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Photo: © Jean Haxaire
Frelon asiatique (2009)
J. Ripoche
Journal Sud-Ouest Bordeaux rive gauche - Avec l’aimable autorisation de Ouest France Bordeaux
L’unité Santé végétale de l’INRA de Bordeaux est chargée de la mise au point d’un piège sélectif. A l’usage des apiculteurs et des vignerons car l’insecte se régale aussi de raisins.
L’INRA tend un piège
«Et voici la piste d’atterrissage » ! En fait, une planche posée devant une ruche. De couleur blanche, elle permet de mieux distinguer la robe noire du frelon asiatique. Au-dessus une caméra filme en trois dimensions et en permanence ses évolutions. Elle est reliée à un logiciel spécifique qui fait le tri des informations « pertinentes » pour les chercheurs.
Cette plate-forme « aéroportuaire » pour hyménoptères vient d’être aménagée sur le domaine de la Grande Ferrade, le site de l’Inra de Bordeaux à Villenave-d’Ornon (33). Elle constitue l’un des outils de travail de l’unité de recherche santé végétale chargée(1) de mettre au point le piège le plus efficace possible pour empêcher de nuire ce prédateur venu d’ailleurs(2).
« Nous devons réaliser un piège rustique, simple à utiliser, pas cher, mais en même temps suffisamment sophistiqué pour ne pas pénaliser le frelon local ou autres insectes », expliquent Denis Thiéry et Nevile Maher, les scientifiques mobilisés sur cette opération. « C’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît et seule une approche globale du problème permettra d’en venir à bout », affirment les chercheurs. D’ores et déjà, ils ont disqualifié le piège à base de bière dont certains font la promotion : « Pas sélectif du tout ! ».
L’unité santé végétale de l’Inra de Bordeaux s’est forgée jusqu’à présent une petite réputation dans le piégeage de l’Eudémis des vignes, un ver de la grappe de raisin, expérimenté, entre autres, au château d’Yquem. Cette expertise va lui être utile dans sa démarche contre le frelon asiatique, dont on commence à découvrir qu’il ne s’intéresse pas qu’aux seules abeilles. Il apprécie également le raisin, souligne Denis Thiéry : « Il est même capable de faire son choix entre différents cépages ! ».
Denis Thiéry et Nevile Maher mènent en parallèle deux types d’approche. Sous le regard de la caméra, c’est le décryptage du « comportement de chasse » du frelon asiatique aux abords de la ruche qui les intéresse. Un peu plus loin, à proximité de deux ruches « appâts », ils testent ses préférences alimentaires. Car, au final, le bon piège sera celui qui contiendra « les molécules odorantes qui lui conviennent le mieux ». En ce sens, le « mou de pomme » assez sélectif, semble offrir des perspectives intéressantes. Mais ce n’est pas la seule piste. Sur les autres, les chercheurs restent discrets, leur mission requérant une certaine confidentialité. « On sait que le frelon asiatique aime beaucoup de choses et qu’il est actif de juin à novembre, voire décembre », précise toutefois Denis Thiéry. « Sur une aussi longue période, ses besoins alimentaires varient. Par exemple, pour construire son nid, il a besoin de cellulose et d’eau ; pour le vol élevé, il lui faut du sucre. Il ne nourrit aussi de guêpes, de mouches, de charognes ». Autant de points d’entrée. Les chercheurs considèrent dès à présent que leurs investigations ne déboucheront probablement pas sur une solution unique, mais plutôt sur une batterie de solutions. « Pour être couverts toute l’année, on peut très bien imaginer plusieurs types de pièges utilisés à des moments différents en fonction de la nature de l’activité du frelon ».
Le frelon asiatique, dont la population progresse sans que l’on puisse encore vraiment la quantifier, reste largement à découvrir. Il a trouvé dans le sud-ouest de la France des conditions climatiques favorables à son développement que rien ne vient encore contrarier. « Il n’a pas amené avec lui ses prédateurs naturels ! » notent les chercheurs. Mais rien n’exclut, pensent-ils, que la nature n’apporte elle-même des réponses, suscitant des vocations parmi la faune locale des oiseaux. Quant aux abeilles, elles commencent à apprendre à se défendre. Denis Thiéry et Nevile Maher ont observé que, pour tenter d’intimider le frelon asiatique, « elles se regroupent face à lui en balançant de l’abdomen de manière synchronisée ».
(1) Financé par VINIFLHOR (Etablissement public des filières vin, fruits et légumes, horticole) et l’Europe, ce projet est mené en collaboration avec l’Institut de recherche et développement de Gif-sur-Yvette et le Muséum d’histoire naturelle de Paris.
(2) Il est admis que le frelon asiatique a débarqué en France en 2003, à Nérac (47), d’un conteneur de poteries chinoises. Mais l’hypothèse demeure de plusieurs points d’entrée possibles, dont le port de Bordeaux.