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fleurs mars 10

Des fleurs qui s’ouvrent en mars… (2007)
F. Anchling

"Des fleurs qui s’ouvrent en mars, on a que le regard car mars n’a pas deux jours pareils"
Cette vieille maxime nous laisse rêveur alors que nous vivons un mois de février (on est déjà le 20) d'une douceur vraiment exceptionnelle dont nous souhaiterions bien entendu la continuité. Mais la nature est prudente, les boutons des jonquilles sont présents et en attente depuis déjà dix jours mais n'éclosent pas.

Ils semblent connaître et croire aux prévisions « du Calendrier des Semis et des travaux agricoles »  qui annonce « fin février la planète Mars devrait apporter une influence hivernale, renforcée début du mois de mars par l'arrivée de Mercure devant la constellation de plein hiver du Capricorne »...Qui sait ?? Rappelons nous que le 6 mars 2006, 60 centimètres de neige sont tombés en une nuit et un jour.

Mars est encore un mois d'hiver avec de fortes et brutales variations de température, de la neige et des gels nocturnes, qui s'en va comme à regret, poussé vers la sortie par un soleil qui chaque jour s'enhardit et grimpe un peu plus au-dessus de l'horizon.

Profitant de cette période de beau temps, nous avons pu vérifier chaque après-midi que les trous de vol de nos ruches étaient encombrés par de nombreuses butineuses qui se bousculaient : certaines chargées du pollen récolté sur les crocus, d'autres le ventre gonflé par l'eau pompée dans quelque flaque. C'est le signe évident que la colonie se développe et que les surfaces de couvain s'agrandissent plus ou moins selon l'âge de la reine et les réserves de provisions.

Ces nombreuses sorties ont permis aux colonies de soulager leurs vésicules rectales (voir croquis joint), de rentrer du pollen frais, de faire le ménage et de nettoyer la maison. L'abeille est ainsi le prototype d'une espèce vivante qui a développé un système valable pour protéger sa nourriture et son habitat contre des créatures voleuses, des parasites ou des micro-organismes. L'apiculteur se réjouit de retrouver toutes ses colonies en pleine forme et santé. Néanmoins il est inquiet car  le développement du couvain oblige les nourrices à puiser dans les réserves pour alimenter les larves naissantes, alors que les ressources extérieures sont encore totalement absentes. Ces réserves hivernales déjà fortement entamées à l'automne par un hiver qui n'arrivait pas, puis maintenant par plusieurs journées de sorties intempestives, seront-elles suffisantes et surtout suffisamment proches de la grappe, pour en cas de refroidissement brutal, être encore accessibles à une population qui sera toute entière absorbée par la protection et le réchauffement du couvain. Et la tentation d'ouvrir les ruches pour voir si tout est en ordre est grande. Le jeune apiculteur devra attendre que l'atmosphère soit suffisamment réchauffée pour ce faire.

Il faut être convaincu que pour exister et se développer, la colonie, dont l'ensemble des membres forme une seule entité, est influencée par son logement, son environnement, ses provisions et que chaque intervention de l'apiculteur perturbe l'harmonie qui doit exister entre tous ces facteurs et engendre un stress prolongé préjudiciable à son bien-être.

Alors questions

  • Mes abeilles sont-elles domestiques ou sauvages ?
  • Quels sont les besoins alimentaires de mes colonies ?
  • Comment contrôler avant de pouvoir ouvrir les ruches ?
  • Comment conduire la première visite de printemps ? 

L'abeille est-elle un animal sauvage ou domestique ?
C'est très certainement au néolithique que les animaux ont été domestiqués par l'homme. Il a pu affirmer sa domination sur l'animal, lorsqu'il a été capable de remplacer les silex taillés par des armes de pierre polie. C'est le renne qui paraît avoir été le premier domestiqué pour sa sociabilité et les ressources qu'il procurait : le travail, le lait, la  viande, la peau etc. En parcourant la littérature, on est surpris de constater que de très nombreux avis contraires ont été émis sur le statut de l'abeille au cours des temps : est-elle domestique ou sauvage ?

La loi française du 28 septembre 1791 prévoyait que la culture des abeilles comme celle de tous les animaux domestiques n'était  soumise à aucune restriction. 

