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Chrysomèle des racines du maïs - Comment limiter les risques pour les apiculteurs et pour les maïsiculteurs ? par Jérôme Vandame, coordinateur de la FNOSAD |
![]() Chrysomèle des racines du maïs adulte.photo : LNPV Station Entomologie Montpellier |
Un nouveau risque est apparu en apiculture avec le petit coléoptère Diabrotica virgifera virgifera Le Conte. Plus communément appelé chrysomèle des racines du maïs, ce coléoptère ailé atteint 7 mm au stade adulte. Polyphage, l’adulte peut être trouvé sur différents organes du maïs (soies, panicule, feuille) mais également sur d’autres graminées.
Par contre, ses larves se nourrissent principalement de racines de graminées et affectionnent tout particulièrement celles de maïs, provoquant un déficit nutritionnel, un dépérissement et jusqu’à la verse des plantes concernées (1).
![]() Chrysomèle des racines du maïs adulte. photo : Arvalis |
![]() Diabrotica virgifera sur une panicule de maïs. photo : Arvalis |
Le cycle biologique de ce coléoptère s’étale sur près d’une année (une seule génération par an). Les femelles peuvent pondre jusqu’à 1 000 œufs dans le sol en fin d’été. Après émergence au printemps, les larves colonisent les racines et radicelles du maïs. Trois à quatre semaines plus tard, les larves se transforment en pupes puis en adultes. Devenues adultes, les chrysomèles émergent du sol et se nourrissent des soies et panicules des plantes. Les premiers adultes s’accouplent en début d’été et après deux semaines, les femelles pondent dans le sol.
Après un rapide historique de la colonisation par Diabrotica virgifera des zones maïsicoles des Etats-Unis et plus récemment d’Europe occidentale, seront présentées la stratégie de lutte définie par le ministère français chargé de l’agriculture et les conséquences ainsi que les alternatives pour une lutte permettant de limiter les risques des maïsiculteurs tout en évitant de fragiliser un peu plus les colonies d’abeilles.
Un parasite des zones maïsicoles
Originaire d’Amérique centrale, Diabrotica virgifera virgifera Le Conte a progressivement envahi l’Amérique du Nord, devenant l’un des principaux ravageurs du maïs, notamment dans la « Corn Belt », espace agricole du Middle West des Etats-Unis, qui est atteint dans les années 1980.
Malgré le déclenchement d’une stratégie de lutte alliant pesticides et mesures biotechniques, la chrysomèle s’est remarquablement adaptée aux zones de monoculture de maïs présentes outre-atlantique. Pour l’instant, la seule solution pour lutter contre ce ravageur du maïs dans ces zones de monoculture est l’utilisation d’insecticides et d’OGM.
Parasite spécifique du continent américain, la présence de la chrysomèle des racines de maïs est constatée pour la première fois en Europe en 1992, à proximité de l’aéroport international de Belgrade. Dès lors la chrysomèle d’origine américaine va se développer dans les zones maïsicoles de Serbie et des pays voisins. Ainsi, en 1998, un foyer dont les chrysomèles ont les mêmes caractéristiques génétiques que celles d’Europe centrale est détecté au Nord-Est de l’Italie.
Par la suite d’autres foyers sont également détectés au Nord-Ouest de l’Italie, en Suisse (2000) et en France (2002) et résulteraient d’introductions indépendantes en provenance d’Amérique du Nord (2).
Face aux nombreux cas de détection du coléoptère en Europe, le Service de la Protection des Végétaux organise dès 1999 une surveillance du territoire et détecte pour la première fois la chrysomèle près des aéroports parisiens en août 2002.
Par la suite, le renforcement du réseau de surveillance permettra de détecter des foyers dans plusieurs régions françaises : en Alsace (1 foyer en 2003), en Picardie (1 foyer en 2005), en Rhône-Alpes et en Bourgogne (respectivement 1 et 3 foyers en 2007).
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![]() Dégâts occasionnés par Diabrotica virgifera sur la culture de maïs. |
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En France, la lutte s’organise mais l’infestation progresse
Suite aux premiers piégeages de chrysomèle à proximité des aéroports parisiens, un arrêté ministériel relatif à la lutte contre la chrysomèle est publié le 22 août 2002. L’arrêté définit un périmètre de lutte avec délimitation d’une zone focus (cercle de 5 km de rayon), d’une zone de sécurité (10 km de rayon) et d’une zone tampon (40 km de rayon), stipule un renforcement de la surveillance par l’établissement d’un dispositif de piégeage dans les zones focus, sécurité et tampon. L’arrêté précise les mesures de lutte telles que l’obligation d’une lutte à l’aide d’insecticides et/ou de larvicides dans la zone focus l’année de la découverte des coléoptères et l’année suivante et l’obligation de rotation culturale, pour que le maïs ne soit cultivé qu’un an sur deux dans la zone de sécurité, et un an sur trois dans la zone focus (3)
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Cycle biologique de Diabrotica virgifera virgifera Le Conte
Les modifications de l’arrêté en 2007 (14 août 2007) et en 2008 (28 juillet 2008) assouplissent certaines mesures de lutte et en particulier celles concernant l’obligation de rotation dans les zones focus et les zones de sécurité, dans le cas où « pas plus de deux spécimens de l’organisme au total n'ont été mis en évidence ». En outre les rayons des zones focus et sécurité sont réduits à respectivement 1 et 6 km (4).
