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Feu vert pour visiter
Par B. Cartel
Feu vert pour visiter
La visite de printemps donne le départ de la saison apicole et soulève aussi nombre de questions : que faire des petites colonies sans avenir, des colonies aux populations déjà excédentaires alors que les fleurs ne sont pas encore écloses ? N'est-ce pas le moment de mettre en place une prophylaxie générale au rucher ? L'apiculteur débutant n'a pas toujours le sentiment que l'on peut et que l'on doit aider l'abeille à se maintenir en bonne santé.
Certes, la nature a prévu qu'elle se défende dans son propre environnement : ses facultés d'adaptation sont étonnantes. Vieille de 50 ou 70 millions d'années, elle a surmonté toutes les modifications environnementales sans que l'espèce ne subisse de transformations notoires. Mais quand un bouleversement intervient brutalement, il lui faut du temps pour s'adapter, le temps s'exprimant non pas en mois, mais en dizaines ou centaines d'années.
La varroase en est un exemple type. Lorsque les colonies ont été confrontées subitement avec la parasite, elles n'ont
pas su réagir immédiatement et seule la chimie a permis de sauvegarder notre abeille domestique, alors que toutes les colonies sauvages disparaissaient.
Vingt ans après, les prémices d'une adaptation, d'une réaction de défense, semblent apparaître : quelques essaims redeviennent sauvages et s'installent durablement, tandis que d'autres, négligés, tolèrent le parasite. N'est-ce pas une preuve de leur adaptabilité ?
La visite de printemps
Ses objectifs sont multiples :
- Vérifier la présence de la reine et de couvain d'ouvrières, preuve de sa fécondité
- Estimer la surface totale de couvain pour une comparaison avec les autres colonies
- S'assurer du bon état sanitaire du couvain et des abeilles
- Quantifier le volume des provisions de miel et de pollen
- Remplacer 1 ou 2 vieux rayons par des cires gaufrées
- Confiner la colonie dans le volume qu'elle peut utilement occuper, par la pose de partition
- Pratiquer quelques opérations de nettoyage, voire le remplacement de la ruche
- Noter sur la fiche individuelle de la ruche, toutes les informations recueillies et les opérations réalisées constituant une photographie à l'instant T de l'état de la colonie après la visite.
Quand pratiquer la visite de printemps ?
Par une journée douce, sans vent, dès que la température à l'ombre dépasse 16/17° depuis plusieurs jours. Il est préférable qu'à cette époque, les abeilles puissent déjà butiner du pollen et encore mieux du nectar.
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Préliminaires à la visite
En premier lieu, il faut préparer tous les outils nécessaires à cette visite : enfumoir, combustible, lève-cadres, brosse, grattoir, cadres équipés de cires gaufrées ... Prévoir également une ruche vide, désinfectée au cas où un remplacement s'avérerait nécessaire.
Mode opératoire
Envoyer une bouffée de fumée au trou de vol : instinctivement, les abeilles se gorgent de miel et deviennent plus pacifiques :
- attendre 2 ou 3 minutes et soulever le couvre-cadres
- localiser l'emplacement de la colonie et si besoin, repousser les abeilles par quelques autres bouffées de fumée
- Commencer le démontage de la colonie en partant du côté opposé à celui occupé par les abeilles et la classer en fonction de sa force, c'est-à-dire de la surface de couvain qu'elle possède :
- Colonie forte : 4 cadres de couvain et plus.
- Colonie moyenne : 3 cadres de couvain
- Colonie faible : 2 cadres de couvain et moins.
- Organiser la colonie selon le groupe de schémas (avant - après la visite) qui correspond au mieux à l'image de l'état de la colonie. Le but est d'une part de remplacer 1 ou 2 rayons anciens par ces cires gaufrées, et d'autre part de resserrer certaines colonies de façon à ce qu'elles n'occupent qu'un volume utile. Ce sont là des règles générales. Chaque colonie est un cas particulier. Il faut l'organiser en se rapprochant de la règle générale.