 L'expression animaux domestiques a été introduite le 2 juillet 1850 dans le code pénal, sans toutefois donner une définition de l'animal domestique. C'est ainsi que par un arrêt du 3 mars 1876, la Cour d'Appel de Toulouse considère quant à elle que les abeilles ne sont pas des animaux domestiques. Une autre opinion de l'époque considérait qu'elles ne devenaient domestiques que lorsqu'elles constituaient des accessoires du fond sur lequel elles s'étaient fixées. La notion de domesticité semble liée à celle de propriété ; ce qui signifie qu'à l'inverse sont considérés comme sauvages les essaims en mouvement qui n'étaient pas suivis par le propriétaire. Plus près de nous, un précis de droit relatif aux animaux domestiques, édition de 1951 définit : « la domestication implique la subordination et la soumission à l'homme dans son intérêt, à son profit, en vue de son utilité ou de son agrément ». Compte tenu de toutes ces contradictions l'on peut aisément comprendre que certains jugements soient folkloriques : c'est le cas d'un propriétaire qui somme par huissier son locataire-apiculteur d'enlever ses ruches, au motif que les abeilles dépassaient les limites du terrain pour butiner. Et naturellement la presse d'ironiser et de préciser que ce locataire ne s'est pas engagé à mener ses abeilles à la corde comme au village on mène paître les vaches.

On retrouve malheureusement ces contradictions dans de nombreux ouvrages apicoles. Si les uns rappellent que l'on a cherché de tout temps à recueillir miel et cire, d'autres croient utile de préciser que l'abeille n'est pas domestique parce qu'elle n'a pas subi la moindre dégénérescence de ses aptitudes naturelles dans la lutte pour la vie : elle est simplement hébergée, protégée des froidures de nos hivers.

Actuellement, on peut dire que l'abeille est bien un animal domestique ; en effet l'actuel Code Rural -édition 2006 aussi bien dans ses articles L 214 avec alinéas que ses articles R 211et suites,  concernant la garde des animaux, et les contrôles sanitaires, considère bien l'abeille comme appartenant à des espèces domestiques.

Quels sont les besoins alimentaires de mes colonies ?
Tous les organismes ont besoin d'énergie pour survivre et travailler. C'est la nourriture qui est la base de cette énergie. Nos abeilles ont besoin d'eau, d'hydrate de carbone (les sucres) et de protéines (pollen).

Le pollen
Nous avons vu le mois dernier que le pollen ou "poussière des fleurs" est la nourriture de base pour le développement de la colonie. Le pollen fournit les protéines, les graisses, les minéraux et les vitamines. La composition et la teneur en acides aminés essentiels ainsi qu'en vitamines et substances antibiotiques, tous indispensables, varient fortement suivant l'origine florale.

En fonction de leur origine les grains de pollen se différencient par leur aspect comme par leur valeur nourricière. Les pollens de crocus, saules, arbres fruitiers, colzas et bruyères sont particulièrement riches ; par contre ceux d'épicéa, de pin, de noisetier ou d'aulne sont  relativement pauvres. Malgré leur peu de valeur, en cas de disette, par précaution, ils sont quand même récoltés par les abeilles pour assurer la continuité de l'approvisionnement.

Pour assimiler 10 grammes de protéines, une colonie doit consommer 48 grammes de pollen contenant  30 % de protéines. Si ce pourcentage baisse de 10 %, la quantité de pollen consommé passera à 72 grammes pour maintenir un niveau d'assimilation correct. En période de miellée, cette teneur en protéines doit être d'au moins 25 % à 30 % pour maintenir un taux de protéines dans le corps des abeilles  compatible avec les efforts qui lui sont alors demandés.

Les grains de pollen ont plus ou moins une forme de boule ; leur grosseur varie de 5 à 200 µm, la majeure partie se situant entre 20 et 60 µm. Le grain de pollen est entouré d'une enveloppe extérieure dure nommée l'exine qui protège les richesses alimentaires du grain. L'exine par sa forme spécifique trahit l'origine florale du grain; on utilise cette propriété dans l'analyse microscopique des pollens : en paléontologie, pour confirmer l'origine d'un miel et dans les recherches en criminologie. Une pelote de 10 mg peut contenir plusieurs milliards de grains de pollen. Pour récolter cette quantité, l'abeille doit visiter un très grand nombre de fleurs qui ainsi sont pollinisées. En règle générale, l'abeille est fidèle à une sorte de fleurs, bien que quelquefois on ait l'impression qu'elle n'a pas répondu à cet objectif et construit une pelote de différentes couleurs.

