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Acide oxalique par dégouttement : essais 1999/2000 et recommandations d'utilisation pour l'Europe centrale
J.D. Charrière, A. Imdorf
Centre de recherches apicoles FAM Liebefeld, CH - 303 Berne - SUISSE
Cet article est un compte-rendu d'expérience. Nous rappellons que seuls deux types de lanières sont autorisées en France
Le traitement hivernal contre Varroa est une étape primordiale dans certaines stratégies de lutte alternative contre ce parasite. Cette intervention permet d'éliminer la majeure partie des acariens hivernants qui constitueraient la population de base de l'année suivante. Ces Varroa ont survécu aux traitements réalisés en automne ou proviennent de réinfestation intervenues ultérieurement.
L'application par dégouttement d'une solution sucrée d'acide oxalique est une possibilité intéressante de réaliser le traitement hivernal car le traitement est simple, rapide, bon marché et très efficace contre Varroa dans les colonies sans couvain [8]. Dans certaines conditions cependant, le traitement engendre un affaiblissement des colonies au printemps. Dans le cadre d'un projet européen, des essais ont été réalisés en Suisse et dans d'autres pays d'Europe afin de trouver une meilleure formulation de la solution de traitement. Sur la base de nos résultats, que nous présentons ici, ainsi que ceux obtenus par les autres instituts européens, nous pouvons présenter les recommandations d'utilisation à l'usage des apiculteurs d'Europe centrale.
Les solutiions d'acide oxalique (AO) téstées
Les essais réalisés l'année passée ont démontré que la solution dite "italienne", correspondant à une solution faite de 60 g AO dihydrate par litre de sirop 1:1, est très efficace contre Varroa mais mal tolérée par les abeilles. Une solution présentant une teneur en acide oxalique inférieure de moitié (30 g AO) démontrait une efficacité déclinante et variable d'uneruche à l'autre. Nous avons pu montrer en outre que l'adjonction de sucre dans la solution de dégouttement est indispensable pour atteindre une bonne efficacité de traitement [3].
Pour les essais 1999/2000 nous avons choisi différentes solutions présentant une concentration en acide oxalique inférieure à la solution "italienne" mais avec un minimum de 30 g AO. Une solution contenant une teneur réduite en sucre a également été intégrée dans l'essai, différents observateurs rapportant une meilleure tolérance par les abeilles d'une telle solution.Les colonies ont été traitées avec une des cinq solutions suivantes, fraîchement préparées:
- 0 g AO dihyd./ litre de sirop de sucre 1:1 (W sucre / W eau)
- 30 g AO dihyd./ litre de sirop de sucre 1:1
- 37 g AO dihyd./ litre de sirop de sucre 1:1
- 45 g AO dihyd./ litre de sirop de sucre 1:1
- 45 g AO dihyd./ litre de sirop de sucre 1:2
La première solution ne contient pas d'AO et sert de solution de contrôle dans nos essais. La solution à 45 g AO par litre de sirop 1:1 correspond à la formulation que nous avons conseillée provisoirement l'année passée [3].
Ce sont au total 200 colonies réparties sur 10 ruchers de différentes régions de Suisse qui ont participés à cet essai. Quatre ruchers disposaient de ruches de type Dadant Blatt et les autres de ruches suisses. Toutes sont équipées d'un fond grillagé et d'un lange permettant le comptage des Varroa. Les colonies d'essai ont subi un traitement estival contre Varroa au moyen d'acide formique ou de thymol.
Le dosage appliqué est de 5 à 6 ml de solution par ruelle de cadre occupé par les abeilles que l'on déverse directement sur les abeilles entre les cadres. Les traitements sont intervenus selon les ruchers entre le 29 octobre et le 9 décembre 1999 par des températures ambiantes supérieures à 4° C. L'acide oxalique n'agissant pas sur les Varroa dans le couvain, il est primordial pour l'efficacité du traitement que les colonies soient exemptes de couvain lors de l'application.
Paramètres évalués - Efficacité des traitements
Afin de connaître le nombre de Varroa ayant survécu au traitement à l'acide oxalique par dégouttement, un traitement de contrôle a été effectué au plus tôt 3 semaines après le traitement par dégouttement. Nous avons recouru pour cela à une application soit de Perizin, soit d'acide oxalique par pulvérisation [6]. Le nombre de Varroa tombés sur les fonds suite auxtraitements par dégouttement et de contrôle est considéré être 100%.
Hivernage et développement printanier des conlonies
Un facteur déterminant pour l'évaluation de l'application par dégouttement étant la tolérance du traitement par les abeilles, nous avons estimé sur cinq ruchers la force des colonies en automne puis au printemps au moyen de la méthode de Liebefeld [5]. Sur le rucher "Wohlei", nous avons réalisé trois estimations en début d'année pour enregistrer l'évolution printanière des colonies.