Malgré la mise en œuvre des mesures de lutte stipulées par ces arrêtés ministériels, la chrysomèle poursuit son expansion, comme l’indiquent les piégeages réalisés entre 2005 et 2008.
Ainsi, en Ile-de-France, de nouveaux foyers de chrysomèle ont été détectés dans les départements des Yvelines et de l’Essonne (relativement proches des aéroports de Roissy et d’Orly) au cours des années 2003 à 2005 et en 2008.
A noter toutefois que suite à la mise en œuvre des mesures de lutte (obligation de rotation dans la zone focus 2 années sur 3 et dans la zone sécurité 1 année sur 2, pulvérisation de deltaméthrine sur plus de 5 400 hectares au cours de l’été 2005 et 1 395 hectares ha en 2006, traitement larvicide de 1 395 ha lors des semis de maïs en 2006), aucune détection n’a été faite en 2007. En 2008 par contre, une chrysomèle a été à nouveau piégée à Avrainville dans l’Essonne entraînant à nouveau l’application des mesures de lutte et en particulier la pulvérisation de deltaméthrine sur 75 hectares.
Cartographie des détections foyers détectés
en France. Source : DGAl (5)
En dehors de l’Ile-de-France, l’application de la réglementation n’a pas permis non plus d’empêcher la progression de la chrysomèle. Comme il apparaît dans le tableau ci-dessus, trois foyers ont été identifiés en 2007 dans la région Rhône-Alpes. Malgré l’épandage d’insecticide à base de deltaméthrine par hélicoptère sur près de 6 500 hectares, deux nouveaux foyers ont été détectés en 2008 et ont impliqué la pulvérisation d’un insecticide à base de deltaméthrine sur près de 850 hectares complémentaires. En outre, les parcelles de monoculture de maïs des zones de sécurité fixées en 2007 ont reçu un traitement larvicide en recourant soit au « Cruiser » (matière active : thiaméthoxam), soit au « force 1,5 G » (matière active téfluthrine) et deux traitements deltaméthrine en juillet et août 2008.
De même en Alsace, après une détection de la chrysomèle en 2003, le coléoptère a de nouveau été capturé à 9 reprises en 2007 et à 13 reprises en 2008, impliquant le déclenchement des mesures de pulvérisation de deltaméthrine, de traitement larvicide au moment du semis et de rotation des cultures sur des surfaces qui n’ont pas été communiquées par la SRPV Alsace.
En Picardie, 1 foyer détecté en 2005 a entraîné le traitement de 1 300 hectares (dont 600 en Ile-de-France) avec un insecticide à base de deltaméthrine au cours de l’été 2005 et d’une centaine d’hectares avec un larvicide lors des semis de maïs de 2006 et un insecticide au cours de l’été de cette année. Par la suite, aucun autre coléoptère n’a été piégé dans le dispositif de surveillance.
Enfin en Bourgogne, la chrysomèle capturée en 2007 a entraîné un traitement aérien à la deltaméthrine de 600 ha en Saône-et-Loire (dont 70 ha dans le Jura) en 2007 et un traitement larvicide (thiaméthoxam) et insecticide (téfluthrine) sur 45 hectares pour lesquels une dérogation à l’obligation de rotation a été accordée en 2008.
Des traitements onéreux et n’épargnant pas les abeilles
Ce survol des régions concernées montre qu’en France, l’infestation est ralentie, mais poursuit sa progression et ce malgré la pulvérisation de deltaméthrine sur plusieurs milliers d’hectares au cours des années 2007 et 2008.
Le coût de l’épandage d’insecticides étant de l’ordre de 70 euros par hectare, cette stratégie de lutte, visant l’éradication de la chrysomèle des racines du maïs, adoptée à l’échelle de la France s’avère très onéreuse. En outre, son impact sur l’abeille et les autres insectes pollinisateurs est avéré. Ainsi une étude montre que la pulvérisation d’une solution de deltaméthrine sur des abeilles en cage a des effets létaux à une dose de 11,2 grammes par hectare (6).
Tableau : Traitement insecticides et larvicides dans les régions
concernées par la chrysomèle.
En outre, selon le recueil des effets non intentionnels des produits phytosanitaires écrit par le groupe “Actions secondaires” (DGAl/SDQPV - UIPP - ACTA), la deltaméthrine fragilise de nombreuses espèces d’organismes utiles et auxiliaires dont certains régulent les populations de ravageurs. A noter en particulier que la deltaméthrine est toxique ou très toxique pour les insectes pollinisateurs (familles des Apidés, Bombidés, Megachilidés), et des prédateurs utiles (famille des Vespidés, des Coccinellidés, des Syrphidés, des Anthocoridés). A contrario, le recueil indique que la deltaméthrine peut favoriser certains organismes nuisibles et en particulier les pucerons Rhopalosiphum padi et Metopolophium dirhodum ravageurs du maïs (7) et (8).