 Les corbeilles de pollen apportées à la ruche sont vidées dans les cellules à proximité immédiate du nid à couvain et deviennent du pain d'abeilles. Pendant le stockage les abeilles préposées à ce travail ajoutent des extraits de leurs glandes hypopharyngiennes qui permettent une pré-digestion et la conservation du pollen.

Pour récolter un kilo de pollen les butineuses font environ 50 000 sorties. Une colonie a besoin de 25 kg de pollen par an pour la seule nourriture des larves ; que l'on peut porter à 50 kilos si l'on y ajoute  la consommation des abeilles adultes.

Pendant les trois premiers jours de sa vie, la larve est nourrie avec une bouillie larvaire dont la composition est similaire à celle de la gelée royale. Par la suite les nourrices incorporent progressivement du pollen et du miel en fonction de l'âge de la larve. On estime qu'elles consomment entre 50 et 125 mg de pollen entre le 4e et le 5e jour. Après l'éclosion pendant les 9 premiers jours de sa vie, la jeune abeille consomme encore du pollen, environ 60 mg pour compléter sa croissance et le développement des glandes hypopharyngiennes.

La maturité sexuelle des mâles repose sur une importante consommation de pollen lors des huit premiers jours de leur stade adulte.

La récolte du pollen est variable tout au long de l'année, selon les besoins nutritionnels spécifiques de la colonie liés par exemple à la ponte, à la reproduction chez le mâle, à la production de gelée royale etc. Comment l'abeille est-elle informée des besoins en pollen de la colonie ? Il est admis que les nourrices donnent aux butineuses un peu d'extrait de leur glande hypopharyngienne, ce qui leur permettrait d'estimer la valeur du pollen ayant servi de base et de conclure quels seraient les besoins immédiats de la colonie.

Il y aurait encore beaucoup de choses à écrire au sujet de la récolte du pollen. Nous en reparlerons le mois prochain.

Les sucres
Les sucres stockés sous forme de miel représentent une part importante de l'alimentation des abeilles et sont principalement utilisés pour assumer les dépenses énergétiques en fonction de l'activité. Pendant la période hivernale la production de chaleur pour maintenir le couvain à une température de 34° est coûteuse en consommation des réserves. Dans nos régions une colonie consomme de l'automne à la fin de l'hiver de 20 à 25 kg de miel. Si la consommation reste inférieure au kg en décembre et janvier, elle augmente rapidement avec le démarrage de la ponte pour atteindre 9 à 10 kg en avril. Si les conditions atmosphériques n'ont pas permis de stocker suffisamment de nectar, il y a danger de pénurie. On estime la consommation  annuelle d'une colonie pour ses propres besoins à 75 kg par an.

L'eau
L'eau est indispensable au développement et à la croissance des organismes vivants. La teneur en eau des abeilles fraîchement écloses est relativement haute, puis baisse durant le premier jour de vie pour se situer aux alentour de 70 %. L'abeille dispose d'hormones régulatrices de l'eau qui tendent selon les cas à en augmenter ou à en abaisser la consommation. C'est le sang qui sert de tampon dans les variations d'hydratation de l'organisme de l'abeille et également de l'intestin. L'importance de l'eau dans l'activité d'élevage de la colonie a clairement été mise en évidence par les chercheurs. Dans la ruche, les nourrices renouvellent constamment le stock de nourriture des cellules  en maintenant ainsi un certain taux d'humidité. Au laboratoire pour éviter une trop grande dessiccation de la nourriture, l'humidité relative en étuve doit être maintenue à 26 %.