Quelle sont nos observation ? Efficacité redoutable contre varroa !
Les efficacités moyennes qu'il a été possible d'atteindre avec les différentes solutions sont présentées dans le tableau ci-dessous
Les résultats obtenus sur le rucher de Grangeneuve doivent être analysés avec prudence. Le nombre important de Varroa mesuré suite au traitement de contrôle font craindre une réinfestation des colonies durant la période de 6 semaines entre le traitement par dégouttement (15.11.99) et celui de contrôle (26.12.99)
Les solutions d'acide oxalique à 30, 37 et 45 g d'AO par litre de sirop 1:1 présentent sur tous les ruchers une efficacité supérieure à 90 %. Sur les 146 ruches traitées avec une de ces solutions (Grangeneuve exclu), seules colonies présentaient plus de 50 Varroa résiduels. Cette valeur de 50 acariens ne devrait pas être dépassée afin de ne pas souffrir de varroose jusqu'au mois d'août suivant. On peut supposer que, dans ces quatre colonies, de petites quantités de couvain subsistaient lors du traitement par dégouttement. Les différences d'efficacité entre ces trois variantes ne sont pas significatives mais on observe toutefois une légère diminution de l'efficacité de la solution à 30 g par rapport aux deux autres. Ceci laisse supposer que cette concentration est à la limite inférieure et que l'on ne peut pas réduire plus le dosage au risque diminuer sensiblement l'efficacité du traitement. Ces observations confirment les résultats que nous avions obtenus en 1998 avec cette même solution (diminution et plus grande variabilité de l'efficacité) de même que ceux de Büchler [1].
La diminution de la teneur en sucre dans la cinquième solution testée semble avoir une influence négative sur l'efficacité bien que la différence ne soit pas significative. Les essais 98/99 avaient déjà révélé l'importance du sucre dans la solution pour obtenir une bonne efficacité de traitement. L'absorption orale par les abeilles des solutions n'ayant pas lieu (Ritter, communication personnelle), le rôle réel joué par le sucre n'est pas clair. Il est possible que l'adjonction de sucre augmente le pouvoir adhésif de la solution et améliore ainsi l'efficacité par contact.
Comment les abeilles supportent-t-elles le traitement?
Nous avons comparé les quatre solutions à base de sirop 1:1 sur trois ruchers. Nous pouvons observer un affaiblissementimportant des colonies durant l'hiver sur les ruchers "Wohlei" (Fig. 1) et "Boden" et cela indépendamment de la solution utilisée. Même les colonies traitées à l'eau sucrée ont perdu jusqu'à 40% des abeilles durant l'hiver ce qui indique que des mauvaises conditions d'hivernage ont régnées sur ces ruchers. A Boden, une récolte tardive de miellat de sapin est peut-être à l'origine des pertes hivernales.
La solution sans acide oxalique donne partout les meilleurs résultats d'hivernage. On observe la tendance que plus la teneur en acide oxalique augmente dans la solution, plus les pertes hivernales d'abeilles sont importantes.
Sur le rucher "Schwand", les différences de pertes hivernales entre les variantes sont faibles. Seules les populations traitées avec la solution à 45 g AO sont légèrement affaiblies.
Figure 1 : Hivernage des colonies traitées à l'acide oxalique par dégouttement, moyenne et écart-type, Boden, Wohlei, Schwand 1999/2000
Les pertes hivernales ne seraient en soi pas si graves pour autant que les colonies réussissent à combler leur retard de développement jusqu'au moment de la récolte de printemps. Sur le rucher "Wohlei", seul rucher où le développement printanier a été mesuré, un écart de 1000 à 2000 abeilles subsistait encore à fin avril pour les colonies traitées à l'acide oxalique (Fig. 2).
Figure 2 : Développement printanier des colonies traitées à l'acide oxalique par degouttement, moyenne et écart-type, Wohlei 2000
La comparaison sur deux ruchers de la tolérance par les abeilles des solutions à 45 g AO dans des sirop 1:1 ou 1:2 laisse apparaître que le mélange avec une quantité réduite de sucre est mieux toléré par les abeilles (Fig. 3).
Figure 3 : Hivernage des colonies traitées à l'acide oxalique par degouttement, moyenne et écart-type, Grangeneuve La Chaux des Fonds 1999/2000
Résumé des essais pratiques
La formulation idéale de la solution pour le dégouttement de l'acide oxalique découle d'un compromis entre deux critères qui sont l'efficacité contre le parasite et les effets secondaires sur les abeilles. D'après les nombreux essais réalisés en Suisse et à l'étranger [1], il semble en effet difficile de concilier ces deux points à la perfection. Ce que nous pouvons conclure de nos essais.
