FNOSAD
Avec l'aimable autorisation de la revue de la FNOSAD
Abonnez-vous à la Santé de l"Abeille

Détection du virus de la paralysie chronique ou maladie noire de l'abeille (Apis mellifera L.)
Application à une enquête de terrain
Par Magali Ribière,
AFSSA Site de Sophia Antipolis, Unité Abeille

Le Virus de la Paralysie Chronique (Chronic Paralysis Virus : CPV) a été l'un des premiers virus isolé chez l'abeille1. Il est responsable d'une maladie infectieuse et contagieuse des abeilles adultes connue par les apiculteurs sous le nom de maladie noire2. à l'origine de mortalités, cette virose affaiblit les colonies et provoque des pertes de production. Elle se manifeste au niveau de la colonie par la présence d'abeilles traînantes, tremblantes, incapables de voler et dans certains cas d'abeilles mortes, noires et aux ailes écartées. La recrudescence de symptômes imputables à cette virose en France a motivé la reprise des recherches sur ce sujet.

Cependant, l'ensemble de ces symptômes peut être confondu avec ceux d'intoxications ou d'un surmenage de la ruche particulièrement durant les périodes estivales.

Le diagnostic de la paralysie chronique par reproduction expérimentale de la maladie, seul test disponible à ce jour, n'est pas envisageable en routine. Dans le but de déterminer l'importance des infections par le CPV dans les pertes observées, il est apparu nécessaire de mettre au point des techniques d'étude et de diagnostic plus sensibles.

Obtention d'une molécule de reconnaissance spécifique du virus
Dans un premier temps, afin d'étudier le virus, son isolement a été nécessaire. Des prélèvements d'abeilles (Apis mellifera L.) présentant les symptômes de la paralysie chronique ont été testés par infection expérimentale afin de reproduire les symptômes et les mortalités caractéristiques de la maladie3. Le but était de sélectionner des abeilles naturellement infectées. Le CPV a ensuite été multiplié par inoculation de préparations issues de ces abeilles contaminées, à des abeilles saines par voie intra-thoracique. Après adaptation d'une technique de purification, le virus a été isolé. Grâce à l'obtention du virus purifié, la production d'une molécule appelée anticorps reconnaissant spécifiquement ce virus a pu être effectuée. Le fait de disposer de cet anticorps a permis d'une part l'étude de la partie protéique composant le virus (voir étude de la composition en protéine du virus) et la mise au point de diagnostics par reconnaissance spécifique de ce virus.

Étude de la composition en protéine du virus et diagnostic par Western Blot
L'étude de la composition en protéines du virus, a été réalisée grâce à l'anticorps produit lors de ce travail. Cet anticorps a été utilisé dans la technique de Western Blot.

Dans cette technique, les protéines des échantillons sont séparées selon leur taille. Elles sont transférées sur un support qui est alors mis en présence de l'anticorps. Cet anticorps, va se lier spécifiquement aux constituants protéiques du virus. Une révélation de cette liaison spécifique est alors effectuée.

La figure ci-dessous est la photographie d'une révélation des constituants protéiques reconnus. Dans cette figure, deux échantillons de broyats de têtes d'abeilles sont présentés :

  • dans la colonne 1, un broyat d'abeilles saines : négatif,
  • dans la colonne 2, un broyat d'abeilles infectées : quatre constituants du virus sont reconnus très distinctement .

paralysie chronique 1

Par cette technique, quatre protéines associées à l'infection virale ont été ainsi mises en évidence.

Lors du diagnostic, la technique de Western Blot permet de confirmer que l'anticorps reconnaît spécifiquement les protéines du virus et de révéler ce profil protéique du virus, gage de spécificité. De plus la révélation se fait grâce à un amplificateur de signal qui permet une grande sensibilité.

Cette technique est longue, car il faut séparer les constituants protéiques avant d'appliquer l'anticorps, mais elle a l'avantage de permettre une identification très fiable du profil de ces constituants et d'être sensible.

Mise au point de tests diagnostiques
Deux tests ont été mis au point. Le premier test est basé sur la technique dite de 'Western blot', qui est celle utilisée pour l'étude des protéines du virus. Cette technique est très sensible mais longue et complexe. Le but était de se servir de cette première technique comme référence pour valider un diagnostic plus simple par ImmunoDiffusion en Gélose (IDG) (voir Diagnostic par IDG). Ces deux tests diagnostiques ont été mis au point sur des abeilles infectées expérimentalement afin de déterminer leur sensibilité, puis ils ont été validés lors d'une enquête terrain.

Diagnostic par Immunodiffusion en gélose
Le diagnostic par ImmunoDiffusion en Gélose (IDG) se base sur la reconnaissance des constituants protéiques du virus par l'anticorps que nous avons produit. Le principe est plus simple que celui du Western Blot. Dans cette technique, 7 puits sont formés dans un gel : 6 puits entourant un puits central.