En cas de surchauffe du nid à couvain, la ventilation permet l'évaporation rapide de l'eau apportée par les butineuses déposée en flaques nombreuses puis étalées en pellicule. Certaines abeilles qui paraissent immobiles étalent en effet par des coups de langue, les gouttelettes en mince film, ce qui améliore les phénomènes d'évaporation. Lindauer a montré que des groupes d'ouvrières spécialisées dans l'apport d'eau participent à ces coups de langue et à l'évaporation. On a également montré qu'il existe une coordination entre les pourvoyeuses d'eau et celles chargées de la répartir dans la ruche. Pour élever 100 larves, il faut une quantité d'eau qui mobilisera 5 pourvoyeuses pendant 8 heures. En cas de besoin, celles-ci pourront mobiliser par une danse très intense de nouvelles congénères. Il est possible de comprendre ce que vit la colonie en observant et en analysant les signes  extérieurs.

Il est indispensable d'accepter une évidence dérangeante : le rôle de l'apiculteur n'est pas d'ordonner à ses colonies une marche à suivre, mais d'accompagner leur développement en éliminant tout ce qui pourrait l'entraver ou le ralentir. De nombreuses études scientifiques ont permis de conclure avec certitude que "l'unité abeille" n'acceptait d'aucune façon la modification de son horloge biologique, uniquement réglée par l'harmonie environnementale de son logement. L'apiculteur doit vivre comme ses colonies, au rythme des floraisons qui constituent le seul calendrier vraiment opérationnel dans la conduite d'un rucher. En attendant que le beau temps et la chaleur lui permettent d'ouvrir ses ruches, l'apiculteur dispose de plusieurs possibilités de voir et de comprendre ce que vit la colonie.

Par le dessus
Il est évident et compréhensible qu'un jeune apiculteur soit inquiet et veuille sans cesse contrôler la marche de sa colonie et suivre son développement. Pour observer  la vie de la colonie sans la déranger par des ouvertures répétées du couvre-cadre, il est conseillé depuis un certain temps, de couvrir le dessus des ruches, par une feuille de plastique transparent qui tient lieu de couvre-cadres. Ces feuilles de plastique transparent souple sont disponibles chez  les vendeurs de spécialités apicoles aux dimensions standard. Pour ma part je préfère insérer cette feuille dans un cadre aux dimensions extérieures de la ruche. Pourquoi ? Ce plastique souple repose directement sur les cadres et nos protégées pour se frayer un passage sont obligées de construire entre le dessus des cadres et le plastique de petits supports de cire et propolis qui sont détruits à chaque ouverture et finissent par opacifier le couvre-cadre.

Pour construire mon couvre-cadre, j'utilise des tasseaux de 45 x 22 dans lesquels je creuse une feuillure de 6 mm de profondeur qui servira à coincer la feuille de plastique. La rainure sera creusée de sorte que la distance entre elle et le dessus des cadres soit comprise entre 6 mm (si la distance est plus faible, les abeilles propolisent) et 10 mm (si la distance est plus grande les abeilles construisent), puis j'assemble  le tout à mi-épaisseur. Ce couvre-cadre est réversible. En situation permanente, la feuille transparente est positionnée entre 6 et 8 mm au-dessus des cadres - lorsque j'envisage de poser un pain de candi sur les cadres ou une pelote de pollen comme cela vous a été décrit le mois dernier, je retourne mon couvre cadre et le vide de 40 mm est largement suffisant. En hiver je pose une plaque de polyuréthane de 40 mm d'épaisseur à l'intérieur du couvre-cadre de façon à assurer une protection suffisante pour conserver la chaleur de la colonie.


Par le dessous

A l'heure actuelle, rares sont les ruches qui ne sont pas équipées d'un plateau grillagé. À partir de la mi-janvier, les langes sont posés dans les plateaux, ainsi l'on peut vérifier une fois encore le nombre de cadres occupés par la grappe d'après les rangées de déchets déposés sur le lange. La couleur des déchets trahira l'âge des cires et donc la nécessité de les renouveler. Vous y découvrirez aussi des traces d'humidité provoquées par l'élevage du couvain. Peut-être même pourra-t-on apercevoir des œufs que la reine aura perdu ? L'examen attentif des dépôts fournit une mine de renseignements à exploiter, entre autres la présence de varroas, des morceaux de pollen fraîchement récoltés, les petits bâtonnets noirs des fèces d'une larve de fausse teigne sortie de son hivernage, des morceaux de  bois trahissant la présence d'une musaraigne profitant du gîte et du couvert et même malheureusement les prémices d'une maladie.