Les solutions à 37 et 45 g AO démontent la même bonne efficacité contre Varroa. Dans certaines conditions cependant, la tolérance par les abeilles du traitement à 45 g AO est moins bonne.
La solution à 30 g AO n'a qu'une petite influence négative sur l'hivernage des abeilles mais l'efficacité sur Varroa est légèrement décroissante par rapport aux solutions à 37 et 45 g AO. Il n'y a donc plus de marge de sécurité lors de l'utilisation pratique ce qui signifie qu'un léger sous-dosage provoquerait une diminution de l'efficacité.
La diminution de la teneur en sucre dans la solution d'acide oxalique augmente la tolérance par les abeilles mais diminue l'efficacité du traitement.
Sur les ruchers où l'on observe de mauvaises conditions d'hivernage, les pertes d'abeilles peuvent encore être accentuées par le traitement à l'acide oxalique par dégouttement. Sur les autres ruchers, l'acide oxalique n'a que peu d'effet.
Sur la base de nos observations faite ces dernières années qui sont en grande partie confirmées par les essais réalisées par d'autres instituts de recherches en Europe centrale [2] [7], nous pouvons formuler des recommandations pour l'utilisation pratique de l'acide oxalique par dégouttement.
Recommandantions pour les traitements par dégouttement à l'acide oxalique valable pour l'Europe Centrale dont La Suisse
Composition de la solution :
35 g d'acide oxalique dihydrate dans 1 litre de sirop de sucre 1:1
Quantité de solution :
30 ml par petite colonie
40 ml par colonie moyenne
50 ml par colonie forte
Ceci correspond à 5 - 6 ml par cadre Dadant ou suisse occupé par les abeilles.
Moment du traitement :
En absence de couvain (novembre - décembre)
Remarques :
- - n'effectuer qu'une seule application par automne
- - déverser la solution entre les cadres, directement sur les abeilles
- - traiter avec une solution tiède
- - la température ambiante lors du traitement doit être supérieure à 0° C
- - n'utiliser qu'une solution fraîchement préparée ou conservée à une température maximale de 15° C pour une période n'excédant pas 6 mois
- - le dégouttement de la solution d'acide oxalique peut, dans certaines conditions, occasionner un léger affaiblissement des colonies au printemps.
- - L'application de l'acide oxalique par pulvérisation est mieux tolérée (30 g AO dihyd / litre eau, 3-4 ml par face de cadre occupée par les abeilles; description de la méthode par pulvérisation et résultats dans [4])
- - lors du traitement, porter des gants et des lunettes de protection
Remerciments
Je tiens à remercier ici les huit apicultrices et apiculteurs qui ont participé à cet essai pour leur précieuse collaboration.
Littérature
[1] BÜCHLER R., Versuchsergebnisse zur Varroatosebekämpfung durch Aufträufeln von Oxalsäurelösung auf die Wintertraube, Allg Dtsch Imkerztg 33 (10) (1999) 5-8.
[2] BÜCHLER R., Das Aufträufeln von Oxalsäurelösung auf die Wintertraube beeinträchtigt die Auswinterungsstärke, Allg Dtsch Imkerztg 136 (11) (2000).
[3] CHARRIÈRE J.D., IMDORF A., Nouveaux résultats des essais de traitements à l'acide oxalique par dégouttement, RSA 96 (9) (1999) 368-374.
[4] CHARRIÈRE J.D., IMDORF A., FLURI P., Potentiel et limites de l'acide oxalique pour lutter contre varroa, RSA 95 (8) (1998) 311-316.
[5] IMDORF A., BÜHLMANN G., GERIG L., KILCHENMANN V., WILLE H., Überprüfung der Schätzmethode zur Ermittlung der Brutfläche und der Anzahl Arbeiterinnen in freifliegenden Bienenvölkern, Apidologie 18 (2) (1987) 137-146.
[6] CHARRIÈRE J.-D., IMDORF A., BACHOFEN B., Efficiency checking of the Varroa jacobsoni control methods by means of oxalic acid., Apiacta 32 (3) (1997) 89-91.
[7] LIEBIG G., Zur Behandlung von Bienenvölkern mit Oxalsäure und Bienenwohl. Beschreibung und Ergebnisse der Behandlungsversuche in Hohenheim, Dtsch Bienen J 7 (10) (1999) 4-5.
8] MUTINELLI F., BAGGIO A., CAPOLONGO F., PIRO R., PRANDIN L., BIASION L., A scientific note on oxalic acid by topical application for the control of varroosis., Apidologie 28 (6) (1997) 461-462.