Quelles alternatives ?
Face aux résultats mitigés obtenus par la stratégie de lutte, visant l’éradication du coléoptère en France, définie par le Ministère de l’agriculture et à ces importants coûts financiers et environnementaux, il est nécessaire d’explorer d’autres méthodes de contrôle du coléoptère.
Avec toutes les précautions qui s’imposent pour éviter d’introduire de nouvelles espèces invasives, il semble que les recherches entreprises dans le domaine de la lutte biologique donnent des résultats prometteurs, en particulier dans le cadre d’un projet de recherche sur le contrôle biologique de Diabrotica virgifera virgifera Le Conte en Europe centrale (10). Certes, les chercheurs (Toepfer et al.) indiquent qu’aucun ennemi naturel de la chrysomèle des racines du maïs n’a été rencontré en Europe centrale à l’exception des champignons entomopathogènes Beauveria bassiana1 et Metarhizum anisophiae, dont l’efficacité reste toutefois insuffisante.
Mais ils indiquent par ailleurs que sur le continent américain, parmi les six parasites connus des formes adultes du genre Diabrotica, l’un est un parasite spécifique de la chrysomèle du maïs. Il s’agit du diptère Celatoria compressa. Selon les auteurs, tenant compte d’une part que ce diptère peut être élevé en laboratoire et d’autre part que ses impacts directs et indirects sur d’autres organismes sont faibles, une stratégie de lutte intégrée semble envisageable en Europe centrale en utilisant simultanément des méthodes de lutte biologique (au moyen de Celatoria compressa) et des pratiques de rotations culturales. Néanmoins, les auteurs soulignent que certains aspects doivent encore être étudiés avant d’envisager d’importer ce diptère et en particulier de mieux connaître sa résistance au froid et son impact en condition réelle (9).
Dans l’attente de ces résultats complémentaires et d’informations relatives aux pratiques agricoles permettant de renforcer le maïs [semis plus précoce, engrais starter (10)], la seule alternative crédible aux mesures de lutte par insecticides et larvicides reste la rotation des cultures. Celle-ci permet d’introduire une rupture dans le cycle de reproduction, cassant le cycle annuel du coléoptère et supprimant le support de ponte des chrysomèles des racines du maïs.
Cette mesure de lutte devrait donc être logiquement renforcée et non pas atténuée dans le cas où moins de 2 coléoptères sont capturés, comme le stipule désormais l’arrêté ministériel du 28 juillet 2008. Parallèlement ce renforcement des mesures de rotation culturale devrait être accompagné d’un mécanisme d’accompagnement financier de l’effort réalisé par les maïsiculteurs.
Nous remercions la FREDON Rhône-Alpes, la SRPV Ile-de-France, la SRPV Picardie, la SRPV Bourgogne ainsi que Arvalis et le LNPV de Montpellier pour leur aimable collaboration.
Note 1 : Les champignons entomopathogènes Beauveria bassiana et Metarhizum anisophiae sont également étudiés dans le cadre de programme de recherche de lutte contre Varroa destructor
Références
1 P. Renaud, 2005. Portrait d’un envahisseur. LNPV entomologie.
2 N. Miller et al., 2005. Multiple Transatlantic Introductions of the Western Corn Rootworm. Science. Vol. 310.
3 Arrêté ministériel du 22 août 2002 relatif à la lutte contre Diabrotica virgifera, publié au JORF n° 196 du 23 août 2002 – p. 14097.
4 Arrêté ministériel du 28 juillet 2008 publié au JORF n° 196 du 30 juillet 2008 – p. 12221.
5 Note de service DGAl / SDQPV / N2008-8163 du 30 juin 2008.
6 WHO, 1990. Environmental health criteria for tetramethrin, cyhalothrin and deltamethrin.
7 Recueil des effets non intentionnels des produits phytosanitaires, 2002. Groupe “Actions secondaires” (DGAl/SDQPV - UIPP - ACTA).
8 Effets non intentionnels de la deltaméthrine sur les insectes utiles et nuisibles sur le site : http://e-phy.agriculture.gouv.fr/ecoacs/02818.htm
En particulier, impact de la deltaméthrine sur les pollinisateurs :
• les Bombynidés : http://e-phy.agriculture.gouv.fr/ecoacs/1a2012.htm
• les Apinidés : http://e-phy.agriculture.gouv.fr/ecoacs/1a1001219.htm
• les Megachillidés : http://e-phy.agriculture.gouv.fr/ecoacs/1a2054.htm
9 Toepfer et al. The invasion of the Western Corn Rootworm in Europe and potential for classical biological control
10 Peairs F. B. et al., Western Corn Rootworm