 Au trou de vol
C'est par cette petite ouverture que la colonie nous transmet son message, ses souhaits et ses besoins. C'est par là qu'elle respire et rejette tout ce qu'elle ne supporte pas dans sa maison. C'est l'endroit où par son attitude elle nous fait connaître son état de santé, ses souffrances et aussi si elle a besoin de l'aide de l'apiculteur. D'ailleurs toute l'année, à chaque arrivée au rucher et avant toute intervention, il est plus utile de commencer par une visite générale des trous de vol, pour se faire une idée par comparaison de l'activité globale. Les premières constatations que nous pourrons faire vont orienter nos réflexions et permettre de planifier une intervention qui sera ensuite beaucoup plus rapide.

Quelques repères tirés d'un ouvrage étonnant que tout apiculteur devrait avoir avec lui lorsqu'il visite son rucher  (Au Trou de Vol - en vente à la librairie du Syndicat) :

  • les butineuses rentrent de grosses pelotes de pollen : tout va bien, l'élevage a commencé, c'est bon signe.
  • La colonie ne rentre pas de pollen ou seulement de toutes petites pelotes : à surveiller, si cette situation perdure, elle est peut-être orpheline (il faudra attendre le mois d'avril) ou malade (à contrôler de suite).
  • L'on observe quelquefois sur les planches d'envol quelques abeilles plaquées sur la planche et l'abdomen relevé vers le ciel : elle battent le  rappel en émettant une phéromone pour permettre aux nouvelles de retrouver leur maison.
  • Il peut arriver qu'il n'y ait aucune activité : sans hésitation il faut ouvrir la ruche. Plusieurs raisons peuvent expliquer le manque d'activité d'une  ruche ; peut-être la colonie est morte de faim ou de faiblesse, la grappe était certainement trop petite pour affronter les rigueurs de l'hiver. On trouvera alors fréquemment une petite plaque de couvain recouverte d'abeilles mortes de faim ; ne pouvant quitter le couvain elles n'avaient   plus les moyens de s'alimenter. Lorsque la ruche est totalement vidée de ces abeilles et qu'elle contient des cadres de provisions intactes,  c'est que varroa a pris le dessus et tué la colonie.

Une ruche morte sera évacuée immédiatement pour éviter tout pillage. A l'atelier il faudra rechercher la cause du drame. Les cadres seront découpés pour être fondus et tout le matériel sera minutieusement désinfecté avant d'être réutilisé.

Vous trouverez dans l'ouvrage précité de très nombreux indices concernant les multiples incidents que l'on peut rencontrer.


L'eau élixir de vie

Lorsque le rucher commence à s'éveiller, il est souvent choquant de voir des abeilles assises autour d'une flaque d'eau ou en d'autres endroits humides, même sur le fumier, pour chercher de l'eau. Mais qu'en font-elles ?

C'est justement au printemps que les colonies ont le plus besoin d'eau, car le nourrissage des larves contraint les nourrices à dissoudre le miel en réserve qui est cristallisé. De même quand elles mangent du pollen pour préparer la bouillie larvaire, elles ont besoin d'eau pour le digérer et ainsi éviter la constipation; enfin, les abeilles qui ne sont pas nourrices ont elles aussi un petit besoin d'eau.

En fin d'hiver, la colonie couvre ses besoins avec l'eau de condensation récupérée dans la ruche ; celle-ci est libérée par la respiration qui correspond à environ 0,5 ml par gramme de nourriture consommée. Elle retombe le long des parois froides de la ruche.

En été, le nectar apporté à la ruche contient un  pourcentage d’eau important que les ventileuses doivent éliminer et qui est récupéré.

En mars, avec l'augmentation des surfaces de couvain, l'eau de condensation ne suffit plus. Les périodes froides font obstacle à la sortie des butineuses et le manque de miellée va rapidement conduire à une pénurie d'eau, ce qui oblige les porteuses d'eau à sortir. Malheureusement, l'eau est encore très froide et souvent les pourvoyeuses, paralysées, meurent en route et sont perdues pour une population déjà très réduite.

