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maladie noire 4

La maladie noire ou paralysie chronique de l’abeille (2007)

J.-P. Faucon, P. Blanchard, F. Schurr, V. Olivier, O. Celle.
Unité Pathologie de l’Abeille, AFSSA Sophia Antipolis

La paralysie chronique est une maladie infectieuse et contagieuse des abeilles adultes, décrite dans de nombreux pays.
Cette maladie est due au virus de la paralysie chronique (CBPV : Chronic Bee Paralysis Virus) (Bailey 1968). Elle a longtemps été attribuée à :

  • d’autres agents pathogènes,
  • des causes génétiques et/ou alimentaires.

La première transmission expérimentale de la maladie a été réalisée par Burnside en 1945 et la purification du virus par Bailey en 1963 (Bailey et al. 1963).

Les différentes appellations de la maladie ont pour origine soit les symptômes chez les abeilles malades, soit les conditions liés à l’apparition de la maladie :

  • "paralysie chronique", en opposition avec la paralysie aiguë due au Acute Bee Paralysis Virus (ABPV) qui lors des infections expérimentales par inoculation induit une paralysie en 2 à 5 jours contre 7 jours pour le CBPV,
  • "maladie noire" en raison de la couleur caractéristique que prennent certaines abeilles fortement atteintes,
  • "petites noires" car les abeilles glabres apparaissent plus petites,
  • "mal des forêts" car la maladie se développe particulièrement dans les colonies situées dans les bois et exploitant les miellées de miellat,
  • "constipation" ou "vertige" décrits chez les anciens auteurs.

La contamination de l’abeille se fait soit par l’alimentation, soit d'abeille infectée à abeille saine par contact à la faveur de lésions de la cuticule. La contamination par cette dernière voie nécessite une charge virale moins importante que lors de la contamination alimentaire.

Des corps d’inclusion ont été identifiés dans les cellules de l’épithélium du tube digestif et/ou dans le système nerveux d’abeilles malades (Lee et Furgala, 1965 ; Giauffret, 1967) indiquent que la réplication virale pourrait se faire dans ces organes. Cependant de fortes charges virales ont aussi été mises en évidence dans l’hémolymphe d’abeilles malades (Blanchard et al., 2007). Des essais d'hybridation in situ sont actuellement conduits pour identifier plus précisément et plus spécifiquement les sites d’infection du virus.

D’après les connaissances actuelles, la maladie noire est une des maladies virales reconnues pour poser problème en apiculture, alors que pour d’autres virus d'abeille, très souvent mis en évidence dans les colonies, le rôle pathogène est douteux ou mal connu et leur implication dans les mortalités de colonies reste une question ouverte.

Le virus de la maladie noire est très fréquent dans les prélèvements d’abeilles mortes : plus de 70 % des prélèvements diagnostiqués positifs dans les années 1960 en Angleterre. Plus récemment, en France, entre août 2000 et août 2003, la maladie a été diagnostiquée (confirmation par examens de laboratoire) 157 fois sur 359 cas de mortalités d’abeilles. La majorité des échantillons analysés provenait de ruchers où avaient été signalés des affaiblissements de colonies avec des symptômes de tremblements et/ou d’inactivité au pas de vol.

Le syndrome connu en France sous le nom de maladie noire a été décrit comme entraînant de faibles mortalités d’abeilles (petites abeilles, tremblantes, noires et glabres, abeilles à l’abdomen gonflé) ponctuellement en fin de printemps et début d’été (Giauffret, 1966).
Mais il ne s'agit que d’un des syndromes du à ce virus. En effet, dès les années 1970, les spécialistes anglais décrivaient un autre syndrome dénommé « Paralysis » (Bailey, 1976).

     

Les principaux symptômes de la paralysie sont des tremblements du corps et des ailes (mouvement de chorée), des abeilles malades qui, sans être particulièrement noires, sont rejetées par les gardiennes devant la ruche (comportement de houspillage). Des tapis d’abeilles mortes dont certaines ont les ailes écartées (ailes en croix) se constituent. Sous cette forme la maladie peut entraîner le dépeuplement des colonies et leur mort. La maladie est contagieuse. Il a été observé sur le terrain que les symptômes de la maladie qui apparaissent dans une colonie se propagent aux autres colonies du même rucher. Ce syndrome présente de grandes similitudes avec les symptôme décrits lors d’intoxication. Cette confusion est d'autant plus aisée que les mortalité dues à la maladie noire surviennent soudainement particulièrement dans la période d’activité des colonies et touchent de façon plus fréquente les colonies populeuses.

Le virus de la paralysie chronique peut persister dans les colonies en infection inapparente.

Parmi les conditions favorisantes qui entraîneraient le déclenchement de la maladie et l’apparition des symptômes caractéristiques on note :

  • la localisation des ruchers en zone de forêt et en particulier lors des miellées de miellat. Ce phénomène est bien connu des apiculteurs exploitant
    les miellées de sapin.
  • les conditions météorologiques qui confinent les fortes populations à l’intérieur des ruches augmentant les possibilités de contamination en raison
    vraisemblablement de la promiscuité des abeilles entraînant des frottements et des lésions cuticulaires plus fréquentes.

