de 300 mg/kg, elles sont évidentes si le miel n’a pas été déshydraté par évaporation sous vide. Le glycérol ne s’évapore qu’à plus de 200°C.
Si l’analyse avec examen sous micro met en évidence un sédiment important, une présence sub-normale d’amidon, beaucoup de fibres végétales et des particules diverses voire quelques cellules ou tissus de canne à sucre, le miel est suspect.
Remarque : il faut savoir que la mesure du taux de C 13 onéreux et délicat est actuellement illusoire, un mélange judicieux de sirops permet sans difficulté de contourner cet examen légal dans l’Union Européenne et les faire passer pour du miel. L’usage de cette falsification scientifique complexe à établir confirme la gravité et le caractère très organisé volontaire et délibéré de la fraude et de l’adultération.
L’analyse pollinique garde bien entendu toute sa valeur dans la détection de telle fraude. Elle est relativement bon marché, mais prend du temps.
Méthode de dosage en laboratoire
Au CETAM, le dosage du glycérol s’effectue par spectrophotométrie selon la méthode enzymatique. Une succession d’enzymes catalyse en éprouvette différentes réactions chimiques :
- en présence d’ATP (Adénosine triphosphate), une glycérokinase (GK) transforme le glycérol du miel en glycérol-3-phosphate avec réduction de l’ATP en ADP+ (Adénosine diphosphate) ;
- une seconde enzyme, la pyruvate kinase (PK) en présence de phosphoénol pyruvate (PEP) retransforme l’ADP+ en ATP et en pyruvate (sel de l’acide pyruvique) ;
- enfin, sous action d’une lactate déshydrogènase (LDH) et en présence de NADH (Nicotinamide Adénine Dinucléotide réduit), le pyruvate est réduit en lactate (sel de l’acide lactique) avec formation de NAD.
La quantité de NAD formée est proportionnelle à la quantité de glycérol initialement présente dans le miel. C’est la quantité de NAD qui est mesurée grâce à son absorption lumineuse dans l’ultraviolet proche (340 nm). Une simple formule mathématique permettra de convertir la densité optique mesurée en quantité de glycérol par kilogramme de miel. Un miel qui contient plus de 300 mg de glycérol par kg doit être considéré comme fermenté et n’est plus commercialisable. Les miels de qualités ne devraient pas dépasser 50 mg/kg. Le laboratoire du CETAM effectue couramment cette analyse.
Que faut-il faire ?
En pratique, il faut expédier dans les meilleurs délais un échantillon bien fermé d’au-moins 50 g de miel au Laboratoire. L’analyse est effectuée dès réception grâce à des kits enzymatiques commercialisés par la Société B... M..... Ces kits sont très pratiques, mais dans le cas du glycérol, l’un des produits ne se conserve, une fois préparé, que 4 jours au mieux.
Prix
Une analyse isolée coûte donc assez chère car elle nous oblige à utiliser tout un lot d’enzymes pour un seul échantillon de miel.
Nous pratiquons donc un tarif régressif X Francs H.T. pour un échantillon isolé, enfin, pour les envois groupés de 5 échantillons et plus, la facture est divisée par 4.
Conclusion
Il s’agit d’une méthode fiable, sensible et incontournable pour établir la réalité d’une fermentation. Compte tenu de l’intérêt de cet examen, une participation financière à partir de l’aide européenne aux analyses est justifiée. Une demande de conventionnement de cet examen devra être proposée au Comité de pilotage par les représentants des apiculteurs.
Pas vu, pas pris, bravo Alexandre !
(Cliché Jéanne 14)
Le dosage du glycérol par méthode enzymatique doit figurer parmi les analyses de contrôle des miels indispensables. Il permettra de garantir aux consommateurs l’absence de fermentation.
Imparable pour les fraudeurs, la qualité des miels en particulier de pays tropicaux ou en voie de développement en sera inévitablement améliorée.
Dr Becker & Paul Schweitzer
du CETAM de Lorraine