Des observations scientifiques ont étudié les problèmes de la consommation d'eau et ont noté qu'une porteuse d'eau fait en moyenne 50 sorties par jour pour chaque fois 25 mg d'eau. Cela signifie un apport journalier d'environ 1,25 gramme par abeille. Il faut compter cinq pourvoyeuses d'eau pour cent larves. On calcule en moyenne une consommation de 0,15 litres par jour et par ruche, quantité qui peut atteindre 0,5 litre en plein été, ce qui mobilise 450 porteuses d’eau. Si les butineuses rentrent suffisamment de nectar, il n’y a pas besoin d’eau.

Le travail des porteuses d'eau est un travail à haut risque. Les observations conduites par Woyciechowski  sur différents ruchers en divers emplacements ont clairement démontré que la vie des pourvoyeuses d’eau est nettement plus courte que celle des butineuses. Lors d’une première expérience, des butineuses et des pourvoyeuses marquées qui s’alimentaient à des sources respectives de sirop et d’eau  ont été capturées et relâchées à 300 mètres de leur ruche ; 20 secondes plus tard, 91 % des butineuses sont revenues à la ruche mais seulement 7 % des pourvoyeuses d’eau.

Une deuxième expérience qui avait pour but de contrôler la quantité de nourriture, c’est-à-dire le carburant emporté par les ouvrières à leur départ de la ruche ont donné les résultats suivants : le jabot des butineuses contenait en moyenne 0,134 mg de matière combustible et celui des pourvoyeuses 0,634 mg. Cela prouve très nettement la pénibilité du travail des porteuses d’eau.

Parmi tous les paramètres qui permettent à une ruche de vivre en harmonie, une source d'eau qui protège la vie des abeilles est primordiale. Les abeilles préfèrent les eaux stagnantes réchauffées. Elles privilégient les eaux acides et enrichies en minéraux. Très souvent elles préfèrent les eaux sales à celle du robinet. Si dans les environs du rucher elles trouvent des ruisseaux, des mares, ou d'autres eaux stagnantes, ceux-ci seront plus fréquentés que les réservoirs d'eau claire. Les abreuvoirs doivent être aussi proches que possible du rucher. En mars une bonne colonie qui élève a besoin de 125 à 200 grammes d'eau par jour, ce qui représente 4000 sorties par mois. C'est bien pourquoi la source doit être le plus près possible du rucher, à environ 30 mètres pour réduire les pertes de porteuses d'eau qui sont en danger permanent. L'alimentation en eau doit être protégée ; les abreuvoirs seront couverts afin d’éviter une pollution de l’eau, protégés des vents dominants et ouverts au sud. Les récipients trop profonds invitent les oiseaux au bain.

Chaque apiculteur peut être conscient que la mare ou la piscine du voisin, même si elle représente une source d'eau formidable, conduira à des disputes ou des procès. Pour éviter de tels incidents, il est  prudent d'installer des abreuvoirs sur son propre terrain.

Quelques conseils : installer les abreuvoirs dès fin février ou tout début mars  pour que les abeilles n'aient pas pris le chemin vers d'autres endroits et veiller à ce qu’ils ne soient jamais à sec ; les abeilles retourneraient chez le voisin.

Les suggestions d'autrefois pour attirer les abeilles à l’abreuvoir avec de l'eau sucrée n'ont pas lieu d'être ; la plupart du temps, si l'emplacement est bien choisi, ces préparatifs ne sont pas nécessaires. Tout au plus peut-on ajouter un peu de sel ou d'ammoniac.


La visite de printemps

C'est une opération capitale au démarrage de l'année apicole. Surtout ce printemps car les colonies ont déjà beaucoup travaillé depuis début février. Comment ont-elles pu assumer un retour du froid ?

Pourquoi ? Au début du printemps l'apiculteur ignore totalement l'état de ses colonies ; leur histoire, leur avenir. Les observations au trou de vol, l'examen des langes, les mouvements observés par le couvre-cadre ne sont plus suffisants pour connaître avec exactitude les capacités de la colonie à se bien développer.

Pour cela il nous faut : vérifier l'état sanitaire de la colonie, c’est le plus important.