- Après avoir refermé la ruche, remplir la fiche individuelle.
Tout au long de la visite, nous observerons notamment :
La reine
Elle sera marquée d'un point de couleur correspondant à son année de naissance, si celle-ci est connue (jaune pour 2002)
L'état du couvain :
Couvain compact ‡ reine féconde - couvain sain ;
Couvain dispersé, en mosaïque ‡ reine âgée ou signe de maladie ;
Couvain nauséabond ‡ signe de maladie.
Couvain absent ou uniquement de
faux-bourdons ‡ colonie orpheline ou reine vierge ou reine féconde
La propreté de la ruche :
Traces de déjection : diarrhée ou signe de nosémose.
L'état des abeilles :
Abeilles mortes au fond de la ruche ‡ colonie faible ou avec peu d'instinct de nettoyage
Abeilles atrophiées ‡ Signe de varroase
Abeilles mortes fichées dans les alvéoles ‡ Abeilles mortes de faim
Le volume des provisions miel et pollen :
Généralement, les colonies ne sont pas en manque de pollen, bien que celui-ci soit retrouvé parfois moisi et inconsommable. Les apports de pollen frais compenseront si besoin. Par contre, il convient d'évaluer les réserves de miel sur la base suivante : une surface équivalente à un cadre de corps plein operculé correspond à 4 kg de miel. En avril, les apports de nectar risquent d'être faibles et la consommation importante. Celle-ci peut passer de 1 kg par mois en hiver à plus de 3 kg en période d'élevage. L'apport de candi peut être intéressant, tout comme le nourrissement liquide que nous évoquerons plus loin.
Optimiser la réussite
L'objectif majeur de tout apiculteur est de faire produire ses colonies. Pour réussir, il faut réunir au moins trois conditions :
- avoir son rucher au cœur d'un environnement très mellifère
- connaître approximativement la période de la grande miellée
- disposer de populations très riches en abeilles du type butineuses au moment de cette miellée. Si l'un de ces trois paramètres n'est pas au rendez-vous, il n'y aura pas ou peu de production.
L'environnement
Il est ce qu'il est pour l'apiculteur sédentaire. Quoi qu'il fasse, il est logique de supposer que, sans les millions de fleurs nécessaires, il n'y aura guère de rentrées de nectar. Dans ce cas, seule la transhumance permet de remédier à ce manque.
La periode de miellée
C'est là une affaire d'expérience que justement le débutant n'a pas. Comment déterminer au plus juste cette période, par ailleurs liée aux conditions météorologiques pour une région donnée ? Sûrement en s'informant auprès de collègues expérimentés, lors de réunions, de journées apicoles, de rencontres dans les ruchers-écoles. On constate que depuis quelques années, la communication verticale entre apiculteurs passe mieux. Les anciens livrent davantage leurs trucs ou secrets aux débutants et ces derniers ne doivent pas hésiter à les consulter.
Les populations
Sur ce paramètre, tout apiculteur peut œuvrer pour amener ses colonies à être opérationnelles au moment voulu, c'est-à-dire à la période de miellée que nous appellerons " P.M. ". Il faut 42 jours pour " faire " une butineuse. En remontant ce temps de 42 jours depuis cette période " P.M. ", nous pouvons pousser ou freiner telle ou telle colonie afin qu'elle soit prête pour la miellée, ni avant, ni après.
