Compte rendu d’un voyage en Afrique - L’apiculture kenyane en mutation (2007)
A. Romet
Avec l'aimable autorisation de la revue Abeilles et Fleurs
Comme la France, dont il a une superficie comparable, le Kenya jouit d’une très grande variété de climats : de haute altitude, de hauts plateaux de part et d’autre de la Rift Valley, plaines côtières le long de l’océan Indien, semi-aride au nord-est près de la Somalie et désertique au nord près de l’Ethiopie. Selon le ministère de l’Agriculture, l’apiculture pourrait être pratiquée sur environ 80 % du territoire, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Quatre races d’abeilles sont présentes, avec une prédominance de la Scutellata dont la réputation de grande agressivité n’est pas usurpée ; rares sont les apiculteurs qui se hasardent à ouvrir une ruche dans la journée ; la Littorea le long de la Côte lui est très semblable par sa morphologie et son comportement. Vers 3 000 mètres sur les pentes froides et humides des monts Kenya et Elgon subsiste la plus grosse abeille d’Afrique, la Monticola, dont certains disent qu’elle est relativement douce. Proche de la Somalie, la plus petite et la plus jaune, la Yemenetica, fait preuve d’une grande douceur.
La variété des climats entraîne une grande diversité de la végétation avec de très nombreuses espèces mellifères : les forêts tropicales d’origine ont été remplacées par de nombreuses petites forêts d’eucalyptus et de grevillea à croissance rapide et abondante floraison mellifère ; les crotons sont surtout présents dans les zones d’altitude et les acacias abondants à toutes les altitudes jusque sur les sols les plus arides ; les callistemons (bottle brush) rouges et blancs bien qu’arbustes d’ornement mais à floraison quasi permanente sont aussi des sources importantes de nectar. Comme dans tous les pays africains, les abeilles manquent souvent de pollen, ce qui les pousse à recueillir sur les marchés les farines de maïs, manioc et même de riz. Grâce à sa flore, le Kenya devrait être un important pays producteur de miel.
La ruche kenyane qui s’est répandue dans l’ensemble des pays sub-sahariens, où elle a toujours du succès, n’a pas apporté au Kenya les résultats escomptés en production de miel. De nombreux apiculteurs ont conservé la « log hive » (tronc d’arbre) qui est reconnue comme meilleure productrice de miel même si elle n’est pas aussi facile à manipuler ; rien d’étonnant, quand on voit la façon dont les kenyanes sont conduites : 5 minuscules entrées circulaires sur un petit côté qui sont utilisées par moins de 10 % des butineuses, les autres préférant entrer par le toit, lequel est souvent surélevé pour leur faciliter la tâche ! Mais les oblige à consommer davantage tout au long des nuits et des matinées froides.
La Scutellata est une abeille frileuse qui ne quitte sa ruche que lorsque la température atteint 15 °C ; c’est ainsi que pendant les 20 premiers jours du mois de septembre, dans la banlieue de Nairobi, à 1 800 mètres d’altitude, sous l’équateur, les butineuses sont plus souvent sorties à 9 ou 10 heures du matin qu’à 6 heures ; c’est dire que les journées de butinage sont nettement raccourcies ; septembre n’est pas un mois particulièrement froid puisqu’il fait partie d’une petite saison sèche ; l’immense longueur de la ruche kenyane avec ses 27 barrettes n’est pas idéale pour tenir le couvain au chaud. L’ensemble de ces facteurs défavorables a finalement poussé un certain nombre d’associations d’apiculteurs à se diriger vers la Langstroth, malheureusement en ordre dispersé, les uns choisissant une hausse demi-Langstroth, un peu ridicule, d’autres la hausse Dadant comme nous l’avons fait au Cameroun et également utilisée en Afrique du Sud avec Scutellata (voir Abeilles et Fleurs n° 876, déc. 2001) et d’autres enfin la Langstroth intégrale peu adaptée à la petite taille de l’abeille africaine.
C’est une véritable fièvre « Langstroth » qui s’est emparée du Kenya : « Honey Care », entreprise à but social, soutenue par de nombreuses ONG internationales, avec ses 20 000 ruches vendues aux fermiers dans toutes les régions du pays, prétend dans sa publicité avoir fait passer la production nationale de miel consommé au Kenya de 10 à 90 %. L’ICIPE (Centre international de la physiologie et de l’écologie des insectes) gère aussi 5 000 ruches distribuées à 350 agriculteurs et bien d’autres associations (souvent confessionnelles, chrétiennes et islamiques) proposent aussi cette ruche. Le problème majeur reste la formation des apiculteurs qui est partout très basique ; la majorité d’entre eux sont réduits au rôle de « gardiens de ruches ». La récolte, l’extraction et le conditionnement du miel leur échappent ; les spécialistes des diverses associations passent récolter le miel ; parfois, là où le « croton » est présent, le miel est déjà cristallisé et oblige à la destruction des rayons qui seront ramenés à la miellerie pour y être fondus. Le bénéfice pour le fermier n’est pas très grand. L’activité est surtout rentable pour l’association. L’autre problème est le manque d’extracteurs ; il est question d’en construire un modèle d’un prix abordable (200 euros) à Nairobi mais les protagonistes rencontrent beaucoup de difficultés à s’entendre, si bien que le prototype tarde à voir le jour.
La découverte intéressante qui a été faite par l’équipe du professeur Muli, de l’ICIPE, est la possibilité avec Scutellata et Monticola de lancer un élevage de reines ou une production de gelée royale sans passer par un starter, en introduisant directement le cadre de greffage dans la hausse séparée du corps par une grille à reine. Comme au Kenya toutes les ruches de type Langstroth sont livrées avec grille à reine fabriquée localement, pas de problème ; nous nous sommes empressés de tenter l’essai, sans nourrissement, ni apport de couvain ni de pollen dans la hausse ; effectivement, 4 cellules sur 12 ont été acceptées ; le pourcentage d’acceptation selon le chercheur monte à 74 % avec nourrissement préalable ; la production de gelée est, selon lui, très importante et pourrait, vu la facilité de sa mise en route, devenir une activité apicole rentable dans les pays africains (publication dans Journal of Apicultural Research 44 11/10/05). De plus Scutellata est une « propolisatrice » de premier ordre qui a tendance à boucher toutes les entrées ; un système de deux ouvertures latérales placées entre le corps et la hausse pendant la saison des pluies permet une récolte trois fois supérieure à celle obtenue avec une grille à propolis. Cette propolis est utilisée au Kenya par de nombreux pharmaciens fabricants de
pommades et autres onguents dont la population est très « friande »...
A. Romet
Apiflordev et APSF