Les échantillons, obtenus après broyage de têtes d'abeilles suspectes, sont déposés dans les 6 puits extérieurs et l'anticorps est déposé dans le puits central. Les échantillons et l'anticorps vont diffuser dans le gel et lors de la présence de virus, l'anticorps se fixe sur le virus et forme un arc de précipitation visible à l'œil nu. Il n'y a donc pas dans ce cas d'amplification du signal comme en Western Blot. Il n'y a pas non plus de visualisation du profil protéique de l'échantillon donnant une information sur sa nature. D'où la nécessité de valider ce diagnostic par comparaison avec celui plus sensible de Western Blot.

La photographie ci-dessous montre le résultat d'un diagnostic où 4 échantillons sur 6 se sont révélés positifs.

Validation des diagnostics en laboratoire
Lors de tests sur des abeilles infectées expérimentalement, ces deux techniques ont permis de détecter la présence du virus depuis le premier jour après inoculation (avant même l'apparition des symptômes), jusqu'au sixième jour correspondant à la mort des abeilles. De même, il a pu être démontré que la présence d'une seule abeille contaminée sur un échantillon de dix abeilles était suffisante pour révéler le virus. Lors de cette étude de sensibilité, la technique simple par immunodiffusion en gélose a donné des résultats identiques à ceux obtenus par la technique de 'Western blot'.

Tableau 1 : Résultats de l'enquête de terrain portant sur 17 colonies réparties sur 11 ruchers

Validation des diagnostics lors d'une enquête terrain
Une enquête de terrain a alors été réalisée, sur 17 colonies réparties dans 11 ruchers, afin de valider ces tests. Cette première enquête terrain a été conduite sur le plateau de Valensole au mois d'août 1998. Plusieurs types de prélèvements ont été effectués sur des colonies présentant des symptômes plus ou moins marqués attribuables à la maladie noire :

  1. sur des abeilles mortes devant la colonie,
  2. sur des abeilles vivantes sur le pas de vol présentant les symptômes,
  3. sur des abeilles vivantes prélevées dans la colonie sans symptômes apparents.

Les résultats sont présentés dans le tableau 1. Une colonie a été considérée positive quand au moins un des prélèvements a été diagnostiqué comme positif. Cette première enquête a confirmé la présence du virus de la paralysie chronique dans le Sud-est de la France. Sur les 17 colonies prélevées, 8 étaient infectées par le virus de la maladie noire. Pour les 9 colonies pour lesquelles le diagnostic a donné un résultat négatif, les symptômes devaient avoir d'autres causes que la maladie noire : intoxication, surmenage de la colonie...

Il a aussi été mis en évidence que la qualité des prélèvements était très importante : ainsi les prélèvements d'abeilles mortes ne permettent pas de révéler le virus de façon fiable. En effet, un seul de ces échantillons d'abeilles mortes a été reconnu positif. Ceci est probablement du à la dessiccation des abeilles et/ou aux conditions de conservation du virus dans les abeilles mortes. Il est donc préférable de prélever des abeilles vivantes présentant des symptômes. D'après nos résultats, les prélèvements d'abeilles sans symptômes dans des colonies apparemment infectées doivent permettre également de déterminer si la colonie est malade, compte tenu de la sensibilité des tests mis au point.

En conclusion, la technique IDG très simple à mettre en oeuvre permet de diagnostiquer des infections avérées dues au CPV et possède donc des caractéristiques comparables à celles de la méthode de référence du 'Western blot'.


Tableau 2 : Techniques de diagnostics : caractéristiques, avantages, inconvénients

Perspectives
Actuellement ce projet se développe par des enquêtes plus importantes sur le terrain afin de déterminer l'importance des pertes dues à la maladie noire. Des études sur le matériel génétique du CPV sont également entreprises afin de mettre au point un diagnostic plus performant (encore) permettant la détection du virus sous sa forme latente au sein des colonies sans symptômes. Car comme de nombreux virus d'abeille3, le virus de la paralysie chronique est souvent présent sous forme latente dans les colonies. Sous cette forme, l'infection n'entraîne ni mortalité, ni symptôme et lors de conditions favorisantes, la maladie se déclenchera. Les tests mis au point lors de l'étude présentée permettent de déterminer des infections déclarées ou en phase de développement. Le but de l'étude du matériel génétique et de la mise au point de diagnostic par détection de celui-ci est de permettre le suivi des infections latentes, cachées et de comprendre quelles sont les causes favorisantes de la maladie noire, afin de pouvoir les limiter et ainsi réduire leur importance.

Remerciements
Ce travail a pu être réalisé grâce au financement accordé par la Région Provence-Alpes-Côtes d'Azur pour la thèse de Mlle Ribière, financement obtenu grâce à l'appui de l'entreprise partenaire Ickowicz SA.

Bibliographie
Bailey L., The purification and properties of chronic bee-paralysis virus, J. Gen. Virol. 2 (1968), 251-260
Giauffret A., Lambert M., Le diagnostic de la maladie noire de l'abeille, Rec. Méd. Vét. CXLVIII (juillet) (1972), 869-877
Allen M., Ball B. V. L., The incidence and world distribution of honey bee viruses, Bee World 77 (3) (1996), 141-162.