Imidaclopride, un danger pour la santé humaine ? (2002)

Dépêche Reuter du 12/09/2002
Certains insecticides et pesticides, qui sont dérivés de la nicotine, pourraient avoir un risque pour la santé humaine, notamment pour le fœtus, s'inquiète un spécialiste en toxicologie qui estime nécessaire de conduire des études sur ce sujet.

Le Pr Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'Université de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS, est intervenu en tant qu'expert dans le différent qui oppose le laboratoire Bayer fabricant l'insecticide Gaucho (imidaclopride) et les apiculteurs qui rendent ce produit responsable de la baisse des populations d'abeilles depuis plusieurs années.

A la demande des représentants des apiculteurs, le Pr Narbonne a réalisé un rapport d'évaluation qui est présenté au Conseil d'Etat qui doit statuer sur le recours qu'ils ont déposé contre une décision gouvernementale de maintenir le Gaucho sur le marché.

Le spécialiste estime, en s'opposant aux affirmations de Bayer, que l'insecticide aurait bien un effet sur les abeilles. Mais en plus, dans ses conclusions, il élargit le débat en considérant que l'effet sur la santé humaine, non seulement du Gaucho mais de l'ensemble des pesticides ayant une structure similaire, devrait être évalué par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA, pour laquelle il est d'ailleurs expert).

Interrogé par l'APM, le chercheur explique qu'à la fois sa conclusion sur la toxicité envers les abeilles et cette réflexion sur le risque pour l'homme résultent de découvertes récentes.

L'imidaclopride, comme d'autres pesticides, est un dérivé de la nicotine dont l'effet est augmenté et exerce sa toxicité sur les insectes via un récepteur nicotinique.

Pendant longtemps, on a cru qu'il existait chez les abeilles un seul récepteur, qui n'était sensible qu'aux fortes doses d'insecticide sur les cultures, on supposait que l'effet était à court terme.

Mais les recherches plus récentes ont mis en évidence l'existence d'un second récepteur qui est quant à lui sensible à de très faibles doses de ces produits. Selon le Pr Narbonne, c'est par ce second récepteur que les insecticides, encore présents à relativement long terme à faibles doses, exerceraient une toxicité retardée qui in fine tuerait les abeilles.

Le lien avec l'homme vient du fait qu'un récepteur équivalent, le nAChR-bêta-2, existe aussi dans l'espèce humaine.

Ce récepteur vient d'ailleurs d'être associé au risque plus élevé de mort subite du nourrisson chez les femmes qui fument durant leur grossesse, montrant bien l'effet délétère de la nicotine sur le fœtus dans une étude de chercheurs notamment français.

D'où l'idée que ces types de produits à structure proche de la nicotine, très nombreux selon le chercheur bordelais, sont concernés non seulement des insecticides mais aussi des produits des familles des PCB (utilisés dans les huiles, des condensateurs...) et des dioxines, pourraient même, à très faible quantité, avoir un effet délétère sur le fœtus.

"Cela nécessite une réflexion nouvelle, de santé publique", estime le Pr Narbonne.

"Il faut revoir l'ensemble des produits qui ont le même mécanisme d'action". et il faut surtout, selon lui, non pas s'intéresser à chaque produit indépendamment, mais "considérer la dose journalière globale de tous ces produits".

Cela peut-être fait facilement à l'heure actuelle avec le développement des microplaques permettant de tester rapidement des centaines de molécules pour leur effet sur une cible donnée - en l'occurrence le récepteur nicotinique sensible aux faibles doses.