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Des alvéoles pas comme les autres
par Joseph Bencsik
1) Liberté défoulée des abeilles en train de construire
dans des pots du consommateur selon leur propre « fantaisie »
Non curieux s’abstenir !
Il semblerait que la catégorie « humain » appartenant à la profession apicole est curieuse par nature. En effet, en général on ne s’approche pas des abeilles sans curiosité. Cela n’empêche pas pour autant certaines questions apicoles paraître sans intérêt. Serait-ce le cas pour le thème évoqué en titre ?
Il semblerait aussi que la curiosité de beaucoup d’apiculteurs décroît rapidement. On s’accoutume facilement à marcher sur les sentiers battus. C’est une attitude compréhensible. En effet, il est facile et confortable de se laisser porter par le courant de la rivière des habitudes. Mais ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde. Nombreux lecteurs de la revue Abeilles & Fleurs-RFA, comme moi-même, nous ne nous contentons pas de tels conforts. Bien sûr, nous avons quelquefois des déboires et des déceptions, que nous n’aimons pas évoquer, mais aussi des satisfactions et c’est cela qui est le plus important. Nous savons que nos abeilles sont toujours en mesure de nous réserver des surprises, quelquefois très agréables et cela nous fait autant d’occasions à l’émerveillement dont évidemment nos collègues peu curieux sont exclus. Heureusement pour eux, la revue Abeilles & Fleurs-RFA aime bien rapporter des nouvelles fascinantes.
Prétextes et constatations
Aujourd’hui, mes principales excuses pour avoir mis sur le tapis un tel sujet résident essentiellement dans trois observations :
- les alvéoles en question sont étonnamment démesurées;
- elles ont été construites dans des conditions originales ;
- vu leur apparition systématique et leur nombre, elles n’ont pas été bâties par hasard.
Quelques constatations pratiques de départ.
La démesure de ces alvéoles se situe tantôt dans leur profondeur tantôt dans leur section ou encore dans les deux. Dans l’expérience en question, certaines de ces cellules ont leur fond à plus de 65 mm de profondeur, en moyenne environ 50 mm.
2) Alvéoles géantes (50 mm de profondeur en moyenne)
construites par les abeilles directement dans le pot du consommateur.
Sans aller plus loin dans l’examen de la situation, j’avais une envie irrésistible de me poser une première question intrigante aussitôt : quelles étaient les « motivations » de mes abeilles pour construire en grande quantité de telles alvéoles ?
L’intérêt des abeilles
Réflexion faite, il n’y a pas de doute. Elles agissent ainsi par intérêt. Serait-ce une affirmation gratuite ? Ne l’oublions pas, elles en connaissent un bout en matière de leur intérêt ! En effet, c’est en connaissance de cause qu’elles ont réussi à traverser les quelque 80 millions d’années pour arriver jusqu’à nos jours ! C’est une réalité incontestable ! Ces faits autorisent à supposer que d’une façon générale, leurs agissements sont judicieux, du moins ils sont en rapport logique avec leur propre nature, même si cela parfois ne paraît pas rationnel aux yeux de l’apiculteur. A partir de ces réflexions, il n’est plus difficile de faire admettre même à mes lecteurs sceptiques, l’hypothèse selon laquelle mes abeilles construisent des alvéoles démesurées ni par plaisir ni pour faire beau et encore moins pour étonner l’observateur incrédule que je suis, mais tout simplement par économie d’énergie.
Cette supposition paraît d’autant plus raisonnable que dans les circonstances et conditions favorables elles ont une tendance notoire à vouloir construire de telles alvéoles. Ce comportement est d’ailleurs connu exploité par certains apiculteurs, surmontent leurs corps de ruches 10 cadres par des hausses à 9 cadres. Dans ce cas, les abeilles ont l’occasion de construire des alvéoles jusqu’à 42 - 5 = 37 mm de profondeur et même au-delà, lorsqu’elles utilisent aussi l’espace intercadre réservé à la circulation ! Mais entre les alvéoles de la photo n° 2 profondes 65 mm et celles des alvéoles construites sur les cadres bâtis larges, a une différence de 65 - (42 - 5) 28 mm ! Cela est tout de même remarquable ! du moins pour les apiculteurs curieux.