Lorsqu'on ouvre une ruche, elle doit dégager une bonne odeur : mélange de miel, de cire et de propolis. Toute autre odeur est suspecte et doit nous faire penser à une maladie pour laquelle il faudra prévenir le spécialiste apicole du syndicat.

Dans le cas où des traces de déjection souilleraient les parois ou la planche d'envol, prévenir le spécialiste apicole. C'est un signe de maladie qui se traite facilement.

Cette visite sera aussi l'occasion d'éliminer tous les cadres anciens, noirs ou moisis et de nettoyer les planchers ; s'il est amovible, en le remplaçant par un plancher propre, nettoyé et désinfecté à la flamme. Les cadres éliminés seront remplacés par des cadres construits. Il est trop tôt pour mettre en place de cires gaufrées.

Et toutes les informations recueillies pendant cette visite doivent être un inscrites  sur la fiche individuelle du suivi de la ruche : le nombre de cadres de couvain, de provisions, de pollen ou vides. Il est très important de noter toutes nos interventions afin de suivre l'évolution de la colonie et de pouvoir programmer nos interventions futures avant d'ouvrir les ruches.

Ne pas oublier non plus de renseigner le registre d'élevage : date de visite, RAS ou constatations éventuelles, visite du spécialiste apicole etc…

Vérifier l'état et le volume des provisions
Nous savons que mars et surtout avril sont des mois traîtres ; les réserves doivent être suffisantes pour que la colonie ne se sente jamais dans le besoin en cas de mauvais temps prolongé, sinon elle bloquerait immédiatement la ponte, ce qui serait préjudiciable à son développement. Ces réserves doivent toujours représenter huit à dix kg de miel soit l'équivalent de 3 à 4 cadres Dadant operculés. À partir du moment où les cerisiers sont en fleurs, l'apiculteur peut être rassuré ; les rentrées de nectar devraient suffire à l'alimentation de la colonie. Les réserves de pollen  ne devraient poser aucun souci, à vérifier quand même. En cas de manque il faudra nourrir.


Vérifier l'état de la reine et du couvain

Un couvain compact comprenant des cellules operculées régulièrement et légèrement bombées vers le haut, des larves et des œufs, sont la garantie d'une reine en forme, capable de conduire son peuple à la réussite.

Si le couvain est dispersé ou en mosaïque, alors attention la reine est  âgée, usée ou malade. Cette colonie est à surveiller ; pour l'instant il est impossible d'intervenir, sauf en cas de maladie. Dans ce cas il est impératif de prévenir le spécialiste apicole.
Il arrive aussi que l'on ne trouve que du couvain de mâle, nous avons affaire à une colonie bourdonneuse.

Si les œufs sont disséminés et qu'on en trouve quelquefois plusieurs dans la même alvéole, on dit que la colonie est bourdonneuse. Lorsque la phéromone royale est absente, certaines ouvrières développent leurs ovaires et pondent alors des œufs infertiles car non fécondés. Une colonie bourdonneuse doit être éliminée car on ne peut rien en faire. On l'emporte à une centaine de mètres du rucher et on  secoue  les abeilles par terre. Celles qui peuvent voler retourneront vers le rucher et mendieront  leur acceptation dans les autres ruches. L'éloignement du rucher est important car les abeilles pondeuses ne peuvent plus voler et ne risquent pas d'apporter le désordre dans les autres colonies.

Lorsqu’une colonie est sans activité alors que des abeilles encombrent la ruche, il faut  ausculter les cadres avec beaucoup d'attention : la colonie est orpheline quand elle a perdu sa reine par mort prématurée, accident ou infertilité et que les ouvrières ne peuvent plus la remplacer, parce qu'il y a plus de jeunes larves pour ce faire. Si les œufs sont disposés régulièrement au fond des alvéoles, la mère est encore présente. Il faut la rechercher et l'éliminer. Les abeilles peuvent être récupérées  pour renforcer une autre colonie.

 
Comment procéder ?