Réaliser cet objectif n'est pas aisé. Au rucher, nous allons nous y employer en nous appuyant sur le tri virtuel pratiqué pendant la visite de printemps. Les colonies trop fortes (5, 6 cadres de couvain) risquent soit d'essaimer, soit d'être trop en avance pour la période " P.M. ". Pour les ralentir, nous pourrons prélever 1, voire 2 cadres de couvain operculé et prêt à paître. Ils seront remplacés soit par des cires gaufrées, soit par des cadres construits. Vont-elles souffrir de ces prélèvements ? Non, tant qu'ils n'excèdent pas 10 à 20 %. Ils seront rapidement compensés puisque ces colonies possèdent des reines fécondes et que le nombre d'abeilles important comporte suffisamment de nourrices pour permettre un élevage massif. Ces cadres de couvain iront renforcer les colonies un peu faibles, à raison d'un cadre par colonie.
Le renforcement doit être progressif afin de garder un équilibre abeilles/couvain. Des abeilles en nombre insuffisant seraient incapables d'entretenir la température d'une surface de couvain devenue brutalement trop importante. Par contre, l'opération peut se renouveler dès que la population d'abeilles enrichie d'ouvrières nouvellement nées, devient excédentaire. Si l'égalisation des colonies par transfert de couvain présente des avantages, elle peut malheureusement apporter quelques inconvénients, telle que la transmission de maladies.
Quel sort doit-on réserver aux colonies très faibles appelées encore " non-valeurs " ? Seul, le regroupement de 2 ou 3 de ces non-valeurs permet de constituer un ensemble productif, à condition qu'il soit doté d'une jeune reine.
Le nourrissement spéculatif
Voilà un moyen de forcer une colonie à se développer. Un apport répété d'une petite quantité de sirop à 50/50 (moitié eau, moitié sucre) incite la reine à pondre, notamment si elle est jeune. Cependant, l'adjectif " spéculatif " peut trouver ici toute sa signification négative. Employé exagérément sur une colonie possédant une reine très féconde, la colonie peut tellement se développer qu'elle organise un processus d'essaimage. S'il arrive à terme, et c'est difficile de le contrarier, la ruche ne fera pas de miel mais des essaims ... Il n'empêche que la méthode est bonne mais à employer avec modération.
La pose des hausses
Quand placer la hausse destinée à stocker le nectar ? Ni trop tôt, ni trop tard. La pose d'une première hausse provoque un stress de la colonie, en augmentant brutalement de 50 % le volume de celle-ci. Posée trop tôt, elle provoque le refroidissement d'une colonie insuffisamment riche d'ouvrières. Posée au contraire trop tard, elle oblige le confinement d'une population forte et peut provoquer un élevage royal, prémisse d'essaimage. Les conditions météo ont une influence sur le résultat de cette opération. Il sera négatif par temps froid sur des colonies insuffisamment développées et positif sur celles très développées. L'idéal reste d'adapter le volume corps de ruche avec ou sans hausse au volume de l'essaim et à son propre devenir.
La technique du papier journal permet de résoudre en partie les problèmes engendrés par la pose des hausses. En fonction de la puissance de chaque colonie, les abeilles " prendront la décision " d'éliminer ou non le papier. Ainsi, elles assurent elles-mêmes le rapport volume de l'essaim/volume de la ruche. Il n'y a pratiquement aucun inconvénient à utiliser cette pratique, sinon de donner un travail supplémentaire à des milliers de mandibules.
Les cires - Dimensions des cellules
Les abeilles n'ont besoin ni de conseils, ni de support pour construire leurs alvéoles. Celles-ci servent d'une part à stocker les provisions miel et pollen et d'autre part à loger le couvain. Dans la nature, notre abeille Mellifera mellifera construit ses cellules à raison de 850 au dm2. Elles sont un peu plus grandes pour le couvain de mâle qui ne représente qu'un faible pourcentage de la surface totale des rayons. C'est inscrit dans son code génétique.
Par ailleurs, l'abeille possède une capacité d'adaptation que l'apiculteur exploite parfois. Aussi, celui-ci a-t-il imaginé, il y a quelques dizaines d'années de proposer aux ouvrières des plaques de cire pré-imprimées aux cellules plus grandes, au nombre de 750 au dm2. Pourquoi ? Peut-être imaginait-il qu'en fournissant un berceau plus vaste, l'abeille se développerait davantage et acquerrait une langue plus longue, apte à prélever le nectar des corolles plus profondes. Si cet objectif n'est pas forcément atteint, l'habitude est restée et la majorité des ciriers proposent ce type de plaques.