L’intérêt des apiculteurs
Si le désir de nos abeilles à vouloir construire des alvéoles énormes est légitime, et il l’est sans aucun doute, alors nous avons intérêt à favoriser son accomplissement et notamment leur fournissant des occasions. Apiculteurs raisonnés que nous sommes censés être, nous devrons donc nous adapter au plus près de leurs comportements naturels (vieux de 80 millions d’années qu’on se le rappelle une fois de plus) ! En tout cas, ce n’est sûrement pas en les contrariant dans leur zèle que nous pouvons espérer obtenir les meilleurs résultats.
3) Un pot de 850 ml ne contenant que des alvéoles
de « bourdons gonflés » construites par une autre colonie dans le pot du consommateur
Mais il faut admettre que la rigidité structurale de nos ruches modernes en usage aujourd’hui ne laisse pas beaucoup de choix à l’apiculteur pour s’accommoder à la vie et aux moeurs de ses abeilles. Ainsi à défaut de mieux, ce sont elles qui essayent de s’adapter tant bien que mal. En effet, elles accolent les cadres entre eux dans leur partie supérieure par des alvéoles exceptionnelles. Alors arrive l’apiculteur moderne et à l’occasion de ses visites fréquentes, il sépare ces cadres et détruit, du moins abîme les plus grandes alvéoles, celles justement plus économiques que sa colonie a bâti à grand-peine. Mais alors comment faire pour échapper à de tels inconvénients, autrement dit, comment fournir à ses colonies l’occasion de construire des grandes alvéoles économiques dans une ruche moderne ?
Une technologie plus accommodante
Evidemment, les alvéoles de stockage à grande taille dont il s’agit sur les photos 2 et 3 ont été construites dans des conditions un peu banales, c’est-à-dire directement dans le pot du consommateur. Elles ont été bâties naturellement et librement, selon le désir et la « fantaisie » propre de la colonie. En effet, il faut reconnaître que, pour les abeilles, le pot vide placé au-dessus des cadres est un espace libre occuper et à bâtir naturellement. C’est un emplacement idéal pour la colonie afin de pouvoir défouler leurs envies de construire « hors normes ». Notons-le tout de suite, elles en profitent bien, mieux, elles s’en régalent. La diversité des constructions qu’elles entreprennent à l’intérieur de ces pots le démontre indéniablement. Rien qu’à ce sujet, on pourra s’interroger longuement, peut-être dans un autre écrit.
Auparavant, il faut remarquer encore d’autres irrégularités impressionnantes. En effet, curieusement, dans certains pots, elles préfèrent ne construire que des alvéoles à section large. Ces dernières cependant paraissent bien plus larges et bien plus profondes que celles utilisées pour l’élevage des bourdons (photo n° 3). Ces alvéoles de « bourdons gonflés » ne sont utilisées que pour l’élaboration du miel et cela dès le commencement de leur construction. En fait, elles sont rallongées à mesure que le nectar frais arrive et que l’espace disponible le permet, ou le « suggère ». Cela signifie que le stockage des réserves dans des cellules de « bourdon gonflé » est également rationnel pour la colonie.
Il n’y a donc pas de doute : l’emploi de la technologie apicole permettant de faire élaborer du miel par les abeilles directement dans le pot du consommateur est une occasion particulièrement adéquate pour que la colonie bâtisse des alvéoles de stockage performantes. Cette technologie s’accommode au plus près de la vie et des mœurs de nos abeilles offrant ainsi une meilleure performance pour la colonie, par conséquent une meilleure performance pour l’apiculteur.
Mais les alvéoles démesurées construites dans de telles circonstances ne sont que des épiphénomènes de la technologie inhérente appliquée. D’autres observations et analyses bien plus importantes ont été publiées auparavant dans votre revue n° 578, 580, 581, 585, 592, 598... De telles expériences n’ont pas fini de m’offrir des satisfactions apicoles et bien au-delà. Pour quelles raisons n’en offriraient-elles pas autant et davantage pour vous ?
Joseph Bencsik
23, boulevard des Castors
F-69005 Lyon (France)