L'apiculture prise en otage par l'agriculture productiviste
Jean Sabench

La Confédération Paysanne Le 9 /12/2009
C'est bien la mise en évidence par les abeilles de la toxicité de cette agriculture, et sa dénonciation par les apiculteurs qui dérange. La mission du député Martial SADDIER pour "une filière apicole durable", tourne à la mise de l'apiculture sous tutelle par la FNSEA et ses succursales (JA, ACTA, APCA...), des fabricants et des vendeurs de pesticides (UIPP et Coop de France), avec en appoint le "réseau BASF pour les abeilles" (biodiversité).

L'objectif étant de juguler la contestation des méfaits de l'agriculture productiviste (pesticides et OGM). L'abeille victime des pesticides est devenue un témoin gênant de la contamination de l'environnement. De plus elle transporte des pollens à grande distance, et rend plus difficile voir impossible la coexistence des cultures normales et OGM.

"Le manque d’intérêt de la FNSEA pour une branche économique bien marginale a laissé la porte ouverte à tous les dérapages. Le monde agricole y a perdu au passage une partie de son image « nature »,ainsi que l’accès à de nécessaires molécules pour protéger efficacement et proprement certaines cultures. Le succès de la mission de M. Saddier est donc bien lié à la reprise en main du dossier apicole par les responsables agricoles, et en premier lieu par la FNSEA" (Agriculture & Environnement).

Lors de la première réunion du "comité opérationnel" La Confédération Paysanne a refusé (avecl'UNAF et la FNOSAD) la présence de l'UIPP et de Coop de France. Le directeur de cabinet du ministre avait cédé sur l'UIPP.

Mais avec le changement de ministre et de cabinet, le processus se met en place à grande vitesse :

  • La FNSEA crée une section spécialisée (genre AGPM), des sections départementales, et marginalise complètement UNAF et SNA
  • L'APCA crée aussi une section apiculture (ce sera certainement les mêmes qui en feront partie
  • L'UIPP fait à nouveau partie du "comité opérationnel"
  • L'institut technique et scientifique apicole (ITSAP) se crée en vase clos sous l'égide de la FNSEA, avec la participation de Coop de France, du réseau BASF "pour les abeilles", et la porte est ouverte aux "associations phytopharmaceutiques" (UIPP et compagnie).
  • Les chercheurs français qui ont mis en évidence les effets nocifs des pesticides sur l'abeille ont été écartés du conseil scientifique. Par contre, il a été largement fait appel à des chercheurs qui affirment que les problèmes des abeilles sont dus aux pathologies et aux "mauvaises pratiques apicoles".

Ce qui se met en place était prévu depuis longtemps. Lorsque nous (Confédération Paysanne) avons occupé le bureau du directeur de la DGAL, en mai 2004, nous avons trouvé une note pour le ministre signée par le Dgal Klinger, faisant le point sur la mise en cause des pesticides par les apiculteurs. On y lit:

"L'opposition aux insecticides des apiculteurs coïncide avec la montée en puissance des opposants à la PAC en France. La confédération paysanne, ATTAC se sont rapidement fait les porte paroles des critiques des apiculteurs allant jusqu'à promouvoir dans ce secteur des techniques éprouvées pour tenter de relayer leur position..."

La note conclue "la persistance et le renouvellement permanent de ces mises en causes pose problème.", et propose comme solution:

"Affirmer plus nettement notre position, ceci suppose l'établissement d'un dialogue à haut niveau avec les organisations professionnelles (APCA, FNSEA, institut ARVALIS, ITB- CETIOM).

Il devrait permettre de faire le point et obtenir un meilleur engagement...en particulier de la FNSEA, qui hésite à la fois à s'engager dans une politique active d'utilisation raisonnée et contrôlée des pesticides et à modérer les positions extrêmes des apiculteurs de l'UNAF qui sont aussi des adhérents de la FNSEA..."

Depuis la FNSEA a réussi à détricoté une bonne partie des résolutions du Grenelle de l'environnement, et est en train de prendre l'apiculture en otage, avec l'aide de quelques apiculteurs qui croient naïvement pouvoir bénéficier de l'argent des firmes chimiques pour développer un institut technique qui fait défaut à l'apiculture.

Nos collègues allemands avaient fait le même rêve, et ont vite déchanté lorsque sont arrivées les intoxications de ruches. Ils s'en mordent les doigts, mais trop tard, les labos et instituts des landers sont aux mains de Bayer et Co. Syndicats d'apiculteurs amateurs et professionnels ont dénoncé les pressions et quitté le "monitoring" officiel mis en place pour étudier les problèmes des ruches.

Les organisations apicoles qui se sont mobilisées contre les pesticides sont opposées à une telle forme d'institut technique.

Pour compléter le tableau il faut rappeler que lorsque l'AFSSA réalise son rapport "Mortalités, effondrements et affaiblissements des colonies d’abeilles", elle fait appel aux mêmes chercheurs négationnistes qui se retrouvent au conseil scientifique de l'ITSAP. 

Les publications des chercheurs Gérard Arnold, Luc Belzunces, Jean-Marc Bonmatin, Marc-Edouard Colin, Séverine Suchail, qui ont mis en évidence les effets nocifs des pesticides systémiques sur l'abeille, ne font pas partie de la bibliographie étudiée. De même les rapports du CST (comité scientifique et technique de l'enquête multifactorielle des troubles des abeilles), réalisés à la demande du ministre de l'agriculture, sur les effets du Gaucho et du Régent TS ont été ignorés!

Pourtant l'AFSSA présente son rapport comme étant une étude "quasi exhaustive des investigations scientifiques françaises et européennes conduites sur le sujet " . Cela permet d'évaluer le niveau de malhonnêteté intellectuelle de l'AFSSA . 

Le rapport de l'AFSSA publié en novembre 2008, a donné prétexte à un colloque tenu le 17 juin 2009, qui s'inscrit parfaitement dans la démarche que nous dénonçons.

La confédération Paysanne pose 3 conditions préalables à sa participation :

  • Refus de la présence de l’UIPP (union des fabricants de pesticides)
  • Refus de la présence de Coop de France
  • Modification de la composition du conseil scientifique qui est orientée pro pesticides, 

Si ces conditions sont acceptées la Confédération Paysanne participera à l'élaboration des statuts d'un institut technique digne de ce nom.