Tout d'abord, il faudra choisir une journée calme (sans vent) ; chaude, (au minimum 17° à l'ombre). Il faudra agir rapidement pour ne pas refroidir le couvain. Prévoir une couverture à rouler, en remplacement du couvre-cadre, pour ne dégager que l'espace nécessaire au prélèvement de chaque cadre et ainsi éviter au maximum les déperditions de chaleur. Tout le matériel utile sera préparé à l'avance après mûre réflexion : plateaux de rechange, cadres construits, caisse pour les cadres éliminés, éventuellement une ruche pour le transvasement d'une colonie dans un habitat délabré ; un enfumoir rempli et allumé, une lampe à souder et du petit matériel (spatule, lève-cadre, clous et marteau, punaises multicolores, etc.

Deux  bouffées de fumée par le trou de vol mettront la colonie en bruissement; deux minutes plus tard on décolle le couvre cadre et un peu de fumée fera plonger dans les alvéoles les retardataires. Mais attention, la fumée doit être utilisée pour maîtriser l'agressivité d'un peuple dérangé dans sa quiétude mais non pas pour l'intoxiquer. L'enfumoir doit rester à portée de main pour de temps à autre cracher une petite  bouffée de fumée froide, mais non pour entourer la ruche d'un nuage digne des pires brouillards londoniens.

La visite commence de préférence du côté opposé à l'emplacement de la grappe. Le premier cadre de rive est retiré ; il est bien souvent vide de toute provision et parfois humide ou même moisi. Il sera enlevé et réformé. Et la visite continue cadre par cadre, chacun étant décalé d'un cran. Les cadres vides et noirs sont éliminés, ceux qui contiennent du miel ou des pollens sont mis à la place des cadres évacués. Les cadres suivants subiront le même contrôle et le volume de provisions sera estimé. Les cadres de couvain seront examinés avec une très grande attention et rapidement pour éviter le refroidissement des larves. Il ne faut pas oublier que le micro-climat entourant le  couvain est de 35° et que notre intervention détruit ce microclimat. Les couveuses et les butineuses mettront vingt heures pour le reconstituer, toutes affaires cessantes. Notre intervention constitue un stress pour la colonie et détruit son harmonie, la précipitant en situation de détresse et donc de vulnérabilité.

Dans le même temps on veillera à réorganiser l'habitat. Le couvain sera bordé de chaque côté par un cadre construit, vide pour l'extension du nid et de deux cadres de miel et pollen. En rive, on positionnera un cadre avec une amorce de cire de mâle, pour permettre à la colonie d'élever des mâles qui seront matures lorsque les reines chercheront à se faire féconder. L'espace restant sera provisoirement neutralisé par une partition. Ce n'est qu'en fonction de l'extension du volume occupé par le couvain que cet espace sera garni de cadres. Et nous préconisons de remplacer le couvre-cadre par une plaque de verre ou de plexiglas  ou simplement par une feuille PVC transparente qui permettra de suivre par tous les temps, aussi fréquemment que souhaité, sans ouvrir la ruche, donc sans détruire son harmonie, l'extension du nid à couvain et de savoir sans hésitation quand augmenter le volume de la ruche et aussi quand poser la première hausse.

Conditions requises pour une bonne production de miel
L'objectif de l'apiculteur est de produire du miel. Pour cela, il faut que soient réunies au moment opportun trois conditions afin de profiter des miellées proposées par la nature : une grande quantité de butineuses ; de grandes surfaces de fleurs mellifères; des conditions climatiques favorables à la montée du nectar. Si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, la récolte de miel sera faible ou nulle. Si l'apiculteur ne peut intervenir sur la dernière des conditions, il peut par contre veiller à ce qu'une quantité maximale de butineuses soit présente au moment voulu.

Par la visite de printemps, l'apiculteur connaît maintenant les capacités de chacune de ses colonies. Il lui appartient de les veiller et de les aider à générer ce maximum de butineuses pour profiter de la miellée principale. Connaître l'époque de cette miellée est d'un grand intérêt (par l'observation et les dates notées (comme expliqué précédemment). Cela permet d'anticiper la réaction de la reine ; sachant qu'il faut compter vingt et un jours de l’œuf à l'insecte parfait et encore une fois 21 jours pour faire de la jeune abeille une butineuse, c'est quarante-deux jours avant la miellée principale que la reine devra pondre un maximum d'oeufs. Et pour cela, la colonie devra regorger de nourriture et de pollen car en cas de disette il n'y aura que peu de ponte.

En souhaitant que toutes vos colonies aient bien hiverné.
F. Anchling