Les conséquences de la maladie noire sont :

  • l’affaiblissement de la colonie atteinte en raison de la perte des abeilles butineuses.
  • l’inactivité au trou de vol. Ce dernier est occupé par les abeilles et le tableau est comparable à ce qui se remarque lors des phénomènes de pillage dans les ruchers.
  • une baisse de la production qui va de pair avec la perte des butineuses et l’inactivité des abeilles malades. La mortalité parfois importante devant les ruches est fréquente.

L’association avec Nosema sp se retrouve dans plusieurs cas nécessitant une étude sur les possibles synergies.

L’AFSSA Sophia Antipolis, Unité Pathologie de l’Abeille travaille sur le virus de la paralysie chronique. Différents projets de recherche financés pour partie par l’AFSSA, pour partie par le FEOGA ont été conduits.

Des avancées significatives et des résultats importants ont été acquis :

  • mise au point de méthodes de diagnostics par différentes techniques et estimation d’un seuil viral permettant d’orienter vers un diagnostic de simple présence du virus ou vers un diagnostic de maladie.
  • séquençage du virus de la paralysie chronique qui permettra en particulier l’étude de sa variabilité génétique. Existe-t-il des variations génomiques à mettre en rapport avec une plus ou moins grande aptitude du virus à provoquer des fortes mortalités ? Existe-t-il des variants géographiques ?
  • mise en évidence du virus de la paralysie chronique dans les fèces d’abeille avec conservation de son pouvoir pathogène. Cette voie de dissémination contribue à expliquer la contamination entre abeilles le développement de la maladie lors des épisodes de confinement des colonies.
  • présence du virus de la paralysie chronique avec une charge virale élevée dans les fourmis prélevées aux abords des colonies malades. La dissémination du virus par les fourmis reste à confirmer mais ces résultats ouvrent vers de nouvelles recherches dont les applications pratiques pour limiter la dissémination de la maladie pourraient être intéressantes.
  • forte corrélation entre la présence d’une trappe à pollen et le déclenchement de la maladie.

Ces derniers mois, des mortalités d’abeilles et/ou des affaiblissements sont survenues avant ou en cours de miellée ou immédiatement après des transhumances des ruches pour l’exploitation de miellées spécifiques (tournesol, lavandin).

Ces mortalités ont été relevées dans 28 ruchers de 14 départements différents. Elles ne représentent sans doute qu’une partie des mortalités survenues et n’ont qu’une valeur statistique limitée ne pouvant être généralisée à l’ensemble du territoire. Le 19 septembre des mortalités avec les mêmes symptômes étaient encore signalées dans le département de la Loire Atlantique, ce qui suggère que le problème est probablement plus répandu.

Le virus de la paralysie chronique a été recherché dans les prélèvements envoyés au laboratoire la plupart du temps par des agents sanitaires apicoles. Toutes les abeilles prélevées présentaient des symptômes attribuables à la maladie noire.

Le virus de la paralysie chronique avec un seuil viral permettant d’orienter le diagnostic vers la maladie déclarée a été retrouvé dans 78,6 % des prélèvements. Sur les 6 autres prélèvements, le virus était présent dans 3 prélèvements.

En conclusion, la paralysie chronique contribue de manière significative aux mortalités d’abeilles.
J.-P. Faucon, P. Blanchard, 
F. Schurr, V. Olivier, O. Celle.
Unité Pathologie de l’Abeille, 
AFSSA Sophia Antipolis

Bibliographie

  • Allen, M. & Ball,B.V., (1996). The incidence and world distribution of honey bee viruses. Bee World, 77, pp 141-162
  • Bailey, L., (1968). The purification and properties of chronic bee-paralysis virus. Journal of General Virology, 2, pp 251-260.
  • Bailey,L., (1976). Viruses attacking the honey bee. Dans : Advances in Virus Research volume 20, (Eds : Lauffer, M. A., Bang, F. B., Maramorosch, K., and Smith, K. M.), pp 271-304.
  • Blanchard, P., Ribiere, M., Celle, O., Lallemand, P., Schurr, F., Olivier, V., Iscache, A. L. & Faucon, J. P. (2007). Evaluation of a real-time two-step RT-PCR assay for quantitation of Chronic bee paralysis virus (CBPV) genome in experimentally-infected bee tissues and in life stages of a symptomatic colony
  • J Virol Methods 141, 7-13. Giauffret,A., Duthoit, J.L., & Caucat, M.J., (1966). Etude histologique du tissu nerveux de l'abeille atteinte de maladie noire. Bulletin Apicole, IX, pp 221-228.
  • Ribière, M., Faucon, J.P., & Pépin, M., (2000). Detection of chronic bee paralysis virus infection : application to a field survey. Apidologie, 31, pp 567-577.
  • Ribière, M., Lallemand, P., and Iscache, A.L., (2004a). Detection of chronic paralysis bee virus in honey bee (Apis mellifera) excreta. Unpublished Work.
  • Ribière, M., Lallemand, P., & Schurr,F. (2004b). Adult honey bee (Apis mellifera L.) contamination by the chronic bee paralysis virus (CBPV) below the clinical level. Unpublished Work.
  • Ribière,M., Triboulot,C., Mathieu, L., Aurières, C., Faucon, J.P., & Pépin,M., (2002). Molecular diagnosis of chronic bee paralysis virus infection. Apidologie, 33, pp 339-351
  • M. Ribière, P. Lallemand, F. Schurr, J.-P. Faucon (2007) Le point sur la paralysie chronique dans les ruchers français. Poster