Avec l'arrivée de la varroase et sans rapport apparent avec ce qui précède, les colonies dites " sauvages " ou qui le devenaient avaient pratiquement disparu. Mais, depuis quelques années, certains apiculteurs repèrent de nouveau des colonies sauvages.
Ces colonies vivent sur des cires construites sans support, à raison de 850 cellules au dm2. Concernant ces colonies, on peut se poser quelques questions simples :
- Ces colonies " sauvages " le sont-elles vraiment ou sont-elles le fruit d'un renouvellement permanent d'essaims au fur et à mesure que la souche meurt ?
- Les cellules de ces colonies " sauvages ", plus petites seraient-elles un handicap à l'élevage de varroa ?
- Si handicap il y a, pourquoi n'a-t-il pas joué son rôle auparavant ?
- Ces colonies " sauvages " sont-elles devenues tolérantes à varroa ?
Le sujet mérite d'être étudié. Il semble d'ores et déjà que la dimension des cellules n'ait pas d'incidence sur le développement de varroa : des ruches équipées de cire à 850 cellules/dm2 élèvent aussi bien des varroas que celles équipées de cires à 750 cellules/dm2.
Quelques essais publiés dans la presse apicole viennent de le confirmer. Dommage, car nous aurions pu disposer d'une méthode écologique dans la lutte contre l'acarien. Certains se penchent sur les autres hypothèses évoquées plus haut. Aidons-les par la recherche de colonies abandonnées sans soins ou " sauvages " et signalons-les aux responsables sanitaires ou syndicaux.
La grille à reine
Elle a été mise au point pour bloquer la reine dans une partie de la ruche, généralement le corps. Son vide de maille ne permet que le passage aller-retour des abeilles. La reine, pas plus que les faux-bourdons ne peuvent la franchir. Cet outil présente lui aussi avantages et inconvénients.
Avantages :
- pas de ponte dans la hausse. Dès que le miel est operculé, les cadres de hausse peuvent être extraits.
- pas de pollution de cires de hausse par des cocons d'élevage et des restants de pollen.
- moins de stockage de pollen dans les cadres de hausse.
Inconvénients
Risque accru d'essaimage par blocage de ponte dans le corps de ruche (si toutes les cellules sont remplies de miel, de pollen et de couvain).
La prophylaxie
Tout comme M. JOURDAIN qui faisait de la prose sans le savoir, nous pratiquons déjà naturellement mais souvent partiellement des mesures prophylactiques au rucher. Ce sujet a été développé dans la Page des Jeunes d'avril 2000. Toutefois, il semble bon de rappeler que des mesures simples, de bon sens, qui ne coûtent presque rien aident nos colonies à se maintenir en bonne santé.
Aussi, nous vous suggérons de relire cet article et de réfléchir à ce qui reste à faire dans votre propre rucher. En cherchant bien, chacun d'entre nous trouvera quelque opération ou habitude pratiquée couramment, mais contraire à ce qui doit se faire. Alors, prenons la décision de remettre en cause telle ou telle pratique et de démarrer cette nouvelle saison avec l'idée qu'une bonne prophylaxie sera le fondement de la bonne santé de nos abeilles.
Les travaux préliminaires à la récolte sont pratiquement terminés : visite de printemps, gestion des colonies et pose des hausses.
Il n'y a plus qu'à attendre la miellée. Mais déjà dans le Sud, et peu après dans le Nord, les premiers essaims risquent de réduire nos espoirs de production. S'ils sortent, nous nous arrangerons pour les employer au mieux, pour obtenir malgré tout une première récolte.
Nous verrons comment le mois prochain.
B. Cartel