Du Lot à la Saône, une péniche-rucher au fil de l'eau
par Ali Habib
Article du "Monde" paru le 23/08/01
Photos parues dans la revue Abeilles & Fleurs n°444 - février 1996
Peniche mellifica mellifica
Les Poissonier ont vendu terrain et maison pour s'acheter un bateau et y installer leurs abeilles
En 1992, Bruno Poissonier et sa femme, Mireille, à la tête d'une exploitation apicole de 500 ruches dans la région de Cahors (Lot), prennent une grande décision : leur vie se déroulera désormais au fil de l'eau. Mais s'ils ont décidé de "larguer les amarres", ils n'entendent pas, cependant, abandonner leurs abeilles et un métier "pratiqué par des individualistes très soucieux de leur liberté et respectueux d'un animal jamais domestiqué malgré les apparences, et qui reste encore un grand mystère pour l'homme". Deux ans plus tard, leur rêve devient réalité.
Ils ont tout vendu, terrain et maison, pour s'acheter une péniche, la mettre aux normes et l'adapter à sa nouvelle fonction de rucher flottant et de récolte du miel. De type Freycinet, légèrement raccourcie, à 30,60 mètres, dotée d'une miellerie ultramoderne dans la cale et d'un emplacement pour les cent ruches sur le pont, l'embarcation aura représenté un investissement de plus de 1 million de francs. "Nous n'avons plus rien à terre. Tout est parti dans La Phalène -le nom du bateau-. Mais nous ne regrettons rien", explique Bruno Poissonier, qui semble ravi d'être "le seul au monde à pratiquer actuellement l'apiculture sur les voies d'eau, en complète transhumance."
Il n'est, malgré tout, pas le premier : les Egyptiens des temps pharaoniques étaient coutumiers de cette apiculture au fil du Nil et la Rome antique, fervente des plaisirs sucrés, la pratiquait volontiers dans ses provinces orientales.
Objectif : 10 Tonnes
À la fois péniche résidentielle, "rucher d'eau" et exploitation apicole flottante, La Phalène se déplace six mois de l'année, dans un rayon de 250 kilomètres, sur le Tarn, le canal des Deux-Mers, celui de la Garonne, entre Toulouse et Bordeaux, et le canal du Midi, entre Toulouse et Sète, pour la récolte des miellées.
Huit jours par-ci, huit jours par- là, suivant l'éclosion des espèces de fleurs à butiner. Au cours du voyage, les abeilles sont légèrement engourdies par fumage.
La vente de la production emmène toute la famille - les ruches hibernent alors à terre - jusqu'en Lorraine et dans les villes et villages des vallées de la Saône et du Rhône.
Le "bateau-abeille", ainsi qu'il commence à être connu par les riverains, avale nonchalamment les kilomètres et dévore les paysages au gré des saisons et... de l'humeur de ses propriétaires. "Nous arrivons tout juste à nous en sortir, déclarent ces derniers, mais pas moins que les autres exploitants apicoles restés à terre." Avec un "plus", néanmoins : le fait de travailler à leur goût et selon leur choix de vie. Bon an mal an, la récolte de miel s'élève à 7 tonnes. L'objectif à atteindre reste les 10 tonnes. Michel Barraud s'est spécialisé depuis quelque temps dans la production de gelée royale et de pollen, "cette semence mâle des fleurs". Des produits dont la notoriété ne cesse de grandir, tant sur le plan médicinal que cosmétique.
Le rucher ne présente pas de danger
Et le marché est de plus en plus porteur : une dose de 10 grammes de gelée royale pure est vendue aux alentours de... 120 francs ! "Nous sommes très heureux, quand nous pouvons en récolter un kilo par ruche et par saison", assure encore M. Poissonier. Mais attention aux contrefaçons et ajouts de toutes sortes ! Pour garantir la qualité de cette production, une trentaine d'apiculteurs professionnels viennent de créer le Groupement des Producteurs de Relée Royale.
Ali Habib